Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction le 15 mai, Faya Mini-mono dépeint la situation sociopolitique du bled. Le prési du Bloc libéral (BL) revient sur les failles du recensement électoral biométrique, dénonce une répartition inégale des kits d’enrôlement, fustige la manipulation politique autour de la candidature du général Mamadi Doum-bouillant, remet en question la crédibilité du processus électoral et insiste sur la nécessité d’un retour à un dialogue politique inclusif et sincère.

Le Lynx : Quel regard portez-vous sur le processus de recensement électoral en cours ?

Faya Millimouno: Dès les premières semaines du recensement, nous avons tiré la sonnette d’alarme. Les conditions sont en train d’être réunies pour le rejet du fichier électoral qui en résultera. Il est possible de frauder à toutes les étapes du processus électoral. Pour qu’ un fichier soit fiable, il faut prêter attention à l’étape d’enrôlement des électeurs: comment sont repartis les kits d’enrôlement ? Quelle est la motivation que les agents recenseurs ont de tel endroit à tel autre ? Comment on les traite ? Tout cela constitue des actes qui peuvent avoir de l’influence sur le nombre de personnes qui peuvent se recenser. Les conditions dans lesquelles le processus se déroule ne garantissent ni fiabilité ni transparence. Le fichier électoral risque fortement d’être rejeté. Dès l’enrôlement, la fraude est possible.

Vous avez dénoncé en fin de semaine dernière la répartition inégale des kits de recensement à travers le pays. Auriez-vous des preuves concrètes et  précises là-dessus ?

La répartition des kits d’enrôlement est totalement inéquitable. Alors qu’à Conakry, pourtant densément peuplée, on a attribué moins de 800 kits, la région de Kankan, elle, en a reçu plus de 1 500. Soit 30 % du total national. Lorsque vous prenez l’ensemble de la région administrative de Labé, le nombre de kits dans les cinq préfectures correspond exactement au nombre de kits déployés à Siguiri: 414. Prenez, par exemple, la région administrative de Faranah, qui comprend Kissidougou, Faranah, Dabola et Dinguiraye. Le nombre de kits des quatre préfectures est inférieur à celui des kits de la seule préfecture de Kankan. Il en est de même des kits déployés à Guéckédou, Macenta, Nzérékoré, Yomou et Lola, réunis.

Cela ne correspond en rien aux chiffres officiels du dernier recensement de 2014. Des sous-préfectures n’ont reçu leurs kits que trois semaines après le lancement officiel, en pleine saison des pluies, avec des équipements solaires inadaptés. Ce déséquilibre vise à favoriser certaines zones perçues comme favorables au pouvoir actuel.

Redoutez-vous une manipulation politique derrière cette inégalité ?

C’est évident. Il y a une volonté manifeste de réduire le potentiel électoral des régions jugées opposées au pouvoir. Par exemple, Kissidougou, moins peuplée que Guéckédou selon les chiffres officiels, a reçu plus du double de kits (225), contre 97.  Même dans la région de Kankan, Mandiana, plus peuplée que Kérouané, a reçu moins de kits. Ce sont des signaux clairs de manipulation.

Comment réagissez-vous à l’enrôlement des mineurs âgés de dix ans et plus ?

C’est inacceptable. On est censés faire un recensement électoral, pas un recensement administratif comme le RAVEC. Or, on enrôle aujourd’hui des enfants de dix ans. C’est parce qu’on a constaté que près de 80 % de la population guinéenne ne sont pas dans le registre d’état-civil. Cette confusion ajoute une couche supplémentaire à l’illégalité du processus.

Quelle lecture faites-vous des mouvements de soutien à la candidature du Président Doumbouya ?

Ce sont des simulacres, orchestrés par l’administration. Parmi ceux qui l’ont accueilli le 5 septembre 2021, ils ne sont plus 25 % qui continuent à croire en lui. C’est ce qu’explique cette dépense colossale des fonds publics. On veut faire une « Marche de la paix à Kankan », on arrête toute activité publique dans la ville. On déplace les fonctionnaires, on ferme les écoles, les marchés et on fait croire que la population soutient sa candidature. La vérité, c’est que même ceux qui participent à ces manifestations ne voteront pas pour lui. Ils y vont par contrainte, pour ne pas perdre leur poste. Ce soutien est acheté, artificiel.

L’organisation des élections est annoncée pour décembre prochain. Cela vous paraît-il tenable et réaliste ?

Pas du tout. Une date électorale ne s’impose pas unilatéralement. Elle se décide par consensus. Ce n’est pas comme ça qu’on annonce la date des élections. En étant en période transitoire, on aurait dû aller autour de la table de négociations. Sur la base des accords signés, on pouvait fixer une date à laquelle les élections allaient se tenir. Aujourd’hui, aucun élément ne garantit que ces élections seront crédibles. Même le fichier électoral est contesté. Commencer par une présidentielle, comme en 2010, est une erreur qui déboucherait sur un nouvel échec.

Dans un tel contexte, le Bloc libéral participera-t-il aux prochaines élections ?

Il est trop tôt pour se prononcer. Nous observons. Si les choses ne changent pas, si les autorités maintiennent un fichier biaisé et la mainmise de l’administration sur les scrutins, alors il ne s’agira pas d’élections, mais de résultats dictés par des préfets et des sous-préfets. Ce sera un simulacre. Le moment  venu, nous prendrons une décision dans l’intérêt du parti et du pays.  

Que pensez-vous de la restriction des libertés et de l’absence de dialogue politique ?

C’est extrêmement inquiétant. Le Premier ministre Bah Oury, ancien militant de la démocratie, qu’il soit là pendant plus d’un an,  sans même une perspective de dialogue, on se pose de question. Aujourd’hui, il dirige un gouvernement qui ferme des médias, fait disparaître des leaders sociaux et dissout arbitrairement des partis politiques. C’est un recul grave pour notre démocratie.

Qu’en est-il de vos relations avec vos pairs politiques exilés ?

Elles restent actives. Je suis en contact avec Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo, entre autres. Nous partageons des informations et nous analysons ensemble l’évolution de la situation.

Comment vous préparez-vous au retour à l’ordre constitutionnel ?

Nous faisons notre part. Nos équipes sont sur le terrain, en contact avec les citoyens dans toutes les régions. Nous informons, nous structurons nos bases. Si les conditions sont réunies pour des élections libres, quel que soit le candidat qui sera devant nous, nous gagnerons. Et dans ce cas, je n’ai aucun doute,  je peux battre Mamadi Doumbouya dans une élection propre.

Un dernier mot ?

Je veux dire aux Guinéens que la paix n’est pas un miracle religieux. Elle se construit par la justice, la transparence et l’inclusion. Tant que nous fermerons les yeux sur l’injustice, les prières ne suffiront pas. Le danger est réel. On ne peut pas continuer à faire la même chose, tout en espérant un résultat différent. Soyons vigilants, soyons exigeants.

Interview réalisée par

Mariama Dalanda Bah