La Guinée s’apprête à se doter d’une nouvelle Constitution. Ce texte est le fruit d’un processus qui a conduit à la présentation d’un Avant-projet en juillet 2024, puis finalisé le 26 juin 2025 lors d’une plénière du Conseil National de la Transition (CNT), avant d’être remis le jour même au président de la Transition, le général Mamadi Doumbouya. Il doit désormais être soumis à référendum, le 21 septembre 2025, pour approbation populaire.

La nouvelle Constitution : progrès démocratique ou illusion de réforme ? Une analyse comparative entre l’Avant-projet et le Projet définitif révèle des évolutions significatives : certaines sont porteuses d’espoir, d’autres soulèvent des interrogations. Cet article propose de décrypter les principales modifications en identifiant les dispositions supprimées ou atténuées, ainsi que les nouveautés et les renforcements introduits. Il s’agit d’une lecture non exhaustive destinée à mieux éclairer les citoyens sur les orientations de cette future Loi fondamentale.

I. DISPOSITIONS SUPPRIMEES OU ATTENUEES

 L’examen minutieux du Projet de Constitution par rapport à l’Avant-projet met en lumière plusieurs dispositions clés qui semblent avoir été retirées ou dont la portée a été affaiblie. Ces modifications pourraient soulever des interrogations quant à la transparence, la responsabilité des dirigeants et l’équilibre des pouvoirs.

 Allongement du mandat présidentiel et atténuation de la limitation à Vie : Le mandat du Président de la République passe de cinq (5) à sept (7) ans dans le Projet de Constitution, alors qu’il était de cinq ans dans l’Avant-projet. Plus significatif encore, l’Avant-projet stipulait explicitement qu’en aucun cas, une personne ne pouvait « de sa vie, exercer plus de deux mandats de Président de la République » ni « faire acte de candidature… après avoir exercé deux mandats ». Cette formulation claire de la limitation à vie est absente du Projet, ce qui, malgré le maintien d’un seul renouvellement, pourrait ouvrir la voie à des interprétations futures et fragiliser le principe de non-perpétuation au pouvoir.

 Assouplissement des conditions de candidature et possibilité de double nationalité pour le Président : L’Avant-projet exigeait qu’un candidat à la présidence soit « de nationalité guinéenne et de parents dont un au moins est guinéen d’origine ». Cette exigence relative aux parents a été retirée du Projet. De surcroît, et c’est un changement majeur, l’Avant-projet rendait la charge de Président de la République incompatible avec la détention d’une autre nationalité, obligeant le Président élu à y « renoncer, dans les soixante jours suivant son investiture ». Cette disposition cruciale est complètement supprimée dans le Projet, ce qui signifie qu’un Président guinéen pourrait désormais conserver une double nationalité.

 Suppression des débats électoraux obligatoires pour les candidats présidentiels : L’Avant-projet rendait « obligatoire » la participation des candidats à l’élection présidentielle aux « débats radio-télévisés ». Cette disposition, essentielle pour la transparence et l’information des électeurs, est totalement absente du Projet de Constitution [aucune disposition équivalente dans les articles 48-59 du Projet].

 Réduction drastique des délais de contestation électorale : Le délai accordé aux candidats pour déposer une contestation des résultats de l’élection présidentielle auprès de la Cour constitutionnelle a été réduit de huit (8) jours dans l’Avant-projet à seulement soixante-douze (72) heures dans le Projet. Cette compression temporelle pourrait sérieusement entraver la capacité des candidats à préparer et présenter des recours robustes.

 Déclarations de biens : suppression de la publication et de la communication explicite : L’Avant-projet stipulait que la copie de la déclaration de biens du Président devait être « communiquée à la Cour des comptes et aux services fiscaux » et que les déclarations initiales et de fin de mandat devaient être « publiées au Journal Officiel de la République ». Le Projet, en son article 61, ne mentionne plus que les « écarts entre la déclaration initiale et celle de la fin de mandat ou de fonction doivent être dûment justifiés devant la cour des Comptes », supprimant l’obligation de publication et de communication aux services fiscaux et au Journal Officiel de la République.

 Incompatibilité du président avec les activités partisanes : atténuation de la Stricte Neutralité : L’Avant-projet interdisait au Président de la République, « en aucun cas », de « prendre part à une réunion ou à une assemblée d’un parti ou d’un mouvement politique » après son investiture. Le Projet de Constitution, tout en affirmant que le Président est « en dehors de l’espace politique partisan », supprime cette interdiction spécifique. Il se contente de dire que le Président peut « inviter des responsables de partis politiques ou d’organisations sociopolitiques pour échanger avec eux sur des questions d’intérêt national », ce qui représente une atténuation de la stricte séparation partisane.

Facély Konaté

 Non-approvisionnement explicite du Sénat pour la nomination du Premier Ministre et des membres du Gouvernement : L’Avant-projet précisait que la nomination du Premier ministre et des membres du Gouvernement « intervient à la suite d’un avis du Sénat consécutif à une séance d’audition à huis clos ». Le Projet, dans son article 66, se contente d’indiquer que « Le président de la République nomme le premier ministre dans les conditions prévues à l’article 80 », sans référence explicite à l’avis préalable du Sénat pour le Premier ministre ou les membres du gouvernement, même si l’article 112 du Projet maintient que le Sénat donne son avis sur les « hautes fonctions civiles ». Cela représente une atténuation du rôle direct du Sénat dans la formation du gouvernement.

 Information du Parlement sur les séjours à l’étranger du Président : L’Avant-projet prévoyait que le Président de la République « informe officiellement le Parlement de tout séjour qu’il envisage en dehors du territoire national ». Cette disposition, garantissant un certain niveau de transparence et de redevabilité, est totalement absente du Projet de Constitution (vérifié dans les articles 58-59 et le reste du texte).

 Interdiction de promotion des membres du Gouvernement démissionnaires après référendum : L’Avant-projet prévoyait qu’après un référendum, en cas de démission du Gouvernement, « Aucun membre de ce Gouvernement ne peut être promu à une fonction équivalente ou supérieure jusqu’au terme du mandat en cours du Président de la République ». Cette clause, visant à limiter les arrangements politiques post-référendum, est supprimée dans le Projet de Constitution.

 Atténuation du contrôle parlementaire sur la CNEHD : Un changement subtil mais important concerne la Commission nationale de l’éducation civique et des Droits de l’Homme (CNEHD). Alors que l’Avant-projet stipulait que la CNEHD « peut être entendue sur ses activités par chaque chambre du Parlement », le Projet modifie cette phrase en « ne peut être entendue sur ses activités par chaque membre du Parlement ». Ce simple changement de « peut » à « ne peut » restreint considérablement la capacité du Parlement à superviser directement cette institution vitale.

 Suppression de la clause d’Immutabilité constitutionnelle de 30 Ans : L’Avant-projet contenait une disposition inédite interdisant toute révision de la Constitution pendant une période de « trente (30) années » à compter de sa promulgation, sauf exception. Cette garantie de stabilité constitutionnelle à long terme est entièrement absente du Projet de Constitution (vérifié dans le Titre 5 du Projet).

 Formulation des principes non révisables : disparition du mot « Limitation » : Concernant les principes intangibles, l’Avant-projet mentionnait explicitement « le principe de la limitation du nombre et de la durée du mandat du Président de la République ». Le Projet se limite à « le nombre et la durée du mandat du Président de la République ». Bien que la notion d’intangibilité demeure, la suppression du mot « limitation » pourrait être interprétée, notamment combinée à l’allongement du mandat, comme une atténuation de l’esprit restrictif des mandats présidentiels.

 Liste des titulaires de fonctions soumis aux restrictions d’acquisition de biens/marchés publics : L’Avant-projet détaillait que les règles de non-acquisition de biens de l’État et de non-participation aux marchés publics s’appliquaient explicitement au « Premier ministre, aux membres du Gouvernement, aux Présidents des institutions de la République… ». Le Projet, en son article 79, ne liste plus explicitement ces catégories pour cette interdiction, se contentant de renvoyer à une loi future la « liste des autres titulaires de fonction soumis aux dispositions du présent article ». Cela représente une atténuation de la clarté et de l’immédiateté de cette obligation.

Immunité civile et pénale accordée aux anciens chefs d’État : Un aspect crucial et différenciant entre les deux textes concerne le statut des anciens Présidents de la République, notamment en matière d’immunité. L’Article 74 du Projet stipule que : « Les anciens présidents de la République jouissent d’une immunité civile et pénale pour les actes accomplis dans l’exercice régulier de leurs fonctions. » Cette clause est mentionnée juste après les privilèges matériels, financiers et la protection accordés aux anciens Présidents et leurs conjoints. Une disposition controversée qui peut être perçue comme un signal d’impunité pour les anciens chefs d’État, ou au contraire un mécanisme d’apaisement destiné à garantir une sortie honorable et à favoriser une alternance pacifique du pouvoir.

II. NOUVEAUTES ET RENFORCEMENTS

 Malgré les atténuations précédemment citées, le Projet de Constitution introduit également des innovations et des renforcements significatifs, qui visent à moderniser la gouvernance et à accroître la participation citoyenne.

 Reconnaissance des langues nationales comme officielles : Une avancée majeure est l’élévation des langues nationales au rang de langues officielles, aux côtés du français, qui est désigné comme langue de travail. L’Avant-projet se contentait de déclarer le français comme seule langue officielle. Cette reconnaissance est un geste fort pour la promotion de la diversité culturelle et linguistique du pays et un pas vers une plus grande inclusion.

 Promotion active de la parité femme-homme avec quota : Le Projet introduit un nouveau principe fondamental garantissant un quota d’au moins 30% pour les femmes dans les postes décisionnels et électifs, aux niveaux national, régional et local. L’Avant-projet se limitait à promouvoir la parité de manière générale. Cette mesure concrète est un renforcement majeur de l’égalité des sexes et de la représentation féminine.

 Mécanisme de révocation présidentielle par pétition populaire : Le Projet innove en instaurant un mécanisme de destitution du Président de la République en cas de haute trahison : si « 50% au moins des électeurs inscrits sur les listes électorales nationales signent une pétition validée par la Cour constitutionnelle, un référendum est organisé dans les 60 jours pour décider de la révocation du Président de la République ». Cette disposition confère un pouvoir de contrôle et de responsabilisation direct et puissant au peuple, une nouveauté significative dans le paysage constitutionnel guinéen.

 Accès élargi à la justice constitutionnelle pour les associations agréées : Le Projet accorde explicitement aux « associations agréées » le droit de saisir directement la Cour constitutionnelle pour contester l’inconstitutionnalité d’une loi. L’Avant-projet était plus vague sur qui pouvait saisir la Cour par voie d’action. Cela élargit de manière notable l’accès à la justice constitutionnelle au-delà des institutions étatiques et des élus.

 Définition élargie de la haute trahison du Président : La définition de la haute trahison pour le Président est élargie pour inclure des actes portant « atteinte aux dispositions de l’article 193 », qui énumère les principes intangibles de la Constitution (forme républicaine, laïcité, unicité de l’État, séparation et équilibre des pouvoirs, pluralisme politique et syndical, nombre et durée du mandat présidentiel). Ce renforcement des motifs de mise en cause du Président accroît sa responsabilité face à la sauvegarde des fondamentaux de l’État.

 Rôle accru de l’opposition au Parlement : Le Projet prévoit que la loi organique régissant le Parlement déterminera les modalités d’attribution de la « présidence de certaines commissions de l’Assemblée à l’opposition parlementaire ». Il s’agit d’une avancée significative pour l’intégration et l’influence de l’opposition dans le processus législatif, renforçant la démocratie pluraliste.

 Renforcement du contrôle financier local : Une nouvelle disposition oblige l’Assemblée nationale, avant de voter la loi de finances de l’année suivante, à s’assurer que « les ressources collectées au titre de l’exercice N pour le compte des collectivités locales ont été rétrocédées à hauteur d’au moins 70% ». Cette mesure vise à garantir une meilleure autonomie financière et une gestion plus saine des collectivités décentralisées.

Stabilité accrue pour la révision constitutionnelle en fin de mandat : Le Projet allonge la période durant laquelle aucune révision constitutionnelle n’est possible avant la fin d’un mandat présidentiel, la faisant passer de la « dernière année » à « les deux dernières années ». Cela renforce la stabilité politique en période de fin de mandat.

 Seuil élevé pour la révision constitutionnelle Parlementaire : Le Projet élève la majorité requise au Parlement (réuni en Conseil de la Nation) pour adopter un projet ou une proposition de révision constitutionnelle de « deux tiers (2/3) » à « trois quarts (3/4) » de ses membres. De plus, si un projet de révision est soumis au Parlement et qu’une pétition citoyenne l’ayant recueilli un dixième des signatures des inscrits s’y oppose, le vote parlementaire nécessitera alors une majorité encore plus élevée de « quatre cinquièmes (4/5) » des membres. Cela rend le processus de révision plus difficile et exige un consensus bien plus large.

 En conclusion, le Projet de nouvelle Constitution se présente comme un document aux multiples facettes. S’il contient des avancées indéniables en matière de parité, de reconnaissance culturelle et de responsabilisation citoyenne par des mécanismes innovants, il soulève également des questions importantes concernant la solidité de certains garde-fous démocratiques. La balance entre les pouvoirs, la limitation du mandat présidentiel et la transparence des finances publiques sont des points qui mériteront une attention particulière lors des débats publics. La complexité de ces ajustements souligne l’importance pour chaque citoyen de s’approprier ce texte fondamental pour l’avenir de la Guinée.

Facély Konaté, journaliste,

Manager projets médias & digitaux,

Spécialiste communication stratégique