Alors qu’ils couvraient l’élection législative partielle de Kawempe, au nord de la capitale ougandaise Kampala, au moins 18 journalistes ont été violemment attaqués par les forces de l’ordre. Reporters sans frontières (RSF) condamne fermement ces agressions violentes et appelle les autorités à garantir la sécurité des journalistes, en veillant notamment à ce que les engagements pris par l’armée soient tenus.

«Ils nous ont fait enlever nos t-shirts pour nous couvrir le visage, nous ont forcés à nous allonger et nous ont frappé avec des matraques », déplore auprès de RSF Abubaker Lubowa, photojournaliste au quotidien indépendant Daily Monitor. Au moins 13 journalistes dépêchés pour couvrir les élections législatives partielles de Kawempe, un quartier du nord de Kampala, le 13 mars dernier, ont été violemment frappés par les forces de sécurité ougandaises, notamment l’armée – la Force de défense du peuple ougandais (Uganda People’s Defence Force, UPDF) – et l’agence de sécurité antiterroriste ougandaise (Joint Anti-Terrorist Task Force, JATT). Trois semaines plus tôt, cinq autres journalistes avaient eux aussi été attaqués lors de la couverture de la campagne électorale. L’un d’eux a failli perdre la vue de l’œil gauche. Tous portaient des gilets de presse et étaient identifiables en tant que journalistes.

Face à l’ampleur des violences commises par ses membres, dès le 13 mars, l’UPDF a publié un communiqué annonçant l’ouverture d’enquêtes dont les résultats “guideront les procédures disciplinaires appropriées”. Contacté par RSF, le porte-parole de l’UPDF, Chris Magezi, a indiqué que ces violences résultaient d’un “manque de compréhension et de coordination”, et que “les journalistes avaient dû être confondus avec des partisans violents”. Il a également soutenu l’idée d’effectuer plus de formations des membres des forces armées à la protection des journalistes lors de tels événements.

« L’extrême violence dont les forces de l’ordre ont fait preuve envers des journalistes clairement identifiés confirme les graves problèmes de sécurité auxquels les professionnels des médias sont confrontés dans le pays. Un tel traitement, à la fois par l’armée et par une agence anti-terroriste à un moment aussi crucial que des élections, est inacceptable. Alors que le pays se dirige vers une élection présidentielle dans moins d’un an, il est primordial que les journalistes puissent travailler en toute sécurité. RSF appelle les autorités ougandaises à s’assurer que l’armée tienne ses engagements quant à l’ouverture d’enquêtes appropriées et à la prise de sanctions contre les responsables de ces actes, ainsi qu’au développement de formations de ses membres afin de garantir la protection des journalistes », Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.

Traitements dégradants

Alors qu’ils étaient sur place pour couvrir l’arrivée d’un candidat au bureau de vote de Kazo-Angola, dans le quartier de Kawempe, toujours le 13 mars, au moins six journalistes ont été attaqués puis séquestrés pendant plus d’une heure, dans un van de l’armée. Raymond Tamale, journaliste à la télévision privée NTV Uganda, son caméraman Dennis Kabugo et Abubaker Lubowa ont la même version : après leur avoir confisqué leurs chaussures, leurs montres et leur matériel, les officiers, dont le visage était masqué, les ont frappé aux genoux, à la tête, aux côtes et aux coudes. “Ils nous ont dit de nous allonger dans le van, puis de faire semblant de dormir, de ronfler. Ils nous forçaient à compter jusqu’à 15 en nous frappant à chaque numéro. Il faisait très chaud et on ne voyait rien”, témoigne l’un d’entre eux. Tous leurs appareils ont été détruits. Tous ont dû se faire soigner à l’hôpital.

Les journalistes Ibrahim Ruhweza et Isaac Nuwagaba du média New Vision ont aussi été séquestrés les yeux bandés durant 20 minutes dans une camionnette par des membres masqués de l’agence de sécurité antiterroriste ougandaise (Joint Anti-Terrorist Task Force, JATT), qui les ont frappés avec des matraques et des câbles électriques, avant de les forcer à effacer leurs vidéos.

Au moins 13 journalistes ont été violemment battus ce jour-là, dont au moins dix ont dû aller à l’hôpital. Plusieurs reporters ayant assisté aux scènes de violence ont préféré cesser leur reportage et rentrer à leur rédaction. D’autres ont ôté leur gilet de presse pour éviter d’être ciblés.

Campagne ultra violente

Le 26 février, alors qu’il couvrait l’agression d’un candidat du parti d’opposition par les forces de sécurité dans le cadre des élections, le journaliste de la chaîne de télévision privée Top TV Miracle Ibra a failli perdre la vue d’un œil. Deux officiers de la JATT l’ont “frappé plusieurs fois au visage avec une matraque”, selon son témoignage à RSF, le blessant grièvement. Au moins quatre autres journalistes – de NBS TV et de NTV Uganda – ont été agressés lors de leur couverture de cette campagne électorale. Deux d’entre eux ont été attaqués par des agents de la JATT ayant ouvert le feu à plusieurs reprises dans leur direction.

L’Ouganda occupe actuellement la 128e position sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024.

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