Au Sénégal, la semaine dernière a été marquée par les critiques d’Ousmane Sonko à l’encontre du président Bassirou Diomaye Faye. Le Premier ministre, également chef du Pastef, le parti au pouvoir, a reproché au chef de l’État de ne pas suffisamment le soutenir face aux attaques dont il dit faire l’objet. Lundi 14 juillet, Bassirou Diomaye Faye a tenté d’éteindre la polémique, en affirmant qu’il n’avait pas de divergences avec son Premier ministre. « Il est mon ami, je n’ai aucun conflit avec lui », a-t-il assuré. Comment analyser cette séquence ? Traduit-elle un malaise au sommet de l’État sénégalais ? Mamoudou Ibra Kane est éditorialiste. Leader du mouvement « Demain, c’est maintenant », il avait fait campagne l’an dernier pour l’ancien Premier ministre Amadou Ba. Il est l’invité de Pierre Firtion ce matin.
RFI : Bassirou Diomaye Faye a tenu à calmer le jeu lundi 14 juillet en réfutant tout désaccord avec le Premier ministre. Mais jeudi dernier, Ousmane Sonko s’en est pris ouvertement au président en parlant d’un manque de soutien face aux attaques dont il dit faire l’objet. Ousmane Sonko a même pointé un problème d’autorité dans le pays. Suivez son regard… Est-ce là une simple montée en tension ou cela marque-t-il selon vous une possible fracture entre les deux hommes ?
Mamoudou Ibra Kane : On se serait cru dans un numéro de cirque. Mais cela ne fait pas rire. Il s’agit d’un sujet sérieux, d’un sujet qui concerne l’État du Sénégal. Si on interroge l’histoire, les présidents Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia constituaient un beau duo à la tête de l’État. Mais leur compagnonnage a duré le temps d’une rose, avec une crise qui a éclaté en décembre 1962. Qu’Ousmane Sonko s’en prenne au président de la République de manière ouverte en parlant de problème d’autorité… Mais plus grave, il a dit « s’il ne peut pas, qu’il me laisse gouverner ». Nous sommes dans une République avec des institutions. Il faut avoir de l’entendement. Je pense qu’un rappel à l’ordre s’imposait au chef de l’État, qui ne l’a pas fait. Mais au fond, selon moi, cela ne fait que différer le combat…
Depuis avril 2024, il y a eu déjà des moments de tension entre les deux figures de l’exécutif qui sont alliées de longue date, on le rappelle. Néanmoins, cette fois, ça paraît beaucoup plus sérieux ?
Oui, mais le premier ministre dit d’abord « personne ne peut m’empêcher de me présenter ». Cela est clair. C’est un message qu’il envoie à son camp et plus précisément au président de la République. Mais bon, je crois qu’il ne faut pas limiter la question à Bassirou Diomaye Faye et à Ousmane Sonko. Je pense qu’il faut plutôt s’intéresser au ressenti des populations aujourd’hui. Je pense qu’il y a urgence à ce que ce régime s’attaque enfin aux vrais problèmes parce que ce sont des problèmes que vivent les Sénégalais : une crise économique et sociale presque sans précédent.
Donc ce que cela traduit selon vous, ce n’est pas un simple problème que l’on pourrait dire au sommet de l’État, entre ces deux figures de l’exécutif, c’est un problème peut-être plus structurel ?
Mais clairement c’est un aveu en réalité d’incompétence, en tout cas d’incapacité d’attaquer de front les problèmes. Vous n’êtes pas sans savoir qu’aujourd’hui, les finances de l’État du Sénégal sont exsangues. L’agence de notation Standard and Poor’s vient d’abaisser encore la note du Sénégal par rapport à la dette publique. Aujourd’hui, le Sénégal est sans programme avec le Fonds monétaire international. Il y a un problème réel de financement et très peu d’investissements.
Ousmane Sonko est depuis plusieurs mois accusé par des militants, des opposants et des membres de la société civile de vouloir faire taire toute voix discordante dans le pays. Est-ce que cela vous inquiète ? Est-ce que cela est à prendre au sérieux ?
Le Sénégal n’est pas une dictature. Le Sénégal est une démocratie avec ses exigences. Le gouvernement doit se plier à cela. Aujourd’hui, ce sont des journalistes, des activistes, des chroniqueurs, des opposants qui sont persécutés et qui sont emprisonnés. Le dernier exemple en date, c’est le chroniqueur Badara Gadiaga. Mais ça ne s’arrête pas à cela. C’est aussi des menaces et des intimidations contre les médias. Cela n’est pas acceptable.
Une autre déclaration d’Ousmane Sonko a fait polémique. La semaine dernière, le chef du gouvernement a qualifié les membres de la société civile de « fumiers » et a parlé de la nécessité de couper tout financement venu de l’étranger. Pour quelles raisons de tels propos ?
C’est quelqu’un qui est aujourd’hui confronté à des problèmes auxquels il n’a pas de solution. C’est l’injure à la bouche. Ce sont des menaces contre la société civile et la dynamique société civile sénégalaise qui a toujours été au front du combat contre les dérives des régimes, quel que soit le régime. C’est cette société civile-là qui a été sensible à la situation d’Ousmane Sonko qui est traitée de fumier. Non. Nous demandons au Premier ministre de revenir à la raison et plus loin, de démissionner s’il n’est pas capable de régler les problèmes des Sénégalais. Et le constat, c’est qu’il n’est pas capable de régler ces problèmes.
Par RFI