On croyait le panafricanisme et son pendant, le souverainisme, complètement galvaudés par les discours démagogiques et les pratiques criminelles de nos tyrans eh bien non, ces deux mots magiques, ces véritables mantras continuent d’enflammer les foules comme en tauromachie, le chiffon rouge excite la bête. Ces deux vieilles rengaines ont la vie dure surtout chez nos jeunes, frustrés, il est vrai, de tout et d’abord de gari et de liberté. Ecrivez ces deux mots sur le dos d’un surmulot, ils viendront tous implorer la grâce. Nos nationalistes surexcités se rendent-ils seulement compte que ces deux trésors ne sont plus que des coquilles vides. Après avoir bercé les doux rêveurs que nous sommes, elles ne servent plus qu’à nourrir la carrière des putschistes et des démocrates de façade.

Mais d’abord, savent-ils ce que c’est que le panafricanisme ? C’est une idée ou plutôt un idéal né dans les Amériques sous l’impulsion d’Edward Blyden, Anténor Firmin, Benito Sylvain, W E. E. Du Bois, Marcus Garvey, Georges Padmore et autres. Kwame Nkrumah la découvre en faisant ses études aux USA à la fin des années 30 et s’occupe de la développer et de la propager dès son retour à la Côte-de-l’Or (ainsi s’appelait le Ghana à l’époque). Si ce beau rêve a vite gagné les débats de salon et les envolées lyriques des tribunes, il n’a jamais réussi à se matérialiser. Certes, nous avons l’Union Africaine et les Organisations régionales et même cette géniale idée de faire de la diaspora noire, la sixième région de notre organisme d’Addis-Abeba, mais pas besoin de faire un dessin pour montrer que tout cela reste encore à l’état de chimère. Malgré les tonnages de documents et les océans de salive et d’encre, elle ne s’est concrétisée qu’une seule fois, l’unité africaine : quand, en 1964, le Tanganyka  du très sérieux Julius Nyerere a fusionné avec Zanzibar pour donner la Tanzanie. Partout ailleurs à l’intérieur des frontières comme entre les États, c’est  la tension, la fragmentation, pour ne pas dire, la déflagration.

Pourtant, l’unité africaine est une nécessité vitale et plus personne n’a besoin de lire NKrumah pour s’en convaincre. Le monde  géopolitique d’aujourd’hui contient suffisamment de dangers pour alerter les micro-nations que nous  sommes. Nos pays ou plutôt nos petits bouts de couloirs n’ont aucune chance de survivre devant les mastodontes qui les entourent. C’est un premier argument. Le second, c’est que nos peuples sont demandeurs. Voici ce qu’il y  a longtemps me disait à Kigali, un petit tailleur sénégalais: « Que Dieu maudisse nos frontières ! A chaque fois, il faut payer quelque chose ». Il a raison : non seulement nos frontières coûtent chères mais elles nous ont été imposées. De nature, l’Africain ne comprend rien aux frontières. Il a une propension naturelle à bouger au gré des rites et des saisons. Tout cela  pour dire que le panafricanisme est là à portée de main, comme une mangue mûre qui ne demande que la corbeille.

J’exagère à peine en disant cela. Le vrai frein au panafricanisme, ce n’est ni le vent ni la pluie, ni la xénophobie ni le tribalisme, c’est l’égo surdimensionné de nos dirigeants qui ramènent tout à eux, à leur petite personne, à leur pouvoir cruel et mesquin : les ressources, les institutions, les beaux principes comme les belles causes. Pour l’instant, le souverainisme et le panafricanisme ne servent pas l’Afrique, ils ne servent que la cause de nos tyrans. Ôtons ces beaux mots de la bouche des démagogues et des imposteurs et je vous assure, l’unité et la souveraineté pousseront avec le naturel de l’arbre qui sort de la graine.

Tierno Monénembo