Au nom du pair, du flouze et de l’infamie. Amen ! Les jours se succèdent et se ressemblent sous les Tropiques de Fantouré. Sous les nuages usés de notre bled, nos littérateurs en mal d’attention s’offrent en filles de joie au pourboire avide de chair fraîche, au Grand Prix de la littérature. Il ne manquait que le ralliement des gratte-papiers pour que la boucle de la Refondation soit bouclée.

Désormais, le nouveau roman national peut s’écrire. Maintenant que les scribes sont à la solde de l’imposture, la réécriture du récit national peut commencer. Même la Révolution pdgiste n’a pas eu ce luxe. Le Guide suprême se chargea, seul, de composer les mille et un tomes de la doctrine révolutionnaire. A sa mémoire, un bouquet de narcisses fanés.

Quant au légionnaire, il peut s’offrir autant de Nègres qu’il désire et à nos frais, bien sûr. Quitte à décerner pour la solennité de la forfaiture un Grand Prix littéraire au plumitif le plus zélé. C’est le genre de privilèges qu’offre le pouvoir absolu. C’est acté depuis le 4 avril, sous l’égide de son émir Ndourou Bantara, flanqué du sinistre de l’Inculture, Mou-sa-mouise. Le geste est salutaire, dirait-on. Le contexte, certainement pas.

Des semaines avant ce lancement, le plus grand talent littéraire de la Guinée indépendante payait de ses origines ses railleries à l’endroit de la Refondation liberticide. Comme le sait tout totalitarisme digne de ce nom, l’occasion ne saurait être meilleure pour tourner les évènements à son avantage. Moment idéal pour se mettre la corporation épistolière dans la poche, appliquer le principe du tous-contre-un politique aux lettres, afin d’isoler l’incorrigible romancier. Sauf qu’entre politique et lettres, la différence est immense. Si n’importe quel poltron peut faire carrière en politique, l’écriture ne sourit qu’au talent. Inutile d’envier Yambo, il n’y aura jamais qu’un seul Devoir de violence.

Langue de bois, plume aux abois

La cohérence, que dis-je, l’esprit de corporation eut voulu que l’Association des écrivains de Guinée se leva comme un seul homme pour défendre l’un des leurs. Pas n’importe lequel, celui par lequel leur art s’incarne et se glorifie. Leur confraternité aurait dû leur commander de faire forteresse autour de leur pair. Mais non. Pas question de manquer le banquet. Hors de question de se faire conter « le festin funèbre fumant du sang » du pair égorgé. Ciment-doux-des-mille-carences oblige. S’ils l’avaient trahi par leur silence, nos versificateurs ont livré Monénembo par leur adhésion. Leur Asso vit le jour en 1985, au lendemain de la faim de la pensée unique. Mais son allégeance à la Refondation liberticide suggère qu’elle n’aurait pas bronché ni pour Keita Fodéba dont le talent fît pâlir le Guide suprême, ni pour Williams Sassine, méprisé mais jamais égalé, ni pour Camara Laye dont la prose honore toutes les savanes, ni même pour leur art en jachère.

Autrefois, distingués prosateurs, vous étiez au premier rang de la résistance. Jadis, vos plumes étaient nos lances et vos textes, notre armure. Votre génie littéraire portait notre peuple en lutte et exaltait l’honneur des hommes et femmes debout sur les remparts. Jadis, vous étiez écrivains. 

Désormais, vous avez déserté la solitude féconde du pupitre pour le festin avilissant de la table garnie. Vous avez troqué la noblesse vivifiante de la plume contre la mécanique survivaliste des couverts. Sous vos soleils moisis se meurent nos aurores trahies, ligotées au trône de la tyrannie et promises aux pires avanies. Nos lettres s’étouffent de votre encre coagulée et votre art crève sous le poids mort de vos idéaux trahis.

Tant pis pour Sassine, son Wiriyamu n’aura servi que dalle. Il n’aura conjuré ni le tragique 28-Septembre 2009 ni les horreurs de Galakpaye, de Womey, et cætera. Sous le pont de la Refondation, reposent déjà pas moins de 50 innocents. Ainsi donc, le Livre de nos ossements reste ouvert. Vous ne manquerez guère, chers épistoliers, de matière à gratter. A vous donc le Grand Prix lu-terreur du Président de la Réplique. En attendant Godot, « Nos yeux boivent l’éclat du Soleil et, vaincus, s’étonnent de pleurer » (Yambo Ouologuem).Ouassalam !

Kaba Mohali