Le 15 mai, 5 marmots ont perdu la vie dans le chantier de l’aérodrome de Labé. Ils ont péri noyé dans l’un des trous creusés, dans le cadre de sa reconstruction. Retour sur une tragédie révélant la légèreté dans la sécurisation des chantiers de l’Etat dans cette ville.
Jeudi 15 mai, tout allait comme d’habitude dans la cité de Karamoko Alfa Mo Labé. Souleymane, Mamadou Lamine, Mamadou Korka Diallo, Thierno Oumar et Mamadou Bah, respectivement 6, 7 et 5 ans, se promènent dans le secteur Boléyah, quartier Tata1. Ils se rendent sur le chantier de l’aérodrome de Labé, dans l’intention de nager. La ville a été arrosée la veille par une grande pluie. L’aérodrome, en reconstruction depuis avril 2023, contient des trous, devenus, par la force des choses, des retenues d’eau. Ces 5 gosses se jettent dans l’un d’eux, mais ne remontent plus. La 6e personne, une fillette qui était avec eux, sonne l’alerte. La nouvelle de leur décès se répand comme une traînée de poudre. Tout le monde accourt sur les lieux du drame. Les corps des victimes sont repêchés une trentaine de minutes plus tard, devant leurs familles, médusées. La Protection civile doit intervenir dans la gestion des dépouilles. Les nerfs, chauffés à vif, une altercation éclate entre la foule et les agents de la Protection civile : « Les familles des victimes ne voulaient pas laisser les corps dans les mains de la Protection civile », déclare Youssouf Bah, chef du secteur de Boléah. Jet de pierres contre gaz lacrymogène. La présence des autorités administratives de Labé a aussi ajouté de l’huile sur le feu. Celles-ci sont reprochées de négligence dans la surveillance des chantiers dans la ville de Labé.
« Homicides involontaires », procédure judiciaire
Il a fallu le concours des flics et des pandores pour que la Protection civile réussisse à extirper les corps des lieux pour l’hôpital régional. Le 16 mai, les corps ont été rendus à leurs familles, inhumés au cimetière de Maléyah, dans le quartier Daaka 2. Auparavant, le gouvernorat de la ville de Labé a ordonné la fermeture des trous : « Jeudi soir, ils ont tiré l’eau à l’aide d’un générateur et refermé les trous », explique un proche de feu Souleymane Diallo. Il estime cependant que l’acte est insuffisant et dénonce de la négligence : « Ils savaient que les travaux à l’aéroport sont à l’arrêt des mois, ils connaissaient l’existence de ces trous, mais n’ont rien fait. Le chantier n’est sécurisé que quand un avion doit atterrir. Pourtant, l’alerte a été donnée, ils n’ont rien voulu entendre.»
Les familles des victimes pestent également contre la société chargée de reconstruire l’aérodrome. Elles ne comprennent pas que celle-ci n’ait pas clôturé entièrement le chantier. Selon le Chef du secteur Boléyah, « ils n’ont fermé qu’une seule partie. Les personnes et même les animaux peuvent y entrer sans difficultés.»
L’OGDH se joint aux familles
Dans la soirée du vendredi 16 mai, le parquet du tribunal de première instance de Labé a annoncé l’ouverture d’une enquête pour « homicide involontaire ». Des responsables de la société chargés des travaux ont été interpellés et placés en garde à vue à la Brigade de recherche de Labé. L’antenne régionale de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du citoyen (OGDH) a décidé de se constituer partie civile dans cette affaire. L’ONG dit vouloir aider les familles des victimes à obtenir justice : « Nous avons constaté que les parents des victimes n’ont pas les moyens de faire appel à des avocats. En revanche, l’entreprise incriminée, elle, en engagera certainement. Nous voulons que toute la lumière soit faite sur ce dossier. Il s’agit clairement d’un cas de négligence de la part de l’entreprise. C’est pourquoi, nous défendrons les victimes dans ce procès », explique le boss de l’OGDH à Labé, Idrissa Sampiring Diallo. Selon lui, cette plainte de l’OGDH est aussi motivée par la peur que les familles des victimes lâchent l’affaire et que la société incriminée s’en tire à bon compte : « Vous connaissez la pratique courante dans ce pays, nous redoutons qu’à défaut de moyens, que les familles des victimes ne se contentent de se remettre à la sagesse de Dieu. C’est pour toutes ces raisons que nous avons décidé de nous battre aux côtés du ministère public et des familles des victimes.»
Yacine Diallo