Il y avait une assiette. L’assiette était vide, le ventre suspendu en l’air comme une prière sans écho, ou une chanson avalée par le silence. Et la faim, elle, avait la gueule ouverte pour servir de tam-tam crevé, Wallahi!
Il y avait une gargote. La marmite fumait comme un secret mal gardé.
La vendeuse, oracle en pagne huilé, demandait :
— Quelle sauce ?
Et le client, prophète du ventre creux, murmurait :
— Bourékhé… et un peu d’arachide à côté.
Alors naissait le riz sauce mélange, patchwork d’espoir et de misère, compromis d’huile et de feuilles, mariage forcé de toutes les saveurs de la pauvreté. À fakoudou !
Et dans chaque cuillerée, il y avait une comédie.
Et dans chaque comédie, une tragédie qui rigole en cachette.
Mes chers amis, oubliez vos rêves de trois repas par jour : en Guinée, on a donc trouvé mieux. Hé Kéla ! Le « riz sauce mélange » ou le « plat résumé »: un seul bol, un seul combat, et toutes les sauces confondues, qui se marient comme un gouvernement d’union nationale. On Chen fout !
Mais attention ! Trop de mélange et ton estomac devient une opposition farouche: il manifeste, il crie, il bloque la circulation intestinale. À fakoudou !
Mes chers amis, le riz sauce mélange, plus qu’un repas, c’est une philosophie : quand on n’a pas les moyens de multiplier les repas dans la journée, on invente le compromis indigeste. Comme nos politiciens qui ont inventé le « résumé national » : un seul discours qui mélange promesses, mensonges, programmes et vœux pieux. Servi chaud, sans ticket, garanti indigérable.
Mes chers amis, ici en Guinée, il y a un mot qu’on ne peut pas prononcer sans risquer la migraine : c’est le mot “contre”. Hé Kéla ! Essayez seulement de dire: « Moi, je suis contre »… et paf ! Vous voilà transformé en sorcier, en ennemi de la Nation, voire en agent à la solde de l’ennemi. On Chen fout !
Chez nous, “être contre”, ce n’est pas une opinion, c’est un crime de lèse-majesté. Tu peux être pour, tu peux même être très pour — au point de dormir avec l’affiche du leader collée au plafond — mais contre ? C’est plus dangereux qu’un permis de conduire dans la poche d’un policier.
C’est comme si le dictionnaire guinéen avait été amputé. On connaît “avec”, on adore “ensemble”, on récite “devant”, “derrière”, mais dès qu’on arrive à “contre”, on ferme le livre et on brûle la bibliothèque.
Et pourtant, mes chers amis, une société sans “contre”, c’est comme un plat sans piment : ça passe, mais ça n’a pas de goût. Sans contradiction, tout le monde ronfle dans le même sens, et au réveil, surprise : on est tombés dans le caniveau collectif.
Wallahi, je vous le dis : si on continue à interdire le mot “contre”, bientôt même nos murs n’oseront plus se dresser contre le vent. Et la Guinée, au lieu d’avancer, va se contenter de tourner en rond… dans une grande danse de “pour” éternels.
On nous a longtemps vendu le slogan : « La Guinée, notre paradis ». Hé Kéla ! Mais quand on regarde autour de nous, on se demande si le peintre n’a pas confondu les couleurs. À fakoudou ! Le paradis, c’est censé être des rivières de miel, ici ce sont des flaques d’eaux usées ; le paradis, c’est l’abondance, ici c’est la chasse aux cacahuètes; le paradis, c’est la paix des âmes, ici c’est la guerre des slogans. On Chen fout ! Finalement, la Guinée ressemble moins à un paradis qu’à une parodie, une pièce de théâtre jouée sans répétition, où chacun crie son texte et où le public, affamé, attend toujours l’entracte.
Il y avait quelqu’un qui disait :
— Il n’y a plus d’opposition ; il n’y a plus de presse.
Et le silence, lui, prenait des notes comme un greffier fatigué.
Les micros pendaient dans l’air, muets comme des casseroles sans couvercle.
Les plumes, elles, servaient de cure-dents aux puissants repus. Wallahi !
On Chen fout ! Sans opposition, la politique devient un solo de tam-tam ; sans presse, le peuple danse dessus sans savoir qui tape. À fakoudou ! Quand tout le monde se tait, même les mensonges se reposent.
Et la Guinée, elle, ressemble à une pièce de théâtre sans acteurs : le rideau levé sur une scène vide, mais la salle pleine de ventres creux qui applaudissent malgré tout.
Bernard-le-désossé avançait au milieu du maquis, une clope dans la gueule, fumante comme un feu de forêt mal éteint. Ses yeux, deux lanternes déglinguées, balayaient le lieu boueux. Et sa voix, râpeuse comme une vieille radio, lâcha la sentence :
— On a abandonné l’administration pour aller battre campagne à l’intérieur du pays ; cette campagne risque de faire tomber l’État pour si peu de choses.
Wallahi ! Les mots tombaient comme des feuilles mortes. L’administration, jadis colonne vertébrale, n’est plus qu’une carcasse laissée aux vautours. Les bureaux vides servent de salles de sieste aux moustiques. Pendant ce temps, les ministres et leurs doublons courent derrière des foules fatiguées, promettant la lune avec des chaussures percées. À fakoudou !
Un État qui déserte ses propres couloirs pour courir après des applaudissements, ce n’est plus un État, c’est un théâtre ambulant. Et Bernard-le-désossé, clope au bec, n’est plus qu’un figurant lucide dans cette grande comédie où le rideau menace de s’effondrer avant même la fin de l’acte.
Il y a donc cette campagne.
Une campagne sans chœur, sans dialogue, sans contradiction.
Un monologue en plein air, amplifié par des haut-parleurs qui beuglaient le même refrain :
— Oui ! Oui ! Oui !
On Chen fout ! Le « non » a disparu, kidnappé dans un coin sombre avec bâillon sur la bouche. Les voix dissonantes ont été muselées, les oppositions enterrées sous la pluie de “mesurettes”. À fakoudou !
Voilà donc notre démocratie réduite à un karaoké à une seule note, une symphonie à une seule corde. Et le peuple, ventre creux, est invité à applaudir le concert obligatoire, même quand la mélodie lui arrache les oreilles.
Wallahi ! Une campagne sans opposition, c’est comme un match de foot où une seule équipe est sur le terrain, et qui marque contre elle-même pour faire semblant de gagner. À fakoudou !
Sambégou Diallo
Billet
Un chat m’a conté
En Guinée, les mots marchent pieds nus.
Ils avancent en file indienne, répétant le même « oui » comme une prière monotone.
Le « non », lui, s’est pendu en chemin, étouffé sous la boue des slogans.
Une campagne sans écho, un fleuve sans rives, un théâtre où l’acte se joue avec une seule réplique.
Wallahi ! Le silence est devenu la seule opposition. Et c’est le silence qu’on entend le mieux. À fakoudou !
SD


