L’un des grands malheurs des sociétés humaines n’est pas tant d’échouer, que de répéter les mêmes échecs tout en les renommant « renouveau ». En Afrique de l’Ouest comme en Guinée, l’histoire politique récente se lit non comme une marche en avant, mais comme une boucle où se rejoue éternellement le même scénario : promesses messianiques, espoirs populaires, effondrement des institutions, et retour du pouvoir autoritaire sous de nouveaux habits.
On évoque partout des « transitions », le mot préféré de ceux qui veulent avancer sans jamais arriver. Mais vers quoi ? Vers quels fondements démocratiques ? Vers quelle économie durable ? Dans ces républiques en transit permanent, la boussole du droit s’efface derrière les injonctions du moment. L’ordre constitutionnel est suspendu au gré des humeurs militaires, et l’État devient une fiction commode, mobilisable uniquement lorsqu’il faut lever des taxes, réprimer des voix ou quémander des aides.
Il est curieux et révélateur que les élites politiques de la sous-région maîtrisent à la perfection le lexique de la bonne gouvernance, sans jamais en pratiquer les rudiments. Gouverner devient un exercice de communication, un concours de plans stratégiques jamais appliqués, une mise en scène permanente de la réforme, sans réforme. Ainsi, la lutte contre la corruption se déclame chaque année avec la même ferveur… et le même bilan désespérant.
Mais ce serait une erreur d’accabler seulement les gouvernants. Car la société civile, les intellectuels, les médias eux-mêmes se prêtent trop souvent à cette pièce tragique. Le courage de dire le vrai, celui qui dérange, s’estompe devant les calculs d’intérêt ou la peur du lendemain. Or, comme je l’écrivais, « la première des corruptions n’est pas financière, elle est intellectuelle. » Tant que la pensée critique restera l’apanage de quelques voix isolées, et non une exigence collective, rien ne changera en profondeur.
Et pourtant, les occasions historiques n’ont pas manqué : les richesses minières, la jeunesse dynamique, les ouvertures régionales offraient à l’Afrique de l’Ouest les leviers d’une transformation réelle. Mais à défaut d’un contrat social solide et d’un État impartial, ces opportunités n’ont servi qu’à enrichir quelques-uns et à entretenir la dépendance du plus grand nombre.
Il n’y a pas de fatalité géographique. Il n’existe pas de « malédiction africaine ». Il n’y a que la persistance des lâchetés politiques, l’indulgence coupable des peuples, et l’incapacité chronique à construire des institutions qui survivent aux hommes. L’histoire, au fond, est un test d’intelligence collective: savons-nous tirer des leçons ou seulement accumuler des drames ?
La vraie transition, pour la Guinée comme pour ses voisins, commencera le jour où l’on cessera d’invoquer le changement comme un mot magique, pour en faire un travail exigeant, concret, et surtout contrôlable. Un jour où gouverner ne signifiera plus régner, mais rendre compte.
Aboubacar Sidiki Sylla