Un communiqué du ministre du Travail et de la fonction publique, Faya François Bourouno, a « exceptionnellement » fait des journées du 9 et du 10 juin fériées, chômées et payées sur toute l’étendue du territoire national. Une décision illégale, improvisée et inopinée, prise dans l’unique but de prolonger la célébration de la Tabaski, notamment la Mamaya de Kankan qui a été rehaussée des pas de danse du président de la transition.   

Ledit communiqué publié sur le tard dimanche 8 juin, ne vise aucune loi. « A l’occasion de la commémoration de la fête de Tabaski, le ministre […] porte à la connaissance des travailleuses, des travailleurs et agents des servics public, privé et mixte que les journées du lundi 9 et du mardi 10 juin 2025 sont exceptionnellement déclarées fériées, chômées et payées sur toute l’étendue du territoire national », se contente de proclamer le document signé, pour ordre (PO), du directeur général de la Fonction publique, Karamba Guirassy.

Habituellement, pour déclarer une journée fériée, le ministre du Travail vise le décret 0526 du 2 novembre 2022, lequel modifie le décret 250 du 1er août 1995 relatif aux fêtes légales en République de Guinée. Le premier texte signé de la main du général Mamadi Doumbouya liste les jours fériés chômés et payés ainsi qu’il suit : Fête nationale du 2-Octobre; nouvel an (1er janvier); lundi de Pâques; 1er et 25 mai (respectivement fêtes du travail et de l’Union africaine); lendemain de Laylatoul Qadr (ou la Nuit du destin); fête de l’Aïd el-fitr (fin du ramadan); celle de l’Aïd el-Kébir (Tabaski) et le lendemain; Noël (25 décembre); lendemain de la nuit du Maouloud et le 15 août (Assomption).

Parmi ces douze fêtes, si trois d’entre elles  (2-Octobre, nouvel An et l’Aïd el-fitr) tombent un jour non ouvrable, le prochain jour ouvrable est déclaré férié (article 2 dudit décret). C’est tout. Autant dire que commémorer la Tabaski pendant près d’une semaine est un fait du prince dépourvu de base légale.

François Faya Bourouno

Dans sa précédente livraison (numéro 1477 du 4 juin 2025), La Lance a, dans un dossier spécial Tabaski, fait le tour de la célébration de l’Aïd el-Kébir en Guinée en expliquant notamment comment, au-delà de son caractère festif, elle impulse le développement à la base, encourage le retour aux sources et lutte contre l’exode rural. L’organisation de la Mamaya depuis 85 ans l’illustre bien à Kankan. Le général Mamadi Doumbouya est membre du Sèdè Dandiya No4, qui organise cette manifestation culturelle pour une période de 5 ans (2023-2027). « Le Président est un élément important, il n’a jamais oublié le Sèdè. Il y contribue, comme tout le monde », confiait à notre rédaction le coordinateur de l’événement, Mamoudou Diana Kaba.

Le pays à l’arrêt

Que la Grande Mamaya ait doté Kankan (voire au-delà) d’écoles, de morgue, de forages…est louable; que le président Doumbouya conserve jalousement ses racines est admirable. Mais le Nabaya a beau passer pour le cœur battant du pays en cette période de transition, la vie nationale ne s’arrête pas sur les berges du Milo. Et son fils, Mamadi Doumbouya, est désormais appelé – y compris par ceux qui feignent de l’aimer le plus, le père de la nation. Non pas pour son âge, loin s’en faut, mais en raison de la charge présidentielle qu’il incarne.

De ce fait, on ne saurait proclamer des jours fériés à chaque fois qu’il ira danser la Mamaya à Kankan. Et cela d’autant que le « père de la nation » est aussi bien en famille qu’à Nzérékoré, Kindia, Labé qu’à Faranah.

Déjà, les activités économiques étaient à l’arrêt, les Guinéens dans l’ambiance de la fête toute la semaine écoulée. Le 4 juin, une colonne de plusieurs dizaines de véhicules, dont une vingtaine de blindés, a quitté la capitale pour Kankan. Quatre jours plus tard, dimanche 8 juin, la Route nationale numéro un était interdite de circulation aux gros porteurs. À l’aire de repos de Linsan (Kindia), les voyageurs étaient contraints de stationner à bonne distance pour aller se restaurer. Tout est complètement dégagé « pour ne pas gêner le retour du cortège présidentiel », précise un gendarme. Le long de la RN1, notamment au niveau des villes traversées, les dispositifs sécuritaires étaient massivement déployés…par apparemment des personnes ignorant tout de l’agenda présidentiel. Car au même moment, le général Doumbouya esquissait des pas de danse au Stade M’Balou Mady Diakité, encouragé par des laudateurs comme Païkoun Saré et Makosso. Et le lendemain matin, premier jour de la semaine, ceux qui s’étaient empressés d’aller au bureau pour reprendre du service apprennent, désemparés, que la fête ne fait que commencer.

Diawo Labboyah Barry