Ouestafnews (En collaboration avec Le Lynx) – Fermeture de médias, kidnappings, disparitions forcées, arrestations et condamnations arbitraires…En Guinée, l’inquiétude grandit chez les acteurs de la société civile, surtout les défenseurs des droits humains, mais point de résignation.
La répression vise essentiellement les opposants, les artistes, les citoyens critiques du régime et certains acteurs de la société civile arrêtés et souvent sans motif valable. C’est le cas de deux responsables du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, aujourd’hui disparus après avoir été « arrêtés », le 9 juillet 2024. À propos de leurs ravisseurs, leurs proches indexent des hommes en uniforme militaire, lourdement armés et assimilés à des gendarmes et des membres du Groupement des forces spéciales de Guinée. Depuis un an, l’on est sans nouvelle des deux activistes.
Une situation qui inquiète de plus en plus la société civile guinéenne, alors que toute manifestation hostile au pouvoir est interdite et réprimée. Depuis le début de la transition, les chiffres officiels font état d’au moins 47 personnes tuées entre 2022 et janvier 2025, sans compter les disparitions de militants de la société civile ou d’autres acteurs opposés au pouvoir en place. Des médias sont suspendus ou fermés, des journalistes soumis à une pression constante, d’autres sont arrêtés ou en exil.
Pour justifier certains de ces cas, les autorités invoquent des raisons « administratives » ou « sécuritaires ».
Les voix critiques asphyxiées
Malgré la répression et les menaces, la société civile n’entend pas abdiquer. « Nous jouons notre rôle d’interpellation et de dénonciation », assure Mamadou Kaly Diallo, ex-membre de l’ONG « La Baïonnette intelligente » et défenseur des droits de l’Homme, interrogé par Ouestaf News.
Pour M. Diallo, malgré le contexte défavorable, la société civile est obligée de se battre pour défendre la démocratie et l’État de droit en Guinée.
Boubacar Biro Barry, activiste et vice-coordinateur du FFSG, Forum des forces sociales de Guinée, dénonce une « stratégie délibérée », visant à contrôler l’information et à asphyxier les voix critiques du régime.
Outre Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah, d’autres personnalités se retrouvent aussi victimes de leur opposition au régime. Saadou Nimaga, ancien secrétaire général du ministère des Mines et le journaliste Habib Marouane Camara sont également portés disparus depuis fin 2024.
D’autres encore sont jugés dans des conditions qualifiées de « contraires aux principes d’une justice équitable ». C’est le cas d’Aliou Bah, président du parti MoDeL, Mouvement démocratique libéral, condamné à deux ans de prison ferme pour « offense » au chef de la junte. Le 28 mai 2025, la peine a été confirmée par la Cour d’Appel de Conakry.
Des témoignages font état d’actes de torture et de mauvais traitements infligés aux disparus, comme en a déclaré, dans des vidéos devenues virales, Mohamed Cissé, arrêté avec les leaders du FNDC et Abdoul Sacko, coordinateur du Forum des Forces sociales de Guinée (FFSG). Ce dernier a été « kidnappé », torturé et laissé pour mort à Forécariah.
Inertie des autorités
Dans la nuit du 20 au 21 juin 2025, Me Mohamed Traoré, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Guinée et membre démissionnaire du Conseil national de la transition (CNT) a été aussi enlevé chez lui par des inconnus, battu et abandonné à Bangouyah, à mi-chemin entre les villes de Coyah et Kindia.
Lamine Guirassy, PDG du groupe Hadafo-Média, est interdit de pratiquer le journaliste depuis le 11 juin 2025 à cause d’un tweet sur son compte X (ex-Twitter). Cette situation crée un climat de peur, privant les citoyens d’informations libres et plurielles.
La responsabilité de cette situation délétère est mise sur le dos de la junte au pouvoir, accusée d’être à l’origine des exactions. Sollicité pour répondre à ces accusations, le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, n’a pas donné suite.
Le procureur général près la Cour d’appel de Conakry, Fallou Doumbouya, a lui aussi indiqué qu’il ne souhaitait pas s’exprimer sur ces affaires. Néanmoins, dans un communiqué publié le 17 juillet 2024, il avait déclaré qu’aucun « organe d’enquête n’a procédé à aucune interpellation ou arrestation de qui que ce soit » , ajoutant qu’« aucun établissement pénitentiaire du pays ne détient ces personnes faisant objet d’enlèvement
Sur RFI, Radio France international, le 30 avril 2025, le garde des Sceaux, ministre de la Justice et des droits de l’homme, Yaya Kaïraba Kaba, n’a pas voulu se prononcer sur les cas des disparitions forcées. Il a aussi esquivé les questions concernant l’enlèvement du journaliste Habib Marouane Camara.
Souleymane Sow, directeur exécutif d’Amnesty International Guinée s’inquiète et souligne que « cela fait très longtemps » que les organisation de défense des droits humains demandent à « l’État guinéen des clarifications, des explications. »
Biro Barry, vice-coordinateur du Forum des Forces sociales de Guinée (FFSG), s’insurge contre l’inertie de la junte qui tarde à diligenter des enquêtes. Il dénonce « une justice à deux vitesses, inféodée à l’exécutif. »
Mobilisation citoyenne
Face à ce qui ressemble à une impasse, les organisations de la société civile s’efforcent de documenter les exactions et de porter la voix des victimes sur la scène nationale et internationale.
Associations de défense des droits humains, syndicats et collectifs citoyens initient des campagnes de « manifestations pacifiques », sensibilisent, signent des pétitions pour exiger la libération des « prisonniers politiques » et le respect des libertés fondamentales des citoyens.
Pour Mamadou Kaly Diallo, l’action de la société civile consiste à « rappeler au gouvernement ses engagements », tout en faisant recours à la loi, pour manifester publiquement. Toutes ces actions sont accompagnées par des collectifs d’avocats pour défendre les intérêts des personnes emprisonnées, kidnappées ou disparues.
Parmi les arguments que brandissent les défenseurs des droits humains : la Guinée a ratifié huit des neuf conventions internationales portant sur la protection des droits de l’homme. Mamadou Kaly Diallo suggère une meilleure application de ces textes qui « sont bafoués au grand dam des libertés publiques ». Dans la foulée, il a révélé que la société civile prépare une proposition de loi portant sur la protection et la promotion des défenseurs des droits de l’Homme en Guinée.
Les critiques de la société civile guinéenne sont aussi dirigées contre la communauté internationale, invitée à agir. Ibrahima Aminata Diallo, président de la Coalition nationale des associations pour la paix et le développement, a fustigé le « laxisme » des instances internationales estimant que « la France, les puissances internationales, défendent leurs intérêts. La Cedeao, les Nations Unies ne prennent pas de mesures concrètes. La Guinée est livrée à elle-même ». Il rappelle que la Charte de la transition elle-même stipule pourtant « qu’aucun Guinéen ne doit mourir à cause de son opinion ».
Abdoulaye Pellel Bah,
Faydy Dramé et Tidiane Sy