Bienvenue en Guinée, mes amis ! Où le théâtre de l’absurde se joue à chaque coin de rue, sans décorum ni répétition. Ici, la vie est une improvisation constante, un mélange de tragédie et de comédie où les acteurs ne connaissent jamais la fin de la pièce. Et nous, spectateurs malgré nous, on oscille entre le rire nerveux et le soupir résigné. Wallahi, c’est ça notre quotidien, un feuilleton rocambolesque où le prochain épisode est toujours plus surprenant. Hé Kéla !
En Guinée, la saison des pluies, Wallahi, c’est pas juste des gouttes d’eau qui tombent, c’est une véritable loterie de la survie ! Chaque année, le ciel ouvre ses vannes comme un robinet cassé, et les rues de Conakry se transforment en rivières déchaînées, plus imprévisibles que la politique locale. Combien de débrouillards, de ceux qui mouillent le maillot (et tout le reste !) pour un maigre repas, ont été emportés par ces pluies diluviennes ? Des taxi-motards qui tentaient de braver les torrents, des étudiants qui cherchaient juste à rejoindre la fac, de simples citoyens en quête de nourriture pour la famille… emportés comme des feuilles mortes dans un caniveau géant. Triste, mais que faire ? On prie pour eux, et pour nous qui restons là, à regarder le ciel avec la même angoisse que devant un guichet de banque vide. Hé Kéla !
Pendant ce temps, les gros bonnets, eux, sont protégés comme des œufs de djinns. Leurs 4×4 flambant neufs fendent les eaux sans encombre, leurs villas perchées sur les hauteurs ignorent les inondations qui défigurent Conakry. Ils commentent la « situation humanitaire » depuis leurs salons climatisés, un verre à la main, persuadés que les torrents, comme la misère, ne montent jamais jusqu’à chez eux. Wallahi, même la pluie, chez nous, sait faire la part des choses : elle emporte les pauvres et respecte les riches. À Fakoudou !
La pauvreté galopante ! Elle court plus vite que le lièvre de la fable, et personne ne semble vouloir lui mettre un bâton dans les roues. Elle s’étale dans les rues, s’accroche aux visages, et s’installe dans les ventres comme une locataire indésirable. La pauvreté, chez nous, n’est pas une statistique, c’est une pièce de théâtre jouée à guichets ouverts, du matin au soir. Tu vois des gens qui fouillent les poubelles avec dignité, des gamins qui te tendent la main avec des yeux plus grands que leur faim, et des adultes qui vendent leur âme pour quelques francs qui ne valent même plus le prix du sel. Hé Kéla !
Le plus drôle, enfin, si on peut rire de ça, c’est que nos dirigeants parlent de « croissance économique », de « potentiel inexploité », de « chiffres prometteurs ». On dirait qu’ils ont des lunettes spéciales qui leur montrent une Guinée que nous, le commun des mortels, ne voyons jamais. Une Guinée où le frigo est toujours plein et où les ventres chantent des hymnes à la prospérité. Wallahi, on se demande s’ils ne vivent pas sur une autre planète, ou s’ils ont juste oublié de débrancher leur téléviseur sur la chaîne de la téléréalité. La pauvreté, pour eux, c’est juste un concept, pas la réalité qui te colle à la peau comme une sangsue. À Fakoudou !
L’autre jour, j’étais attablé au « Café du Peuple », un maquis où les rumeurs sont plus fraîches que le jus de bissap. Il y avait quelqu’un qui, sirotant son thé au citron, a entamé la discussion, la voix pleine de sagesse et de fatalisme.
— « Mon fils », a-t-il dit en balançant sa tête, « on parle de référendum, de candidatures, de la grande course. Mais qui, Wallahi, qui osera se mettre sur le chemin de notre Général ? On le voit partout, il parle à tout le monde. Cependant, où sont les opposants ? »
Un jeune, qui écoutait d’une oreille distraite en tripotant son téléphone, a ri : « Mais papa, il y a bien des partis, des coalitions, non ? »
Le vieux a soupiré, un rire sec sortant de sa gorge. « Des partis ? Des coalitions ? Mon fils, notre Général, c’est un homme de consensus, Wallahi ! Il aime tout le monde ! Et tout le monde l’aime ! Les gros, les grosses, les maigres, les maigrettes. Si tu as le bonheur de vouloir te présenter contre lui, il te nomme quelque part, t’offre un bureau climatisé. Et si ça te suffit pas, il te demande gentiment d’aller voir ailleurs ! »
Le vieux a fait une pause, le regard perçant. « Et puis, Wallahi, qui a les hommes ? Qui a le fusil ? On nous dit que les militaires ne savent pas tirer. Mais ici, quand ils tirent, ils tirent pour de bon ! Mon Général, lui, il sait tirer Yaati ! Même Facebook l’a filmé sur le champ de tir, hé Kéla ! Un civil est un civil, mon fils. Tu vas à la chasse au singe, est-ce que tu demandes si le singe a le droit de vote ? Non ! Tu tires, point final. »
Le vieux a bu une gorgée de son thé, puis a ajouté : « Wallahi ! Allah est grand ! Sinon, comment un petit militaire, comme ceux que tu vois partout, pourrait-il donner à manger à toutes ces femmes, tous ces gosses, tous ces parents qui dépendent de lui ? Il y a la tenue, le fusil et chacun son tour. Alors, la grande course, mon fils, sera une course solitaire. Le Général face à son propre reflet. Et je te garantis qu’il gagnera à l’unanimité ! À Fakoudou ! »
Le silence s’est fait au café, l’amertume du thé se mêlant au goût étrange de la démocratie made in Guinée. Un modèle qui s’accommode de notre réalité. Ne l’a-t-on pas dit à la tribune des Nations Unies ?
Et puis, il y a les téméraires, Wallahi ! Ceux-là, c’est une autre race. Ce sont parfois des politiques. Ou bien des gens ordinaires, qui ont le malheur d’avoir un grain de sable là où il faudrait une pierre. Un grain de courage, de vérité, ou juste une idée un peu trop grande pour cette Guinée. Ils osent lever la voix quand les autres baissent la tête, ils osent demander « pourquoi ? » quand tout le monde murmure « c’est bien ? ».
On les voit s’exprimer, organiser des petites manifestations, écrire des brûlots, ou simplement refuser de rentrer dans le rang. Hé Kéla ! Ils savent pourtant que le chemin est semé d’embûches, de convocations inopinées, de séjours « tout inclus » derrière les barreaux, ou de disparitions plus mystérieuses que la recette de l’éternité. Mais ils y vont, le cœur vaillant et l’esprit un peu fou. On dirait des papillons de nuit qui volent droit vers la flamme, sachant qu’ils vont se brûler. La Guinée, Wallahi, est une terre fertile pour les téméraires, mais elle est aussi un cimetière pour leurs rêves. Mais tant qu’il y en aura un qui osera, le spectacle continuera d’avoir ses résistants. À Fakoudou !
Sambégou Diallo
Billet
Mon Général, offrez-moi une berceuse
Je ne veux pas d’un discours, ni d’une promesse lointaine. Non. Juste une mélodie douce, un murmure qui endort les peurs.
Vous avez des orchestres, des fanfares pour chaque apparition, moi je demande le silence. Un instant de paix, une petite berceuse pour apaiser le chaos.
Échangeons le bruit des bottes contre le doux chant des grillons. Sur cette mélodie, j’oublierai que les rues sont des rivières et que les ventres murmurent.
Avez-vous déjà vu un Guinéen dormir paisiblement sans s’inquiéter du lendemain, mon Général ?
Dans notre beau pays, tout est possible, même le repos.
S.D.