Au Mali, des membres du Conseil national de Transition appellent ouvertement à la violence pour empêcher le rassemblement prévu vendredi 9 mai. Les partis politiques appellent les Maliens à contester vendredi, place de l’Indépendance à Bamako, le projet de dissolution des partis et, plus généralement, le maintien des militaires au pouvoir depuis cinq ans sans élections, le non-respect de la Constitution ou encore les « taxes injustes » et les coupures de courant. Un rassemblement qui se veut « pacifique, républicain et démocratique », selon un courrier adressé mardi par les organisateurs au gouvernorat du district de Bamako. Mais des membres du CNT, organe législatif de la Transition, annoncent dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux leur volonté de s’y opposer, et ne cachent pas les moyens envisagés.
« Le rassemblement n’aura jamais lieu. Si vous sortez, il faudra marcher sur nos cadavres » menace Moulaye Keita, membre du CNT et soutien virulent des militaires au pouvoir, qui s’en prend nommément à certains leaders politiques pro-démocratie. « Seuls ceux qui viendront avec femmes et enfants seront épargnés », prévient quant à lui Mamari Biton Coulibaly, également membre du CNT, qui s’était déjà filmé la semaine dernière au Palais de la culture, entouré d’un groupe d’hommes, avertissant qu’il empêcherait le meeting des partis politiques de se tenir.
Mobilisation spontanée ?
Les partis s’étaient effectivement résolus à l’annuler « pour ne pas porter la responsabilité d’éventuels affrontements », selon un ancien ministre très impliqué. Les médias d’État avaient présenté ces incidents comme le résultat d’une mobilisation spontanée des jeunes du quartier pour défendre la « stabilité » du pays. Les opposants dénoncent eux l’action de « nervis » à la solde des autorités de transition. La police avait quant à elle demandé aux organisateurs de renoncer à leur meeting pour « préserver l’ordre public et la quiétude », selon les déclarations du directeur régional adjoint de la police du district de Bamako.
CNT et Primature : pas de commentaires
Plusieurs dirigeants politiques en pointe dans la mobilisation indiquent avoir également identifié plusieurs chargés de mission de la Primature – deux actuels, et un ancien conseiller de l’ex-Premier ministre Choguel Maïga resté fidèle à la Transition – parmi les individus ayant cherché la confrontation avec les contestataires, samedi 10 au Palais de la Culture ou dimanche 11 mai à la Maison de la presse. Sollicités par RFI, ni la Primature, ni la direction du CNT n’ont souhaité commenter.
Créer les conditions d’un bain de sang
Pour les opposants à la Transition, la stratégie est claire : créer les conditions d’un bain de sang pour dissuader leurs militants et fournir des arguments aux autorités de Transition dans le but d’éteindre la contestation : par la répression policière, les interdictions administratives ou les procédures judiciaires.
Mardi soir, le Parquet général après la Cour d’appel de Bamako a publié un communiqué en forme d’avertissement : « la Justice sévira » contre « les individus mal intentionnés » qui « se livrent à des appels à la haine », ou « à des manifestations occasionnant de graves troubles à l’ordre public ». Sollicité par RFI, le procureur général Hamadoun « Balobo » Guindo précise que le message est « erga omnes » : en clair, il s’adresse officiellement aux deux camps.
Aucun des généraux au pouvoir ni aucun ministre du gouvernement de transition ne s’est exprimé sur ce mouvement de contestation inédit depuis qu’il a débuté samedi dernier. « Ils paniquent, c’est la première fois que les militaires sont attaqués frontalement depuis cinq ans », estime l’un des leaders de l’opposition.
« Les appels à la violence sont instrumentalisés par la Transition »
« Les appels à la violence ne sont pas seulement tolérés, ils sont soutenus, entretenus et même instrumentalisés par les autorités de transition. Des membres du CNT, des chargés de mission de la Primature sont directement impliqués. À chaque tentative de manifestation des défenseurs de la démocratie (samedi et dimanche derniers, ndlr), des badauds sont installés pour bloquer l’accès avec la complaisance manifeste des forces de l’ordre », explique Kadidia Fofana, présidente à Paris des « Forces vives de la diaspora » et du mouvement politique d’opposition « Tous concernés ».
« Ce que cette Transition a réussi, c’est à diviser les enfants d’un même pays, à créer deux catégories : les « apatrides » et les « patriotes ». Cette stratégie dangereuse sème les germes d’une guerre civile, en dressant les citoyens les uns contre les autres. C’est inacceptable. Ce que nous demandons est simple : le respect des droits, la démocratie et surtout l’unité nationale. Ce Mali réconcilié avec lui-même ne peut se faire qu’avec le départ de ceux qui sont les instigateurs de la division des fils du même pays », ajoute-t-elle.
David Baché, Rfi