Il fut un temps, pas si lointain, où l’on croyait qu’avec un Comité de transition bien assis sur ses bottes, un Premier ministre bien bavard, et quelques militaires au front large, la Guinée allait enfin laver son linge sale dans la mangrove et rebâtir sa case. Mais voilà que le rêve tourne au cauchemar, que la palabre s’éternise, et que le peuple, ce grand oublié des grands salons climatisés, commence à tousser de colère.

Depuis septembre 2021, Conakry vit au rythme d’une transition qui ressemble de plus en plus à un sentier sans boussole. On avait promis de refonder l’État, de corriger les errements du passé, d’organiser des élections crédibles. Mais aujourd’hui, ce ne sont ni les urnes qui parlent, ni les réformes qui avancent, ce sont les persécutions de la classe politique, les arrestations des leaders politiques qui osent exprimer leurs désaccords, le kidnapping de ceux qui pensent différemment et les communiqués à la télévision nationale.

On assiste, impuissants, à une scène de théâtre tragi-burlesque. D’un côté, des dirigeants qui gouvernent avec des slogans, comme des griots sans mémoire ; de l’autre, un peuple qui attend, qui endure, qui prie. Les jeunes, eux, quittent les bancs de l’université pour les bancs de sable sur les plages marocaine, libyenne et algérienne, direction l’Europe, si la mer ne les avale pas. Et dans les quartiers, les populations n’arrivent pas à joindre les deux bouts à cause de l’aggravation de la pauvreté dont le premier signe est l’inaccessibilité à l’eau potable.

Chorégraphie sans musique

Mais ce n’est pas tout. L’État, dans son manteau kaki, a multiplié les dialogues, les assises, les forums…toute une chorégraphie sans musique. Et pendant ce temps, les hôpitaux manquent de pansements, l’école continue sa dégringolade, l’insécurité endeuille chaque matin des familles et l’administration continue à perdre ses compétences et à fonctionner comme un vieux moteur sans huile : bruyant, lent et parfois dangereux.

Le plus triste, c’est qu’on sent la peur revenir. Celle qui empêche de parler, qui fait tourner les langues sept fois avant de lâcher un mot sur la place publique. Pourtant, un peuple qui ne parle pas est un peuple qu’on endort. Et à force de dormir trop longtemps, on finit par se réveiller dans le noir.

Alors, que faire ? Attendre encore ? Espérer que ceux qui tiennent le gouvernail daignent regarder la boussole ? Ou faut-il que la rue, une fois de plus, rappelle que le vrai pouvoir appartient à ceux qui transpirent sous le soleil, pas à ceux qui s’abritent derrière les murs d’un Conseil de transition ?

La Guinée mérite mieux. Ce pays aux mille rivières ne peut pas rester figé dans une transition qui s’éternise comme une saison sans pluie. Il faut que ça bouge, que ça respire, que ça s’exprime. Sinon, le jour viendra où même les vieux tambours ne résonneront plus, car personne n’aura la force de danser.

Par Aboubacar Sidiki Sylla