Le week-end dernier, le ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD) a publié les résultats provisoires du recensement biométrique : plus de 9 millions de personnes âgées de 10 ans et plus enrôlées, dont 6,7 millions d’électeurs. De quoi faire jaser au sein de l’opinion.

À peine rendus publics, les résultats ont suscité de vives critiques des acteurs politiques et de la société civile guinéenne. Ils dénoncent une procédure biaisée : membres du RPG Arc-en-ciel, ancien parti au pouvoir, du MoDeL, Mouvement démocratique libéral, de l’UDRP, Union démocratique pour le renouveau et le progrès, ainsi que de la société civile, à l’instar de la CONAPAID (Coalition nationale des associations pour la paix et le développement). Ils s’inquiètent et s’interrogent sur la fiabilité, la transparence et le but réel du recensement.

Marc Yombouno, membre de l’ancien parti au pouvoir, s’en prend à la démarche et aux chiffres présentés. Il juge « suspect » le recensement biométrique, conduit sans l’implication des partis politiques : « Nous n’avons pas participé à la restitution pour suivre en détails l’analyse des chiffres. Si vous recensez des enfants de 10 à 17 ans alors que l’âge légal est de 18 ans, qu’est-ce qui a été retenu pour les résultats qu’on nous présente ?  Le chiffre total tourne autour de 9 millions de recensés et environ 6 millions d’électeurs. Mais est-ce que tous ceux qui avaient moins de 18 ans ont été retirés du fichier électoral ? Ce sont des clarifications essentielles. »

Des chiffres manipulés ?

L’ancien ministre sous le régime d’Alpha Condé dénonce également l’absence de concertation avec les partis politiques et soulève des doutes sur la sincérité des données démographiques. « Pour la première fois, on nous annonce que certaines régions sont moins peuplées que d’autres, contrairement aux tendances historiques. Depuis l’indépendance, Conakry a toujours été la région la plus peuplée. Si aujourd’hui les chiffres montrent le contraire, ceux qui ont travaillé doivent s’expliquer », enjoint Marc Yombouno.

Pour Mamadou Kenda Sow, secrétaire général du MoDeL, rien ne justifie la prédominance électorale de Kankan, région qui vient en tête en termes de nombre de personnes enrôlées. Il n’a pas omis de rappeler les précédentes manipulations du fichier électoral ces dernières années : « Ceux qui connaissent l’histoire électorale de la Guinée se rappellent qu’en 2010, Conakry et ses environs représentaient environ 35% du corps électoral. Mais à l’arrivée du président Alpha Condé, on a contesté le fichier électoral sans réelle explication. Et soudain, un transfert massif d’électeurs vers la région de Kankan a été observé. Depuis, Kankan reste la région avec le plus grand nombre d’électeurs. Cela nous interpelle », s’inquiète M. Sow.

Ce dernier bat en brèche les arguments du gouvernement : « On nous dit que c’est à cause de l’activité minière, mais Boké aussi a des mines. Pourquoi alors cette concentration à Kankan ? Cela donne l’impression d’un copier-coller des pratiques du passée. » Il redoute une manipulation du fichier électoral dès le départ pour influencer les résultats électoraux.

Pour Édouard Zotomou Kpoghomou, président de l’UDRP, les chiffres ne reflètent pas la réalité. « Depuis 2021, on parle de recensement. Pourtant, ce n’est que dans les trois derniers mois qu’on s’est réellement attelé à la tâche. C’est une preuve que le processus a manqué de sérieux », soutient-il, tout en remettant en cause la crédibilité des résultats : « On présente des chiffres alors que de nombreux citoyens en âge de voter affirment ne pas avoir été recensés. Cela montre que le travail a été bâclé. Les chiffres publiés ne reflètent pas la réalité du terrain. On se demande même d’où ils sortent. »

Des élections pipées d’avance ?

S’agissant de la prééminence de la ville d’origine du président Doumbouya sur la capitale guinéenne, M. Zotomou n’en est pas surpris : « Lors de la distribution des kits, j’avais alerté : Mandiana a reçu plus de kits que Nzérékoré, alors que cette dernière est bien plus peuplée. Mandiana a été découpée en 22 quartiers, Kankan en plus de 50, pendant que Nzérékoré, pourtant une grande ville, n’en compte que 22. C’est illogique. On a simplement voulu créer artificiellement des conditions favorables à certains, en dirigeant l’électorat là où on en a besoin. Tout semble fait pour maintenir, d’une manière ou d’une autre, le général Mamadi Doumbouya au pouvoir. »

Du côté de la société civile, le président de la CONAPAID n’y va pas, non plus, de main morte : « Le problème ne se limite pas aux résultats, c’est tout le processus qui est en question. L’initiative en elle-même était louable, mais la mise en œuvre laisse à désirer à plusieurs niveaux. Même la saisie des données par les agents de recensement était problématique. Aucun dispositif d’accompagnement n’a été prévu pour faciliter le processus sur le terrain », dépeint Ibrahima Aminata Diallo.

D’ores et déjà, l’acteur de la société civile craint des contestations post-électorales : « Comment comprendre qu’une région dépasse en effectif la capitale Conakry ? La Basse-Guinée, qui inclut Conakry, est pourtant la région la plus peuplée et la plus cosmopolite. Si ces chiffres doivent servir de base à une cartographie électorale, alors on sait déjà vers quoi on se dirige. On ne peut pas construire la paix dans une telle confusion. Chaque citoyen doit être pris en compte pour éviter des violences post-électorales. »

Selon donc les données du ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation, la région de Kankan concentre le plus grand nombre d’inscrits : 2 089 320 (23,27 %). Elle est suivie de la capitale Conakry, avec 1 992 986 inscrits (22,17 %). La région de Kindia arrive troisième (1 160 579 inscrits), talonnée par Nzérékoré (1 094 704).

Comme sous Alpha Condé, la Moyenne Guinée est la plus dépeuplée. Aucune de ses deux régions administratives n’a atteint le million d’inscrits, ni égalé par exemple Faranah : Labé totalise 610 636 inscrits (6,80 %) ; contre 436 554 (4,86 %) pour Mamou.   

Alors que l’on se dirige vers le référendum constitutionnel, le doute s’installe sur la fiabilité de la base des données qui servira à la tenue des autres futures élections.

Mariama Dalanda Bah