Inutile d’écrire que la Guinée manque encore de routes. Voyager de Conakry à la frontière avec guinéo-ivoirienne via Nzérékoré, est un véritable parcours du combattant. Nous en avons fait les frais de ce calvaire, en mai dernier. Reportage !
A la mi-mai dernier, pour se rendre à Accra au Ghana par la voie routière, nous avons emprunté un bus à destination d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Après l’achat du ticket d’embarquement à la gare routière de Matam (Conakry), la veille du voyage, le convoyeur nous demande de pointer à 6h 30 à Lansanayah-barrage, point de rencontre. Nous habitons non loin, le quartier Cimenterie. Nous nous exécutons. Mais le bus n’est arrivé qu’une heure après. Il a embarqué ses premiers passagers 5h du matin, depuis la gare routière de Matam, son point de départ. En route pour la gare-routière de Gomboyah (Coyah), le bus embarque des passagers comme nous. A Gomboya, il était 8h 40, quand le convoyeur fait une doléance : « S’il vous plaît, nous allons faire 30mn ici, pour combler les sièges vides. D’ici-là, ceux qui veulent prendre leur petit-déjeuner peuvent le faire. » Début du calvaire. L’arrêt a duré plus de 2h. Sur la cinquantaine de places, à peine 20 passagers partaient sur Abidjan. Il faut combler le vide par des passagers de Kindia, Mamou, Dabola, Faranah, Kissidougou, Guéckédou, Macenta et Nzérékoré. Et bonjour les arrêts interminables.
A 11h, nous quittons finalement Gomboya. Cap sur Kindia, à l’est, à environ 130 km de Conakry. Une femme et deux de ses gosses en partance à Faranah ont été installés sur des tabourets à l’allée du bus. La passagère et sa fille ont vomi durant tout le trajet. En plus d’emmerder les passagers avec leurs vomissures, elles inquiétaient, puisque très déshydratées. Elles ne tenaient presque pas débout, affichant un visage pâle. De 13h à 00h, au moment où on est arrivés à Faranah, le bus ne faisait pas 5 km sans que les deux passagères ne dégorgent. Un spectacle difficile pour leurs compagnons.
Obligation de contourner
Au lieu d’emprunter la route nationale Mamou-Faranah, longue de 195 km, le chauffeur a dû se transporter sur l’axe Mamou-Dabola de 149 km, avant de prendre la direction Dabola-Faranah, une route de 108 km jamais bitumée. Selon les chauffeurs, celle-ci était meilleure que l’axe reliant les deux capitales administratives (Mamou et Faranah), complètement dégradé.
Une vieille histoire
En Guinée, les époques changent, les problèmes de routes demeurent. En 2006, pour aller en Côte d’Ivoire via Nzérékoré, les chauffeurs étaient obligés de passer par l’axe Coyah-Kindia-Mamou-Dabola-Kouroussa-Kankan-Kérouané-Beyla. La route Kankan-Kérouané-Beyla-Nzérékoré de 441 kilomètres, comme Dabola-Faranah, n’a non plus jamais été bitumée. Il fallait parcourir cette distance plutôt que passer par Mamou-Faranah-Kissidougou-Guéckédou-Macenta-Nzérékoré, à cause du mauvais état du tronçon de 90 km séparant Guéckédou de Macenta, complètement coupé de la circulation, suite aux impacts des attaques rebelles de septembre 2000. 19 ans après, c’est maintenant l’axe Mamou-Faranah qu’il faut éviter à tout prix, pour la même réalité. A part l’axe Faranah-Kissidougou-Guéckédou-Macenta-Sérédou où la route nationale numéro 2 est bitumée, mais manque de bandeau de séparation avec de rares bornes kilométriques et des panneaux de signalisation vieillissants. Comme pour dire qu’en Guinée, c’est le développement à reculons. Seule exception, la route Guéckédou-Kondenbadou, 35 kilomètres, construite par l’Union européenne. Celle-ci dispose de bandeaux de séparation avec panneaux de signalisation et panneaux indiquant les noms des localités traversées. Pendant ce temps, des nids d’éléphant commencent à se développer entre Sérédou (Macenta) et Nzérékoré. La circulation y devient de plus en plus difficile. Si l’on y prend garde, l’année prochaine cette voie deviendra impraticable et rendra ainsi l’accès difficile à la capitale forestière, grenier du pays.

Mais, revenons à nos moutons. Pour faire Conakry-Nzérékoré via Kindia-Mamou-Dabola-Faranah notamment, nous avons fait 24h de parcours. De Nzérékoré, nous mettons le cap sur la Côte d’Ivoire via l’axe Nzérékoré-Lola. Bitumée, la route a besoin d’être rénovée. De Lola à la sous-préfecture de N’Zoo (frontière guinéo-ivoirienne), on roule par endroit sur une chaussée bitumée. Sauf que le chantier risque de perdurer au regard du reste des travaux à faire pour terminer les ouvrages de franchissement (ponts), notamment.
Racket « légalisé » à la frontière
A 16h, nous voilà à la frontière guinéo-ivoirienne. L’apprenti chauffeur prévient les passagers : « Préparez l’argent ! Ici, tout le monde paye. Que tu aies la carte d’identité ou pas. Il y a trois barrages : deux côté guinéen, un barrage côté ivoirien. A chaque barrage, ceux qui ont la carte d’identité payent 1 000 F CFA ou 10 000 GNF. Ceux qui n’en n’ont pas payent 2 000 F CFA ou 20 000 GNF. Préparez aussi vos cartes de vaccination ». Pour faire vite, il propose aux passagers de réunir leurs cartes et l’argent. Lui, il se porte volontiers d’aller les présenter aux agents et leur payer leur « dû ». Les passagers s’exécutent. La majorité détenait la carte d’identité. Chacun a casqué 3 000 F CFA, pour les trois barrages frontaliers. Au niveau de chaque, l’apprenti a tout « réglé ». Il suffisait à l’agent d’appeler le passager, pour que celui-ci se voit restitué sa carte d’identité.

Une fois au dernier cordon sécuritaire de la frontière, s’y trouvent des agents mixtes : militaires et gendarmes notamment. Le rançonnage se fait à ciel ouvert. Tout le monde est averti : pas de communication, les téléphones formellement interdits. « Mettez vos téléphones dans vos sacs ou dans vos poches. Ici, c’est sans pitié. Ils arracheront vos téléphones, si vous vous mettez à appeler quelqu’un, vous allez les perdre », indique aux passagers l’apprenti chauffeur. Dès l’arrivée de notre bus, un militaire a répété la même consigne en ces termes : « Ici, c’est la frontière, les téléphones sont interdits, pas de communication ». L’apprenti chauffeur paie et nous voilà sur le sol ivoirien. Là aussi, la consigne est claire : pas de téléphones. Il faut se mettre en rang et attendre qu’on soit appelé. Puisque l’apprenti chauffeur va se charger de payer aux agents l’argent que lui ont remis les passagers.
Ce protocole qui viole le principe de la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO dure trois petites heures. A l’aller comme au retour, on paie à ces trois endroits. Que l’on soit détenteur ou non d’une pièce d’identité reconnue par son Etat.

Rançonnage à géométrie variable
Seulement voilà, à la frontière ivoiro ghanéenne, quand les citoyens du Ghana ou de la Côte d’Ivoire arrivent aux postes frontaliers avec leurs pièces d’identité, ils ne paient aucun sou. En Guinée, Guinéen ou pas, il faut payer. Parfois, avec hargne, des militaires vous demandent de passer devant la table : « On s’en fout, ici, vous allez payer. Celui qui n’a pas de carte paye, celui qui en a aussi paye », s’écriait un militaire, visiblement âgé, le 26 mai dernier lors de notre retour en Guinée.
Fin du calvaire
Contrairement au calvaire inouï guinéen côté route, nous empruntons cette fois, côté ivoirien, une route bien faite, d’environ 684 km. Elle est nickel et parle clairement à ses usagers : bandeau de séparation, panneaux de signalisation au top, indication de chaque localité traversée. Que dire de sa dimension ? Tout simplement large. Bref, la Côte d’Ivoire s’est dotée de bonnes routes. De la frontière guinéo-ivoirienne à celle ivoiro ghanéenne, en passant par Abidjan, les zones traversées disposent de l’éclairage public. Seul bémol. Côté ghanéen, entre le poste frontalier Elubo et Accra (357 km), des travaux sont en cours sur une centaine de kilomètres. Ce qui rend la circulation un peu difficile. Sinon, les chauffeurs roulent « sans soucis ».
« Nous n’avons pas de télé »
Autres faits marquants de notre périple Conakry-Abidjan-Accra, c’est qu’à la frontière entre la Guinée et la Côte d’Ivoire, des guinéennes viennent vendre arachides, bananes, ananas ou du jus. Un passager fait remarquer que ces filles ayant entre 15 et 19 ans sont toutes des nourrices. « Pourquoi vous les petites filles comme ça, vous avez des bébés au dos ? ». « Ici, nous n’avons pas de télé, on va faire comment », a rétorqué l’une d’elles, ironisant ainsi sur le manque d’électricité dans leurs villages. Une conversation qui a ouvert un débat houleux sur le retard de la Guinée. Pourtant, le manque d’électricité n’explique pas forcément les mariages ou les rapports sexuels précoces.
Mamadou Adama Diallo, envoyé spécial