Grilles de programmes perturbées, journalistes licenciés : la suspension de la radio Voice of America (VOA) par le gouvernement américain, dont les programmes étaient retransmis dans tous les pays d’Afrique subsaharienne via plus d’un millier de partenaires locaux, fragilise l’accès à une information fiable et plurielle. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un recul majeur du droit à l’information sur le continent et exhorte la communauté internationale à trouver des solutions alternatives pour remédier à la situation.
Cela fait plus de quatre mois que le silence radio a sevré des millions d’auditeurs et de téléspectateurs d’informations. Voice of America (VOA), radiodiffuseur public extérieur américain présent en Afrique, a suspendu l’ensemble de ses émissions télévisées et de ses programmes radiophoniques consacrés au continent africain, mettant fin à 62 ans d’activité.
De la République démocratique du Congo (RDC) aux pays du Sahel, en passant par le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, cette suspension représente une perte majeure d’accès à une information libre et fiable pour les millions de personnes, qui s’informaient principalement grâce aux télévisions locales ou aux radios communautaires qui relayaient, en langues nationales, les programmes de VOA.
« Le démantèlement brutal de VOA, décidé par l’administration Trump, a créé un vide informationnel inquiétant, en particulier dans les zones rurales du continent africain. Des radios communautaires sont ainsi privées de programmes en langues locales produits par VOA. Faute de moyens, elles ont diminué le nombre de leurs émissions, perdant chaque jour un peu plus d’audience et mettant en péril leur existence même, dans certains pays où ces radios n’ont aucun soutien de leurs institutions. C’est pourquoi RSF poursuit l’administration Trump à Washington pour défendre et réintégrer le personnel de VOA », déclare Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.
Plus de 20 millions d’auditeurs en Kiswahili impactés à l’est de la RDC
En RDC, l’arrêt des programmes de VOA en kiswahili constitue une perte considérable pour les millions de locuteurs de cette langue. Les responsables de radios communautaires, qui rediffusaient ces contenus, se disent incapables de combler ce vide dans leurs programmes. “On ne sait plus comment remplir les cases de la grille”, explique le directeur de la Radio Soleil, qui émet depuis Butembo, à l’est du pays, Kennedy Wema. Dans cette zone de la RDC, VOA était relayée par plus de 50 stations communautaires, touchant plus de 20 millions d’auditeurs, selon un journaliste membre d’un collectif local, qui requiert l’anonymat pour des raisons de sécurité. “Dans les zones sous l’occupation du M23, les radios locales peinent à produire un contenu complet à cause de l’insécurité”, souligne-t-il. Dans ce contexte, « VOA représentait une source d’informations équilibrées pour la population, en donnant la parole à toutes les parties impliquées dans le processus de paix », ajoute-t-il.
Au Niger, le dernier bulletin de VOA a été diffusé en haoussa et en français le 14 mars avant de s’interrompre. Depuis, « les auditeurs se retrouvent désorientés, dépendants des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux et dans les groupes WhatsApp », s’indigne un responsable de radio communautaire basé au nord du pays. Le service en haoussa de VOA pouvait atteindre jusqu’à 80 millions de personnes dans les zones rurales d’Afrique de l’Ouest et au Cameroun.
Audience jusque dans les pays qui l’ont suspendu
VOA était écoutée même dans les pays qui lui avaient fermé leurs portes. Au Burundi, où la chaîne est suspendue depuis la crise politico-sécuritaire de 2015, une partie de la population arrivait encore à y accéder via les smartphones pour consulter les informations censurées par les médias locaux. “Il existait des groupes WhatsApp pour se partager certaines émissions en langues kirundi ou kinyarwanda. La suspension de VOA prive une partie de la classe politique et d’autres acteurs clés d’un espace de libre expression”, témoigne, auprès de RSF, un journaliste burundais sous couvert d’anonymat.
Au Zimbabwe, VOA rapprochait les populations des zones marginalisées de l’actualité nationale et internationale. La suspension met également fin à 23 ans de diffusion de Studio 7, une émission consacrée à l’actualité locale, financée par VOA, produite avec un vaste réseau de journalistes locaux et de correspondants.
Cette fermeture brutale a d’ailleurs laissé de nombreux correspondants sur le carreau. Par exemple, à Goma, quatre journalistes – “parmi les plus brillants” selon un membre du collectif de radios communautaires – se sont retrouvés au chômage. La chaîne soutenait aussi ses partenaires à travers des formations et un appui matériel : autant de ressources devenues inaccessibles depuis l’arrêt de ses activités le 15 mars.
RSF aux côtés de VOA
Depuis mars 2025, RSF mène une bataille juridique et médiatique pour défendre VOA, menacée de démantèlement par un décret de l’administration Trump. L’organisation, aux côtés des employés et syndicats de VOA, a déposé une plainte qui a permis d’obtenir une suspension provisoire du décret, puis une injonction préliminaire ordonnant la réintégration des 1 300 employés et la reprise des programmes. RSF dénonce également la mise à l’écart forcée des journalistes étrangers et les risques pour la liberté de la presse à l’échelle mondiale. Malgré les recours de l’administration Trump, RSF poursuit ses actions afin de garantir l’indépendance éditoriale et la survie de VOA.
Reporters sans frontières