Il y a un an depuis qu’Oumar Sylla dit Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah ont été enlevés par des individus assimilés aux éléments des Forces spéciales et conduits vers une destination jusque-là inconnue. Les multiples efforts pour la libération du Coordinateur et du responsable des antennes et de la mobilisation du Front national pour la défense de la Constitution n’ont pas abouti. Le FNDC et les épouses des otages sortent de leur réserve.
9 juillet 2024 – 9 juillet 2025 : un an après leur enlèvement, on est toujours sans nouvelle de Foniké Menguè et de Billo Bah. A l’occasion de l’an un de leur disparition, le Front national appelle à la mobilisation.« La Coordination nationale du FNDC, aux côtés des Guinéennes et des Guinéens épris de justice et soucieux de préserver les acquis démocratiques chèrement conquis par le peuple souverain de Guinée, appelle à une manifestation ce mercredi 9 juillet 2025 à Conakry, dans le cadre d’une résistance citoyenne. » Le FNDC entend ainsi exiger la « libération immédiate » de Foniké et Billo, celle de tous les disparus et des détenus arbitraires en Guinée. Alors que toute manifestation est interdite par les autorités de transition, la Coordination nationale du FNDC assure « qu’elle ne cédera pas face à la terreur ».
« Cœurs brisés »
Dans une lettre ouverte appelant à la libération de leurs époux, intitulée « des cœurs brisés », Hawa Djan Doukouré (Mme Foniké Menguè) et Assiatou Bah (épouse de Billo Bah) ont exprimé leur chagrin. « Depuis le 9 juillet 2024, nos vies ont basculé. Ce jour-là, nos époux nous ont été arrachés sans motif, sans explication, par la junte militaire guinéenne. Depuis, chaque jour est un supplice pour nos familles. Chaque nuit est une torture pour nos enfants. Le silence des autorités judiciaires autour de leur disparition est aussi assourdissant que notre douleur. Beaucoup plus que ladite enquête annoncée, qui n’a jamais été ouverte. »
Grief balayé d’un revers de la main, le 2 juillet sur France 24, par Ousmane Gaoual Diallo. Le ministre des Transports et porte-parole du gouvernement dédouane les autorités, assure que « le ministère de la Justice communique au mieux » sur le dossier. Même que les familles des disparus « ont des canaux de communication qui ne soient pas les médias et elles savent parfaitement […] qu’elles peuvent avoir accès à tout moment aux dossiers. »
« Un appel à l’humanité »
Dames Sylla et Bah ne se taisent pas. « Derrière chaque cellule froide, il y a une femme qui pleure, rappellent-elles. Derrière chaque cri étouffé, il y a des enfants qui attendent des papas. Derrière chaque injustice, il y a des familles qui s’effondrent. Nous appelons à leur libération immédiate. Ce n’est pas seulement un appel au droit : c’est un appel à l’humanité. Car aucune nation ne grandit en écrasant ses consciences. Et aucun pouvoir ne dure quand il est bâti sur les larmes d’innocents».
Hawa Djan et Assiatou appellent la Première dame, Lauriane Doumbouya, à agir aux côtés de son mari, pour faire libérer les leurs. Appel élargi aux épouses des autres membres du CNRD et du gouvernement. «Qui mieux qu’une femme peut ressentir la douleur d’un mari arraché à l’affection des siens ? Qui mieux qu’une épouse comprend l’injustice d’une absence imposée ? Nous vous demandons humblement de prêter votre voix à la nôtre. D’user de votre influence pour plaider la libération de Foniké Menguè et Billo Bah […] Nous appelons, nous supplions, nous exigeons : Libérez-les ! Non pas demain. Pas après un autre silence. Mais aujourd’hui. Car chaque jour derrière les barreaux est une blessure de plus dans le cœur d’une nation.»
Tout en réfutant le silence allégué du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo argue qu’une fois la justice se saisit de l’enquête, il n’est pas permis de «continuer quotidiennement, en tant qu’Exécutif, de commenter le processus judiciaire en cours».
« Pas d’avancée judiciaire »
Les plaintes et les condamnations se multiplient et raisonnent jusqu’à la Cour pénale internationale. Le 18 juillet 2024, les avocats français Vincent Brengarth et William Bourdon avaient adressé une lettre au Procureur de la CPI, Karim Khan, pour lui «faire part de la plus vive préoccupation de ceux que nous représentons, en lien avec la disparition très inquiétante de deux membres du FNDC». «Nous demandons que la CPI intervienne en urgence afin de demander des investigations immédiates sur le cas de ces deux personnes disparues.»
Le 23 juillet 2024, les épouses de Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah ont porté plainte auprès du Procureur de la République près le tribunal de Paris pour «disparition forcée», contre le général Mamadi Doumbouya, le ministre de la Défense, Aboubacar Sidiki Camara et le général Balla Samoura, Haut-commandant de la Gendarmerie nationale et Directeur de la justice militaire. Abdoulaye Oumou Sow, chargé de la Communication du FNDC, contacté par La Lance, déplore qu’il «n’y ait pas eu d’avancée majeure» au niveau des procédures judiciaires engagées aussi bien en Guinée qu’à l’étranger.
Désarroi des familles
Foniké et Billo ont été enlevés alors qu’ils mobilisaient contre la fermeture de médias privés critiques à l’égard du CNRD et la vie chère. Ils exigeaient aussi un retour rapide à l’ordre constitutionnel en Guinée. Le 9 juillet 2024 vers 23h, les deux responsables du FNDC ont reçu la visite inopinée d’un groupe d’hommes en treillis et encagoulés chez Foniké Menguè, à Commandayah (commune de Dixinn). A bord de pickups et de blindés, selon les témoins, les visiteurs ont embarqué de force les activistes. Le coordinateur communal du FNDC de la commune de Matoto, Mohamed Cissé, qui était avec eux, a été libéré le lendemain. Selon son témoignage, les otages ont été injuriés et maltraités par leurs ravisseurs.Il précise qu’ils ont été conduits sur l’île de Kassa, au large de Conakry et détenu au pénitencier de Fotoba, construit sous la colonisation et restauré récemment.
Le Parquet général près la Cour d’appel de Conakry a fait une sortie le 16 juillet 2024, l’unique depuis. Il a réfuté qu’« aucun organe d’enquête n’a procédé à aucune interpellation ou arrestation de qui que ce soit ; mieux, aucun établissement pénitentiaire du pays ne détient ces personnes faisant objet d’enlèvement. »
Les familles des deux otages sont depuis dans le désarroi. Le 10 mai dernier, El Hadj Madjou Bah est décédé, sans avoir revu son fils Mamadou Billo Bah.
Mamadou Siré Diallo