L’idée d’émettre un billet de plus forte dénomination en Guinée n’est pas nouvelle. Elle remonte à avril 2014, lorsque, jeune stagiaire à la Direction des Études et de la Recherche (DER) relevant de la Direction Générale des Études et des Statistiques (DGES), j’ai entendu pour la première fois cette proposition. À l’époque, la DER nous avait informés que la Direction de la Politique Monétaire envisageait l’introduction de pièces de GNF 100, de billets de GNF 2 000, GNF 20 000 et GNF 50 000.

Le gouverneur d’alors, stratège avisé, avait déjà amorcé dès 2011 une réforme profonde du cadre organisationnel de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), matérialisée par la décision N°264 du 25 juin 2011. Deux changements majeurs avaient marqué cette restructuration :

  • L’éclatement de l’ancienne Direction des Études Économiques et Monétaires en deux directions générales : la DGES et la Direction Générale du Crédit et du Change (DGCC), accompagnées de nouvelles directions comme celles du Change, des Études et Relations Internationales, de l’Émission et du Patrimoine.
  • La création d’une Direction Générale du Contrôle Permanent, regroupant les risk managers qui relevaient auparavant des directions générales auprès desquelles ils intervenaient.

Depuis cette réorganisation, aucune décision majeure n’était prise sans une étude approfondie de la DER, sous la présidence du premier ou du deuxième vice-gouverneur. À l’issue d’enquêtes et d’analyses, une large préférence avait été exprimée pour un billet de GNF 2 000, expliquant son émission en priorité sur celui de GNF 50 000.

Aujourd’hui, la perspective d’émettre un billet supérieur à GNF 20 000 soulève d’importants enjeux économiques, monétaires et sociaux. Cette question, à la croisée des considérations de politique monétaire, de gestion de la circulation fiduciaire et de confiance dans la monnaie, mérite une analyse rigoureuse.

1. Fondements théoriques et contexte international

1.1. Le rôle des billets de forte dénomination

En général, les billets de grande valeur sont introduits pour accompagner l’augmentation des volumes de transactions, une inflation persistante ou l’évolution des usages de paiement. En Guinée toutefois, le contexte est différent : l’activité économique connaît un ralentissement, et l’inflation a reculé à 2,5% fin mars 2025, tandis que les habitudes de paiement restent dominées par le cash. Dans ce contexte, l’émission d’un tel billet ne s’impose pas naturellement.

En principe, une coupure plus forte vise à faciliter les échanges de montants élevés, réduire les coûts logistiques liés à la manipulation des espèces, et adapter la structure fiduciaire à l’évolution de l’économie.

1.2. Expériences internationales

Plusieurs pays offrent des enseignements instructifs :

  • Zone euro : le billet de 500 euros, émis en 2002, a rapidement gagné en popularité… surtout dans les circuits criminels. En 2016, la BCE a cessé sa production pour freiner le blanchiment et le financement du terrorisme, bien qu’il reste en circulation.
  • États-Unis : après avoir connu des billets allant jusqu’à 10 000 dollars, retirés en 1969 pour raisons de sécurité, le billet de 100 dollars est aujourd’hui la plus forte coupure, largement utilisée hors des États-Unis.
  • Japon : le billet de 10 000 yens, très prisé au quotidien, reflète une société encore très tournée vers les paiements en espèces, où il est même offert lors de cérémonies.

Ces exemples montrent que les billets de forte valeur servent souvent aux gros paiements, à la thésaurisation ou à des usages culturels, mais posent aussi des défis de sécurité et de traçabilité.

2. Opportunités pour la Guinée

2.1. Faciliter les transactions importantes

Un billet plus élevé réduit le volume de billets nécessaires, simplifie les paiements et limite la manipulation physique de la monnaie. Les commerçants qui retirent d’importantes sommes en espèces privilégient déjà largement les billets de GNF 20 000, qui rendent les opérations plus rapides et moins risquées. Pour les banques et entreprises, cela se traduit par une baisse des coûts de transport, de stockage et de traitement des espèces.

2.2. Accompagner la croissance économique et démographique

Avec une population estimée à près de 15 millions d’habitants et un PIB de plus de 25 milliards USD, l’émission d’un billet de forte dénomination pourrait accompagner l’évolution structurelle de l’économie. Rappelons qu’en 2015, la mise en circulation du billet de GNF 20 000 avait été justifiée à la fois par la préférence de 75% des Guinéens, un objectif de modernisation et de remplacement des billets usés, et l’alignement aux standards internationaux.

3. Risques et défis majeurs

3.1. Renforcer les anticipations inflationnistes

L’introduction d’une telle coupure peut être perçue comme un signal de perte de valeur de la monnaie, alimentant l’inflation par effet psychologique. Sans une politique monétaire rigoureuse, cela risque d’accélérer la dollarisation et d’éroder la confiance des agents économiques.

3.2. Favoriser l’économie informelle et le risque criminel

Avec un secteur informel représentant plus de 60% du PIB et environ 70% des emplois (données 2024), des grosses coupures faciliteraient les transactions non traçables, compliquant la lutte contre la fraude, le blanchiment et l’évasion fiscale. Elles exposent aussi au risque accru de contrefaçon et peuvent être interprétées comme un signe d’instabilité, poussant les populations à se réfugier dans d’autres devises.

4. Conditions de réussite et recommandations

4.1. Garantir la stabilité macroéconomique

L’émission d’un tel billet doit s’inscrire dans une trajectoire de maîtrise de l’inflation et de stabilité du change, soutenue par une communication claire pour éviter les interprétations erronées.

4.2. Renforcer la sécurité fiduciaire

Les nouvelles coupures devront intégrer des technologies avancées (hologrammes, encres optiques, filigranes sophistiqués) et s’accompagner de campagnes de formation pour détecter la contrefaçon.

4.3. Lutter contre l’informalité

Encourager la formalisation des activités, renforcer les contrôles sur les transactions en cash et imposer l’usage de moyens scripturaux au-delà d’un certain seuil contribueront à contenir les risques.

Conclusion

L’introduction d’un billet de plus forte dénomination en Guinée pourrait répondre à des objectifs pratiques et logistiques. Mais elle demeure une réforme à double tranchant, exposant le pays à des défis monétaires, à des tensions sur la confiance publique et à des risques accrus dans la lutte contre l’économie informelle. Pour maximiser les bénéfices et limiter les dérives, cette évolution doit s’accompagner d’une gestion monétaire prudente, d’une communication pédagogique et d’un cadre réglementaire renforcé.

Par Safayiou Diallo, économiste