La Guinée connaît une pénurie de ciment, qui entraîne une hausse des prix du sac (quand on en trouve). Une disette due à une insuffisance de logistique, les camionneurs préférant se tourner vers le projet Siman-doux pour des recettes plus alléchantes. Explications !

Le sac de ciment qui se négociait à 75 000 francs glissants chez les détaillants, se vend aujourd’hui entre 80 à 100 000 francs glissants à Cona-cris. Du moins si on en trouve. La capitale et environs, tout comme dans l’arrière bled, la crise de ciment persiste. Difficile de s’offrir un sac. Ce qui fait monter en flèche les prix. « Un sac, c’est à 90 000 francs. Pas de négociation, car on ne gagne même plus le ciment. Je n’ai pas reçu la commande que j’ai faite il y a deux semaines », se plaint un vendeur au rond-point de Cosa, ayant requis l’anonymat. Les points de vente de ciment le long de l’autoroute Leprince sont quasiment vides. De Cosa à la Cimenterie, nous n’avons trouvé que deux magasins qui en disposent. Et leurs proprios disent que c’est déjà acheté.

El Hadj Mamadou Dian Diallo, vendeur à Kobaya, commune de Lambanyi, dit n’avoir augmenté que 5 000 francs glissants sur chaque sac. Il justifie la hausse du fait que le prix du transport a grimpé. Chaque mois, El Hadj Mamadou Dian Diallo commandait 6 à 8 camions remorques de 40 tonnes chacun. Ce qui n’est plus possible aujourd’hui. « Actuellement, c’est à peine qu’on trouve un camion pour transporter le ciment. Si on en trouve, le transport est trop cher. Sûrement, les camionneurs ont eu ailleurs où ça paie mieux. J’ai fait un mois sans avoir aucun sac de ciment. C’est aujourd’hui (vendredi 30 mai Ndlr) que j’en ai eu. » Le commerçant lance un appel aux autorités. « Nous voulons la forte implication des autorités. Il faut vraiment revoir la situation. C’est tout le monde qui en souffre, mais nous sommes les plus impactés. Je n’ai pas d’autre boulot. Comment vais-je avoir de quoi nourrir ma famille, payer le loyer ? Ce n’est pas facile ».

La version des cimenteries

Jointe par notre rédaction, Fanta Keïta, directrice marketing de la société Ciment de Guinée, assure que son entreprise n’a pas baissé sa production habituelle. Pour elle, le manque de ciment est certainement lié à l’affluence des gros porteurs vers le mégaprojet Simandou. La construction des infrastructures ferroviaires, dans le cadre du Transguinéen, les attirerait, au détriment des cimenteries. « Nous produisons comme d’habitude. La cause de cette pénurie, c’est la logistique. Il n’y pas de camions pour approvisionner les zones de vente. Tous les camions sont allés vers Simandou, parce que ça paie mieux là-bas. C’est la principale raison. Nous avons suffisamment de production », insiste-t-elle avant d’ajouter : « Il y a aussi deux usines (concurrentes) qui sont en panne, d’où la forte demande à Ciment de Guinée ».

Un chauffard de camion confirme l’absence des camions dans les usines : « Je viens de l’usine de Cimaf, mais il n’y a aucun camion là-bas. Ce qui est très rare depuis des semaines. Ils sont tous partis à Simandou ».

Son de cloche du ministère du Commerce

Le mystère du Commerce, de l’industrie et des PME a rencontré les cimentiers, pour identifier les causes de la crise. Lopez Yombouno, chargé de Com du département, confirme que les autorités de tutelle n’ignorent pas la situation. « Nous sommes au courant et la semaine dernière, nous avons rencontré les cimentiers. Ils nous ont assurés qu’ils produisent normalement. Mais il y a un problème de logistique. Les camions qui sont sur le marché sont désormais beaucoup plus focalisés sur Simandou », déclare-t-il, avant d’ajouter. « Pour ceux de l’intérieur du pays, il y a aussi le mauvais état de nos routes, beaucoup des conducteurs n’acceptent pas le risque d’aller dans ces régions ».

Certains con(.)frères soutiennent que le ciment produit est orienté aux travaux de construction du projet Simandou. L’hypothèse ne semble pas faire l’unanimité. « Le ciment utilisé dans le cadre du projet Simandou est en grande partie importé. L’objectif était justement d’éviter cette rupture qui pourrait occasionner une hausse de prix », réagit une source proche de Rio Tinto Simfer. « Je ne connais que trois sociétés qui ont signé de contrats de transport avec Rio Tinto : Ama, GPC et Africa transports. La plupart de camions qui transportent du ciment en Guinée ne sont pas dans les normes pour travailler avec Simfer en tout cas », renchérit la même source. Allusion à un contrat de 120 millions de dollars ricains signés en octobre 2023, pour une durée de trois ans, portant sur l’acheminement, entre la capitale et Beyla, du fret, du transport de gros engins de terrassement…

Un projet en plein régime

Une source proche de Winning consortium Simandou confirme, en revanche, l’impact du projet Simandou sur le marché du ciment en Guinée : « Il y a énormément de camions qui sont impliqués dans le projet. Le chantier tourne à plein régime. Les dernières cargaisons de rails sont arrivées. On a des gros besoins en transport. » « Il y a des types de ciment qu’on n’achète pas en Guinée, renchérit-elle. Au départ, le gouvernement avait exigé qu’on achète le ciment ici. Mais après s’être rendu compte que la production nationale ne pouvait pas suffire, l’État a autorisé l’importation. 80 % des travaux de construction du chemin de fer et du port sont à la charge de WCS. Simfer n’a que 80 km de rails d’embranchement à réaliser. Donc nous n’avons pas les mêmes besoins en termes de logistique. »

Souleymane Bah