La nuit du 21 juin, aux environs de 3h, l’avocat et ancien bâtonnier, Mohamed Traoré, a été enlevé à son domicile à Sonfonia par des hommes encagoulés. Six heures après, il a été relâché entre Coyah et Kindia, non sans avoir été copieusement molesté.
Selon le Barreau de Guinée, l’avocat a été torturé avant d’être abandonné dans un état d’inconscience, dans la localité de Bangouyah, à 70 km à l’est de Conakry (préfecture de Kindia). Très critique de la gestion de la transition, Me Mohamed Traoré aurait essuyé des menaces de mort proférées par ses ravisseurs.
C’est un vent de panique qui s’est emparé de sa famille la nuit de l’enlèvement, survenu au domicile familial à Sonfonia. Des visiteurs à 3h du matin ? C’est inhabituel. L’avocat est revenu de La Mecque où il effectué le pèlerinage, le 18 juin. Les visiteurs indésirables, des agents en civil armés, ont escaladé la cour, défoncé la porte du salon, avant de faire irruption dans la maison. « Ils ont dit chercher un certain M. Keita. Quand ils ont vu la photo de Maître Traoré suspendue au salon, ils ont finalement dit que c’est lui. Ils ont demandé à Maître Traoré de les suivre. A la sortie, ils ont giflé mon mari, avant de partir avec lui », a expliqué Mme Traoré Aminata Diallo, sous le choc.
« Cinq cents coups de fouet »
Aux environs de 10h, samedi 21 juin, la famille a été informée de sa libération. Mais prudente, ignorant dans quelles circonstances et son état de santé, Mme Traoré n’a confirmé l’info que vers 12h 30. « Je suis soulagée, il paraît qu’ils l’ont libéré. J’ai parlé avec mon fils, il m’a dit qu’ils sont ensemble », s’est-elle réjouie.
C’est finalement le Barreau de Guinée qui a fourni les détails de l’enlèvement. L’ancien bâtonnier, qui a récemment démissionné du Conseil national de transition (CNRT), a été sérieusement maltraité. Ses ravisseurs lui auraient dit que ce n’était qu’un avertissement et que la prochaine fois, ils le tueront. « Au cours de sa séquestration, il a été allongé au sol puis cruellement fouetté. Le chef présumé de l’opération a donné l’ordre explicite de ne pas interrompre la flagellation avant d’atteindre cinq cents (500) coups. Le dos de Maître Traoré est couvert de plaies, signes manifestes des sévices subis. Son visage a été couvert de force à l’aide d’un habit dans une tentative manifeste de l’asphyxier. Il a ensuite été roué de coups, menacé de mort, injurié avec des propos à caractère communautariste », détaille un communiqué du Conseil de l’ordre des avocats de Guinée.
Soins médicaux d’urgence
Les agresseurs en voudraient à l’avocat notamment d’avoir démissionné du CNT, à l’expiration de la durée des deux ans de transition convenue lors du dialogue national, sous la supervision de la Cedeao. Me Mohamed Traoré est également connu pour ses écrits critiques envers le pouvoir. Ce qui n’est pas nouveau pour ce militant du Front national pour la défense de la constitution qui s’était opposé au 3ème mandat de l’ancien président Alpha Grimpeur, et qui récemment, faisaient partie des avocats qui ont défendu l’opposant Aliou Bah, condamné à deux ans de prison pour « offense » à Mamadi Doum-bouillant.

Citant un témoin rencontré chez les Traoré, le Barreau explique que l’un des ravisseurs portait un pantalon en uniforme semblable à celui d’un pandore. Me Traoré n’aurait dû son salut qu’à une intervention rapide, suivie de son évacuation vers un lieu sécurisé, pour y recevoir des soins médicaux d’urgence.
Pour le Barreau, cet acte est une « atteinte intolérable » à l’indépendance de la profession d’avocat, aux libertés fondamentales et à l’État de droit. «Le Barreau exige que toute la lumière soit faite, sans délai, sur les auteurs, exécutants, complices et commanditaires de cette opération ignoble. Il requiert l’engagement immédiat de poursuites judiciaires effectives, indépendantes et impartiales ».
Pour le Barreau, les circonstances de l’enlèvement, notamment la présence d’individus en tenue partielle, l’usage de moyens logistiques sophistiqués, la nature des menaces proférées et le fait que les assaillants aient traversé sans encombre de nombreux check-points tenus par les forces de défense et de sécurité excluent toute hypothèse de banditisme ordinaire. Il dénonce une opération planifiée, exécutée avec des complicités actives ou passives au sein de structures étatiques. « Une Assemblée générale extraordinaire du Barreau sera convoquée dans les prochains jours pour délibérer sur les actions à entreprendre », annonce le Conseil de l’ordre. Au moment où nous allions sous presse, cette assemblée a été programmée lundi 23 juin, à Kaloum.
Vagues d’indignations
Les acteurs politiques et de la société civile ont réagi à cet enlèvement qui fait suite aux kidnappings de Foniké Menguè et Billo Bah du FNDC, du journaliste Habib Marouane Camara, de l’activiste Abdoul Sacko et du cadre ministère des Mines Saadou Nimaga. Le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée, la Petite Cellule Dalein Diallo, dénonce l’indifférence des Guinéens. « Maître Mohamed Traoré s’est toujours exprimé en faveur du respect de nos lois, du serment de nos dirigeants et des engagements internationaux de la République de Guinée. Il n’a cessé de dénoncer les velléités de confiscation du pouvoir, les violations des droits humains et des libertés fondamentales. Il a publiquement condamné les disparitions forcées, l’assassinat impuni de jeunes manifestants, les détentions arbitraires et les entraves à la liberté de la presse. »
L’OGDH (Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du itoyen) de rappeler que les avocats sont les sentinelles de l’État de droit. « L’OGDH en appelle à sa corporation ainsi qu’à l’Association des magistrats de Guinée, afin d’engager des actions citoyennes d’urgence pour garantir sa sécurité, celle de sa famille ainsi que de toutes les personnes se trouvant dans la même situation que lui. Enfin, l’OGDH en appelle aux autorités judiciaires à diligenter des enquêtes sérieuses rapidement pour le présent cas mais aussi à communiquer sur le niveau d’avancement des enquêtes des autres victimes de cette pratique ».
La série noire continue. Jusqu’à quand ?
Ibn Adama