Alors que l’organe de régulation des médias clôture un « Forum sur l’avenir de la presse » dédié à la reconstruction du paysage médiatique dans le pays, six médias emblématiques restent toujours bloqués en Guinée. Quatre stations de radio et deux chaînes de télévision privées sont interdites de diffusion depuis un an, rétrécissant drastiquement l’accès à une information plurielle pour la population. Reporters sans frontières (RSF) appelle à leur rétablissement : l’avenir des médias en Guinée ne saurait se dessiner sans le retour de ces médias et sans un plan économique de soutien à un écosystème fragilisé.
Cela fait maintenant un an que la population guinéenne n’a plus accès aux chaînes de télévision et de radio Djoma TV, Djoma FM, Espace FM, Espace TV, Sweet FM et FIM FM. Le 21 mai 2024, les médias privés ont vu leurs agréments d’exploitation retirés par les autorités. Le lendemain, l’Autorité de régulation des postes et télécommunication (ARPT) demandait le retrait des fréquences et le démantèlement de leurs installations. Le gouvernement avait alors justifié cette censure en arguant que “certains médias manquaient à leurs responsabilités”. Les six mois précédents cette décision, les radios concernées, à la liberté de ton assumée, faisaient l’objet de brouillages constants.
Un an plus tard, les médias n’ont toujours pas pu reprendre leurs activités. Plus de 800 journalistes ont été mis sur le carreau du jour au lendemain.
Ce triste anniversaire intervient au lendemain d’un “Forum sur l’avenir de la presse en Guinée” organisé par la Haute Autorité de la communication (HAC), qui visait à rassembler les acteurs du secteur pour réfléchir aux défis du journalisme dans le pays. Le Premier ministre, Amadou Oury Bah, y a évoqué les tensions entre la presse et le gouvernement : “Cela fait pratiquement un an jour pour jour que nous avons divorcé”, a t-il déclaré, tout en exprimant sa volonté de “faire émerger de nouvelles dynamiques”, en évitant soigneusement la question du rétablissement des médias. Même chose pour Boubacar Yacine Diallo, le président de la HAC — à l’origine du retrait, avant leur interdiction officielle, des chaînes Espace TV et Djoma TV des bouquets télévisuels pour des raisons de “sécurité nationale” — qui a appelé à une “renaissance de la presse libre et responsable”, sans mention des médias bloqués.
« Un an après l’interdiction de six radios et chaînes de télévision, il est temps que les autorités mesurent pleinement les effets de cette décision sur la liberté de la presse et l’exercice du journalisme. Les chaînes de radio et de télévision, bannies en toute illégalité, ont laissé derrière elles un vide médiatique profond, privant le pays d’un réel pluralisme et réduisant au silence les voix critiques, dans un paysage autrefois riche et dynamique. Alors que s’achève le Forum sur l’avenir de la presse, organisé presque un an jour pour jour après cette vague de censure, les autorités ne peuvent faire abstraction du rôle fondamental de ces médias dans le service public d’information. Il ne peut pas être question de “renaissance de la presse libre” tout en entérinant “un divorce depuis plus d’un an” avec les médias. Leur réintégration est impérative et doit s’accompagner d’un plan d’action concret, incluant des compensations économiques à la hauteur des lourdes pertes subies », a déclaré Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique, subsaharienne de RSF.
La suspension des six médias a engendré la perte de plus de 800 emplois dans le secteur de la presse. Nombre de journalistes n’ont pas retrouvé de travail depuis. D’autres se sont reconvertis dans différents domaines et ne veulent plus entendre parler de leur ancien métier. L’ancienne présentatrice et journaliste de Djoma TV, Fatoumata Sadjo Diallo, témoigne : « La fermeture de notre média nous a tout enlevé. J’ai dû dépendre de ma famille pendant six mois avant de me lancer dans une activité commerciale. Ce n’est pas facile, mais je me nourris d’espoir. »
Ancien chroniqueur dans un talk-show d’Espace FM, Alphonse Mara a choisi de développer son entreprise de communication, mais déplore une stigmatisation l’empêchant de mener à bien ses activités du fait de son ancien statut : “Plusieurs entités ont résilié leurs contrats avec nous ou ont refusé de nous recruter. Les entreprises se méfient”. Certains ont fait le choix de continuer dans le domaine des médias : c’est le cas de Mamadou Dian Baldé, ancien éditorialiste et chroniqueur de FIM FM, qui a cofondé le site d’information allureinfo.net. D’autres encore ont choisi de rejoindre les rangs de la Radiodiffusion Télévision Guinéenne (RTG), dont les programmes s’alignent sur l’agenda politique du gouvernement.
L’exercice du métier de journaliste reste difficile en Guinée, où l’administrateur général du site d’information Le Révélateur 224, Habib Marouane Camara, est toujours disparu après son enlèvement par des hommes armés le 3 décembre 2024.
La Guinée est le pays qui a connu la plus grande chute dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF cette année : avec 25 places de perdues sur 180 pays et territoires, elle figure désormais au 103e rang.
Reporters Sans Frontières