L’appel du ministre Secrétaire général à la Présidence, le 22 février à Kindia, à élire le Général Mamadi Doumbouya dès le premier tour fait réagir les acteurs politiques. Sauf qu’à ce jour, les Guinéens attendent toujours le calendrier électoral qui va confirmer l’annonce du président de la transition de faire de 2025 une année électorale.
Le 31 décembre dernier, dans son discours de nouvel an, le Président de la Transition a annoncé que 2025 sera une année électorale en Guinée. Bientôt bouclé le premier trimestre de l’année, aucun signe ne pointe à l’horizon pour un quelconque scrutin. Des mouvements de soutien à la candidature de Doumbouya, des véritables campagnes avant l’heure, se multiplient pour son règne ad vitam ad aeternam.
Le 22 février à Kindia, le ministre Secrétaire général et porte-parole de la Présidence, Amara Camara, a appelé les compatriotes de la Basse-Côte à se recenser massivement. Objectif : garantir à Doumbouya la victoire dès le premier tour. La candidature de celui-ci et la date du scrutin présidentiel n’ont toutefois pas encore été annoncées. Du moins, officiellement.
L’appel du général Amara ne passe pas chez certains leaders politiques. Faya Millimouno, le président du Bloc libéral, BL, a même menacé de trimballer les autorités de la transition devant la justice. Il dénonce une « illégalité », pour des raisons qu’il explique : « Les cadres du CNRD, comme le gouvernement, sont entrés en profondeur dans l’illégalité. Dans la Charte qui nous gouverne, la Loi suprême, il est indiqué à l’article 46 que ni le président ni un membre du CNRD, ni un membre des institutions transitoires ne peuvent être candidats aux élections » organisées pour marquer la fin de la transition.
« Rien n’indique qu’on va vers des élections »
Mieux, ajoute le leader, rien n’est techniquement prêt. Même que ceux qui parlent d’élection seraient en train de se leurrer. « Quand on entend le général Amara Camara appeler les gens à voter aux élections, est-ce que vous avez foi en cela ? Il n’y a aucun signe qui nous montre qu’on va être dans une année électorale, comme l’a dit le général Mamadi dans son discours du nouvel an. C’est en cela qu’il faut prendre des actions pour arrêter ça. Même dans l’hypothèse que Doumbouya pouvait être candidat, ce qui n’est pas le cas, il n’y a aujourd’hui techniquement rien. Rien n’est en place pour dire que la Guinée peut aller aux élections en 2025. Techniquement, rien. Parce qu’on n’ira pas aux élections sur la base de la Charte. Et lorsque la Constitution est adoptée, dont nous n’avons que l’avant-projet, il faut écrire des lois d’application : les lois organiques, le code électoral, le code des collectivités, etc. Il faut un organe de gestion des élections. Ce n’est pas pour rien que vous entendez certains dire qu’on va gagner au premier tour. Mais attendez, ils se croient où ? Ils croient que le ministère de l’Administration du territoire va décréter celui qui va être le prochain président ? Mais les gens sont en train de dormir debout. Ceux-là qui communiquent, comme ils sont en train de le faire, sont en train de dormir debout. Nous sommes dans une République, pas dans une monarchie absolue. Et nous n’accepterons pas qu’un ministère de l’Administration du territoire organise les élections en Guinée. Même s’impliquer, on ne l’acceptera pas ».
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La justice pourra-t-elle barrer la route à Doumbouya ?
Que faut-il faire face aux multiples appels du pied pour une candidature présidentielle de Doumbouya ? Faya Millimouno dit être en discussions avec les avocats du BL pour « demander à la justice d’interpeller ces gens-là, parce que les conséquences sont multiples. D’abord, c’est une violation de la loi. Deuxièmement, ce sont des fonds publics qu’on utilise. Les ministres se déplacent dans les VA [Véhicules administratifs], avec le carburant de l’État. La troisième, en Guinée, au-delà de la situation transitoire, les dispositions légales imposent un devoir de réserve aux cadres de l’État, quand il s’agit de la politique. Un préfet, un gouverneur, un ministre, un directeur national, ne sont pas censés donner leur position politique. »
Obtiendra-t-il gain de cause, vu déjà le silence monacal de la justice sur les nombreuses violations des droits humains en Guinée ? « Les avocats n’ont même pas encore trouvé le courage de le faire. Mais je suis de ceux qui croient qu’il y a matière à saisir la justice pour mettre fin aux prétentions » des autorités de la transition.
« On dirait qu’on est aujourd’hui dans une jungle où chacun se croit tout permis. A tous les niveaux, c’est une violation claire de la loi qui prouve aux Guinéens qu’il faut prendre des actions pour arrêter les prétentions de cette équipe-là. Il faut que le peuple se mobilise pour cela », exhorte le président du Bloc libéral.
Mettre la justice à l’épreuve
Sauf que le général Mamadi Doumbouya ne s’est pas encore déclaré candidat. « On est d’accord. Même nous, nous continuons à lui demander de ne pas emboîter le pas. Parce que dès lors qu’il va le faire, il aura franchi une étape de non-retour. Ça sera comme Alpha Condé après les deux mandats, qui a cherché un mandat de trop. C’est d’ailleurs ce qui a justifié le coup d’État du 5 septembre. Si le président Doumbouya fait le pas vers une candidature, il est clair, il saute dans l’inconnu. Rien ne peut lui être garanti. Rien. » Ce qui mettrait, selon Milliouno, la Guinée « dans une instabilité ».
Faya Millimouno déplore la faiblesse des acteurs sociopolitiques face à la junte, non sans critiquer les magistrats. « Malheureusement, il se trouve que ceux des acteurs qui sont aujourd’hui sur le terrain ici, que ce soit de la société civile ou des partis politiques, on est de plus en plus rares qui puissions prendre des actions pour interpeller. Nous savons que les magistrats de notre pays ont l’habitude de nous dire qu’ils ont agi sous ordre. Ils attendent peut-être que le CNRD parte, pour aussi dire qu’ils étaient sous ordre. Mais je suis de ceux qui croient qu’il faut mettre à chaque fois à l’épreuve notre appareil judiciaire », affirme Faya Millimouno.
Absence de visibilité
« On ne réagit plus à ce genre de messages », botte en touche l’ancien ministre du Commerce, Marc Youmbouno, membre du bureau politique national de l’ancien parti au pouvoir, joint le 24 février.« Au RPG, nous nous sommes mis dans une posture de ne plus répondre à ces genres de messages qui ne sont pas conformes à la logique des activités politiques normales. D’abord, nous ne sommes pas en période de campagne politique. Aucune institution n’a décrété une campagne électorale. Et si déjà il y a des messages autour de cela, nous ne pouvons pas répondre, nous ne pouvons pas les apprécier. Il revient normalement aux institutions compétentes de recadrer, que ce soit pour ces messages-là, que des ressources utilisées pour drainer tout ce monde-là, alors que nous ne sommes pas en campagne. »
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Marc Yombouno est persuadé que les foules derrière le CNRD ne sont pas des enfants de cœur. « Ils viennent, parce qu’il y a quelque chose à prendre, à distribuer. Lancer un message de soutien politique, est-ce que vous constituez un parti politique ? Est-ce que vous êtes un parti politique ? On ne sait pas. Rien n’est clair. La constitution n’est pas là, la nouvelle constitution n’est pas prête. Il n’y a aucune référence, il n’y a pas d’Organe de gestion des élections. Le code électoral est suspendu. Ils ont récusé le fichier électoral de 2020. Comment on peut se lancer à faire toutes ces avances-là, alors qu’on n’a même pas de visibilité sur les fondamentaux ? Donc nous, on ne fait pas d’appréciation sur cela », persiste-t-il.
Le Model dénonce une trahison et une complicité
«C’est très triste pour notre pays, c’est très dommage ». C’est en ces termes que le porte-parole du Mouvement démocratique Libéral, Model, a réagi à la sortie du ministre secrétaire général de la Présidence Amara Camara. Moïse Diawara croit savoir aussi que « le CNRD n’est pas un parti politique légalement constitué. Normalement, quand vous parlez d’un coup K.O., vous allez d’abord avoir une base politique, je me demande sur quoi il se fonde pour prévoir cela. De toute façon, dit Diawara, ce qui est clair aujourd’hui, c’est qu’ils ont décidé d’aller dans un esprit d’exclusivité, ils ont décidé d’exclure presque tous les acteurs principaux dans le seul but d’atteindre leurs objectifs personnels(…) Sinon, dans les conditions normales, il faudrait aller dans un esprit d’inclusivité, organiser des élections, et sur cette base, prédire, d’après les études politiques, le sondage politique, que oui, tel parti est au-dessus de la moyenne. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas, tout porte à croire qu’ils sont en train de tout mettre en œuvre pour tailler sur mesure les résultats à eux, et ce qui serait vraiment très dommage pour le pays, parce que ça va conduire ou exposer le pays à des crises politiques répétitives, des tensions politiques, la cherté de la vie. Ils se sont inscrits dans cette logique, et ils n’ont pas du tout tiré les leçons du passé, et on ne sait pas pour quelle fin, quel intérêt… »
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Pour lui, le Général Mamadi Doumbouya devrait tenir les promesses d’être un Jerry Rawlings du Ghana. Il déplore cette « déclaration » du général Amara en l’absence de la constitution, d’un fichier électoral, d’un code électoral, d’un « dialogue sincère ». Il nous a été dit, poursuit-il, que le Président et les membres du CNRD ne seront pas candidats. « C’est pourquoi nous considérons qu’aujourd’hui, que c’est déjà une trahison (…) Donc, si aucune disposition n’est prise de la part du chef de l’État lui-même, qui a pris des engagements solennels devant le peuple de Guinée, devant l’opinion nationale et internationale, cela veut dire qu’il est aussi coupable en quelque sorte. » Selon lui, « c’est très clair », les autorités de la transition « ont dérouté, la boussole a été désorientée. Il n’y a aucun effort aujourd’hui consenti par le CNRD pour le retour à l’ordre constitutionnel. »
Le Model n’envisage pas pour autant de porter plainte contre les dirigeants de la transition qui appellent à la candidature du Général Doumbouya. Ses arguments ? « Je pense que dans le contexte actuel, je ne dirais pas que ce n’est pas une bonne démarche, juridiquement, c’est normal. Mais avec l’état de notre justice aujourd’hui (c’est vrai qu’on peut envisager d’accorder le bénéfice des doutes), mais ce serait peine perdue (…)» Il en a pour l’exemple, les « kidnappings, l’arrestation, la condamnation injuste tout récemment du président du Mouvement démocratique libéral, Aliou Bah. » S’insurgeant contre « les conditions dans lesquelles Aliou Bah a été condamné et aussi les charges retenues contre lui », « malgré le caractère infondé, ça n’a pas empêché les magistrats de le condamner à deux ans de prison ferme.»
Dans les conditions normales, le chef de l’État lui-même devait empêcher la propagande, les appels à sa candidature, estime Moïse Diawara qui déplore le silence et la « complicité » de Mamadi Doumbouya « Il y a un silence, et c’est un silence coupable. Ce qu’il est complice, il y a une complicité. » Moïse Diawara insiste et attend à ce que les Guinéens mènent le combat pour le retour à l’ordre constitutionnel normal. A voir, s’ils l’entendront de cette oreille.
Mamadou Siré Diallo