L’industrie criminelle, la seule que la Guinée ait jamais réussie est en passe d’atteindre le rythme effréné qu’on lui connaissait du temps du sanguinaire, Sékou Touré. Il en est du crime comme du testament, il n’est admis que s’il est signé. Hier, la « cabine technique », la « Diète Noire » et les pendaisons publiques, aujourd’hui, les hommes encagoulés, les kidnappings, les disparitions forcées !  Sommes-nous encore à Conakry  ou à Santiago-du-Chili au temps des escadrons de la mort voire à Port-au-Prince, au temps des « Tontons macoutes » ?  Les Guinéens ont le droit de se poser la question tant l’atmosphère devient suffocante sous le règne du Général autoproclamé, Mamadi Doumbouya.

Comme pour fêter le premier anniversaire de la disparition de Foninké Mengué et de Billo Bah, un autre rapt vient de se produire à 3h du matin, ce samedi 21 juin. C’est sur Maître Mohamed Traoré, que s’est abattue cette fois, la force bestiale du pouvoir. Notre prestigieux avocat a subi exactement ce qu’il y a quelques mois, a subi, le jeune Abdoul Sacko. Des hommes lourdement armés et portant la cagoule ont  fait  une intrusion violente chez lui et ils l’ont kidnappé après avoir brutalisé sa fille.

Ils nous rejouent pour ainsi dire, le sketch de février dernier.  J’imagine qu’ils ont levé la même équipe pour faire exactement le même sale boulot, sauf que cette fois, c’est dans la broussaille de Bangouya dans la préfecture de Coyah qu’on a retrouvé le mourant et non dans celle de Forécariah comme ce fut le cas avec le pauvre Sacko.  

Maître Traoré peut s’estimer heureux malgré le terrible choc physique et psychologique qu’il vient de  subir : lui, sa famille l’a retrouvé et vivant, qui plus est, ce qui est une sinécure par les temps qui courent. Foninké Mengué, Billo Bah, Saadou Nimaga et Marouane Camara, eux, on ne sait toujours pas si on a une chance de les revoir un jour. En attendant, rares sont ceux qui les plaignent.  Normal, en Guinée, on encense le chef, on ne plaint jamais ses victimes. Aucun prêtre, aucun marabout, aucun  de nos notables  n’ira s’enquérir de la santé de maître Traoré,  soulager les épouses de  Foninké Mengué et Billo Bah, caresser la petite Kadiza (la fille de Marouane Camara) dont on ne sait toujours pas si elle est orpheline ou non, ou alors,  se rendre à « l’Hôtel Cinq Etoiles de Coronthie »,  offrir des oranges à Aliou Bah. Aucun membre du CNT ne posera une question au gouvernement (c’est pourtant son rôle) sur la mort du Général Sadiba Koulibaly ou sur le sort de nos chers disparus. Ce petit monde n’a qu’un seul et unique souci : accoutrer d’un manteau juridique le pouvoir illégal de Mamadi Doumbouya et ainsi, continuer à puiser dans sa gamelle, à grandes louchées, bien sûr. Dans d’autres pays, on aurait appelé ça, une honte, ici, c’est un simple mode de vie. En Guinée, la cruauté et l’injustice ne choquent personne même pas dans les églises et dans les mosquées. C’est triste mais c’est comme ça !

Pendant que des escadrons de la mort sèment la terreur, que plus aucun Guinéen ne sait s’il rejoindra son domicile après le champ, le bureau ou l’usine, ou s’il lui arrivera malheur en chemin, le CNT (à l’exception de trois honorables dames que nous saluons ici bien bas) vient de concocter une nouvelle Constitution pour notre chef de la Transition qui se prend déjà pour le président de la République ; un très joli boubou dont le teint, on le devine, se mariera fort bien à ses hypothétiques galons de Général. Qui a dit que les présidents africains manquaient de jugeote ? En Guinée, au Mali, au Togo ou au Tchad, ils n’ont pas leur pareil pour transgresser les règles  et s’offrir des présidences à vie !

Tierno Monénembo