En cette terre de Guinée, où la réalité aime les pirouettes, il n’est pas rare de voir deux amis, assis côte à côte sous le même manguier, regarder la même scène et en tirer des conclusions aussi opposées que le jour et la nuit. L’un y verra la main de Dieu, l’autre la patte du diable ; l’un parlera de miracle, l’autre de pure folie. Et pourtant, ils contemplent le même chaos.
Nos gouvernants, par exemple, quand ils parlent de la crise de liquidités dans les banques, c’est comme s’ils décrivaient un simple rhume. Hé Kéla ! Pour eux, c’est un « ajustement monétaire nécessaire », une « phase transitoire vers la prospérité », ou, au mieux, « les aléas du marché local ».
Ils te sortent des graphiques, des chiffres qui dansent la salsa, et te jurent que demain, les billets vont pleuvoir comme la mousson sur le Foutah. Ils voient des banques « assainies », « restructurées », prêtes à bondir vers un futur où l’argent coule à flots… mais sur leurs comptes en Suisse, Wallahi !
Par Toutatis, mes amis, la situation de nos banques est devenue une vraie comédie de boulevard ! Nos officiels courent dans tous les sens comme des poulets sans tête. Les uns te disent que c’est une simple « crise de liquidités », un terme savant pour dire que l’argent est parti se promener ailleurs. Les autres, plus directs et moins poétiques, parlent carrément de « crise de billets », comme si les billets de banque avaient décidé de prendre des vacances sans prévenir.
Mais du côté des gouvernés, la vision est un peu différente, et l’odeur n’est pas la même. On regarde ce spectacle avec les yeux d’un gamin à qui on a promis un gâteau, mais à qui on donne une pierre. Wallahi, on dirait que l’argent s’est transformé en fantôme, et que nos banques sont devenues des maisons hantées où seul le désespoir résonne. On en rirait si ce n’était pas si triste ! À Fakoudou !
Pour la brave ménagère qui se tient devant le guichet vide, la crise de liquidités, c’est le frigo désespérément vide, le loyer en retard qui te met la boule au ventre, l’enfant malade qu’on ne peut pas soigner. Pour elle, « asséché », ça veut dire qu’il n’y a plus une seule goutte de salive pour avaler la pilule amère, pas un seul billet pour acheter le kilo de riz quotidien. Ce n’est pas une « phase transitoire », c’est une faim qui dure, une dignité qui s’effrite. Les banques, pour eux, ne sont pas en « ajustement », elles sont juste devenues des musées où l’argent est une pièce de collection qu’on ne peut qu’admirer de loin. Hé Kéla !
Et comme si l’absurdité ne suffisait pas, Wallahi, on nous balance maintenant une nouvelle Constitution, la septième depuis 1958 ! Sept constitutions, mes amis, et pour quel résultat ! À quoi sert une Constitution quand personne ne respecte le code de la circulation ? Comment un chauffard qui brûle les feux tricolores comme des allumettes va-t-il s’attacher au respect d’une loi plus forte, plus sacrée, celle qui est censée organiser toute la nation ?
C’est ça, la blague ! La loi, pour eux, ce n’est pas un guide, c’est un simple chrono pour gagner du temps, une astuce pour prolonger la transition et faire durer le plaisir. C’est un grand spectacle pour contenter le peuple, pour lui donner l’impression que « ça bouge », que « ça travaille », alors qu’en réalité, on tourne en rond comme une toupie sans fil. La Constitution, c’est devenu une jolie vitrine pour cacher un magasin vide, un grigri pour endormir les consciences. À Fakoudou !
Wallahi, mes amis, c’est ça la Guinée ! On te jure, la main sur le palpitant et l’autre sur la nouvelle Constitution (la septième, on n’arrête pas le progrès !), qu’on va promouvoir la participation des Guinéens établis à l’étranger.
- « Venez, mes frères et sœurs de la diaspora, votre pays vous appelle ! », qu’ils disent. Mais dès qu’il s’agit de les faire recenser, de leur donner une chance de figurer sur une liste, ah là, ça devient un parcours du combattant. On les bloque avec zèle. C’est ça notre nouvelle définition de la participation citoyenne : une invitation au bal, mais sans droit d’entrée. Alléluia !
Wallahi, mes amis, à l’allure où vont les choses en Guinée, et avec tous les obstacles qu’on met sur le chemin des listes électorales, du recensement et de l’opposition en télétravail, on dirait bien que le candidat du pouvoir sera le seul à se présenter pour la grande course ! Il va se retrouver seul face à lui-même, à faire campagne devant un miroir, serrant les mains et distribuant des promesses à son propre reflet. On aura une élection où le seul suspens sera de savoir s’il va voter pour lui-même ou s’abstenir par manque d’adversaire. La démocratie à la guinéenne, Wallahi ! un match où une seule équipe est sur le terrain, et où elle marque contre son camp par ennui. À Fakoudou !
Et sur le terrain, la vie est dure comme un galet. L’autre semaine, après deux jours de pluie biblique, un homme part chercher à manger… et finit emporté par les torrents. Triste, mais que faire ? On a prié pour lui, et pour nous qui restons là, à regarder le ciel. Wallahi, certains mangent une fois par jour, et ça aussi, faut pas exagérer ! Bientôt, on va faire des jeûnes forcés qui dureront des semaines, et nos ventres creux feront plus de vacarme que le concert de Black M à Conakry. Hé Kéla !
Malgré tout, certains rient encore, pour ne pas fondre en larmes. Comme mon matou qui me chuchote à l’oreille : — Et si on lançait la « journée nationale du fou rire » ? Un moment où les gouvernants doivent raconter leurs promesses pour que le peuple rigole… jusqu’à ce que même les banquiers cessent de pleurer à la caisse !
Mon chat est décidément plus lucide que certains minustres… et surtout beaucoup plus drôle ! À Fakoudou !
Sambégou Diallo
Billet
Un chat m’a conté
Quand la République se regarde dans son miroir, s’étouffe de son propre reflet — trop gros, trop vide, trop triste. Elle sort ses lois, ses cris, ses sourires forcés, espérant qu’un jour quelqu’un rira avec elle et non contre elle. Mais pour l’instant, tout ce qu’on a, ce sont des rires suspendus, des lois obsolètes, des banques fantômes… et un peuple qui rit parce qu’il n’a pas le choix. Alors, rions, frères Guinéens, rions. Rions avant que nos ventres ne se mettent à hurler plus fort que les tambours. À Fakoudou !
SD