J’assume donc je suis !
Lorsqu’on a été au service d’un homme, de près ou de loin, peu ou prou, on ne peut ni l’oublier ni le renier, d’aucune façon et pour aucune raison. S’il a failli, on n’est pas, soi-même, exempt de reproches. On ne peut avoir été et cesser d’être en ne reconnaissant rien de ce qui est passé, en trichant avec l’histoire et en rusant avec les mémoires.

Si l’on a appartenu à un régime, il est bon de le rappeler, on reste solidaire de son bilan et comptable des actes posés. Certains furent là depuis le début, d’autres ont pris le train en marche, d’autres encore ont fait partie de la dernière ligne droite. La faute commise par chacun lui incombe au premier chef, mais la responsabilité est commune et doit être partagée. On a toujours tourné la page avant de l’avoir lue pour comprendre qui a fait quoi. Le droit d’inventaire s’est souvent limité à se venger d’affronts personnels et de frustrations subies. La reddition des comptes a consisté à traquer certains, non sans acharnement, à absoudre d’autres avec une once de complaisance et un brin de népotisme. Les sentences communes pour des péchés individuels profitent à beaucoup que la vérité accablerait et nuisent à d’autres qui ne demandent qu’à rendre compte pour que leur innocence ne soit pas ignorée ou bafouée.

Qui sommes-nous ?

L’homme revendique, sans ambages, voire avec fierté et bruit, ses exploits et succès. En revanche, il n’aime guère entendre parler de ses échecs ni qu’on lui rappelle les torts causés. Or, le bien et le mal sont deux faces d’une même médaille. Chacun a sa part d’ombres et de lumières. Il n’est demandé à personne la perfection absolue, mais il peut être exigé de chacun de donner le meilleur de lui-même, d’éviter de nuire autant que possible. On a le choix de faire l’ange ou de jouer au démon. Mais on ne peut espérer être respecté par tous ni prétendre se faire aimer et accepter de chacun. C’est pourquoi il est puéril de s’émouvoir des critiques, qu’elles soient bienveillantes ou diffamatoires, autant qu’il est imprudent de se laisser encenser et emporter par la mélodie des éloges, d’une grande douceur, mais d’un arrière-goût amer et d’un ton courtisan. Selon qu’on soit d’un côté ou de l’autre de la barrière, on peut être adulé ou crucifié. Selon les situations, on est jugé bon, méprisable ou haïssable. Personne ne sait si le paradis lui est réservé ou si c’est l’enfer qui l’attend. On ne manquera pas d’admirateurs sincères, on croisera chaque fois le chemin de détracteurs furieux.

Dieu, omnipotent et omniscient lui-même, n’est pas dispensé d’adversités ni ne bénéficie de l’amour, de la confiance et de la loyauté de tous. Alors, ce n’est pas le commun des mortels qui peut s’attendre à un plébiscite unanime.

C’est pourquoi, même si c’est légitime de vouloir plaire à tout le monde et d’œuvrer à vivre en harmonie avec les autres, c’est une aspiration désespérée et un but inaccessible. Il est plus aisé, et aussi plus noble, de s’appliquer à ne pas nuire pour nuire, en bouleversant des vies paisibles et brisant des avenirs prometteurs.

Quoi qu’il lui arrive cependant, l’homme doit rester égal à lui-même, en toutes circonstances garder la tête froide, dans les pires moments, assumer son passé, clair-obscur, protéger son avenir, tant précieux que fragile, car il est la conséquence directe des propos et des actes d’aujourd’hui. En clair, nul n’est étranger à son sort et personne n’est condamné, de prime abord, au pire s’il arrive à distinguer le bien du mal, les valeurs et quêtes communes des intérêts personnels et des visées individuelles. Défier l’histoire et le peuple n’est pas une planche de salut, froisser les consciences, exalter les colères et nourrir les frustrations est un chemin périlleux. Mal faire et agir à tue-tête n’est en rien une fatalité.

C’est le droit de qui n’a pas servi ni n’a trempé dans rien de hausser le ton, distribuer les bons et les mauvais points. C’est le devoir de qui a été aux affaires ou a milité pour un politique de partager son expérience, souvent douloureuse, avec les autres qui sont libres d’en faire ce que bon leur semble. À eux de juger si l’éclat des bonnes actions n’est pas éclipsé par l’ombre des dérives et de tous les cadavres dans le placard. Tout le monde doit avoir droit à une parole libre, car le silence résigné ou la censure forcée ne profitent ni à la vérité ni à la justice. Personne ne doit s’offusquer de n’avoir pas appris à la tâche ou de se voir interpellé pour des erreurs ou insuffisances inhérentes à toute entreprise.

Un dirigeant en exercice ou n’étant plus en responsabilité a le devoir civique et l’obligation morale de se prononcer sur tous les sujets, sous la lumière des projecteurs ou dans la quiétude des jours de profonde méditation et d’introspection. Il suffit de s’assumer avec courage et dignité, et d’affronter sans faiblir ni frémir les préjugés, rancœurs et clameurs des procès publics, expéditifs et passionnels. La liberté ne se négocie pas, il y a des combats qui ne peuvent être ajournés.

Osons nous assumer, quel qu’en soit le prix, pour que nous ne soyons pas submergés par les dogmes du reniement et du revirement qui, si l’on n’y prend garde, s’imposeront comme règle de vie et culture politique.

On a trop vu et entendu les plus mauvais d’entre nous, on aimerait entendre d’autres sons de cloche qui nous fassent sentir meilleurs et aideront à retrouver confiance en notre pays.

Tibou Kamara