Le café et l’eau qui rit… Wallahi, ce matin, c’est dans ce petit café au coin de la rue que j’ai trouvé le monde tel qu’il est : bancal, glissant, imprévisible. L’eau stagnante dans les flaques faisait des clins d’œil à chaque passant maladroit, et les tasses de café tremblaient comme si elles avaient peur de se renverser sur le comptoir. À fakoudou ! On venait boire, mais on ne savait jamais si l’on allait repartir avec un peu de chaleur ou juste le goût amer de nos propres pas dans la boue. Les clients parlaient peu, observaient beaucoup, comme si l’eau et le café se moquaient d’eux, et de nous tous. On chen fout ! Et moi, je restais là, à écouter le rire silencieux de l’eau, pendant que le monde continuait à tourner, indifférent et pourtant si proche.

Le pays est devenu un sketch permanent, sauf que personne ne rit à la fin… sauf peut-être les minustres quand ils découvrent leurs salaires. Hé Kéla !

Wallahi, aujourd’hui en Guinée, même le riz a commencé à se prendre au sérieux : il se cache, se fait rare et quand il apparaît, il te regarde de haut, comme pour dire : « Tu crois que ton vilain billet de 20 000 peut m’acheter ? » Hé Kéla ! Dans nos foyers, on n’a plus trois repas par jour, même deux sont devenus un luxe. C’est désormais un repas par jour, et encore… si le destin n’est pas en grève. À fakoudou !

Le matin, on boit de l’eau chaude en appelant ça « thé ». À midi, on saute le repas pour ne pas salir la casserole. Et le soir, on partage un maigre plat familial qu’on baptise « buffet solidaire ». On Chen fout ! La pauvreté a tellement progressé que même nos ventres se sont mis au régime forcé.

Pendant que le peuple jongle entre une tasse d’eau chaude et une boule de  rescapée, de l’autre côté, nos chers dirigeants et leurs affidés vivent dans un monde parallèle : frigos pleins, buffets à volonté, ventres ronds qui brillent comme des tambours de fanfare ! Hé Kéla ! Là-bas, la seule famine qu’ils connaissent, c’est quand le champagne tarde à arriver.

Wallahi, leurs congélateurs ressemblent à des entrepôts humanitaires : poulets congelés en rang serré, poissons importés, yaourts Filmjölk et Skyr, et viandes soigneusement gardées. Pendant que nos marmites sonnent creux, leurs assiettes débordent tellement qu’il faut un barrage pour contenir la sauce. À fakoudou ! C’est ça la Guinée : le peuple compte ses grains, pendant que l’élite compte ses bouteilles de vin. On chen fout !

Ce matin, je voulais me donner un petit luxe : un poulet réchauffé pour le petit déjeuner. Wallahi ! J’ai mis ça au micro-ondes, j’ai tiré un bouquin pour patienter. Trois minutes seulement ! Je reviens… le poulet avait disparu. À fakoudou ! J’ai cherché dans la cuisine, dans la cour, même chez mes voisins. Rien ! Le poulet s’est envolé, comme les promesses de la transition. On chen fout ! Dans ce pays, même nos repas ont compris la misère : ils se sauvent avant d’être mangés. Hé Kéla !

Mes amis, août est fini, les orages sont passés, les routes redeviennent normales… mais la grande pluie qu’on attendait, celle des milliards du Karamo de la Banque centrale, wallahi, elle n’est jamais tombée ! À fakoudou ! On nous avait promis des averses financières, un déluge de billets neufs, comme si chaque citoyen allait nager dans l’argent. Hé Kéla !

Mais au final, rien. Pas une goutte. Le seul ruissellement qu’on a vu, c’est la sueur du peuple sous le soleil, pendant que les fameux milliards sont coincés dans les nuages dorés de la haute sphère. On chen fout ! En Guinée, même la météo financière est menteuse : elle annonce l’abondance, et c’est la sécheresse nationale qui s’installe.

Mais que veux-tu ? On espère encore, on attend toujours, parce qu’on ne peut rien faire autrement. En Guinée, l’espoir est devenu notre plat national : on le mange matin, midi et soir, sans huile, sans sel, sans riz. À fakoudou ! Ceux qui nous dirigent, on les regarde là-haut comme des anges en costards, perchés sur leurs nuages climatisés, capables — croit-on — de changer nos destins. Hé Kéla !

Mais wallahi, ce qui me turlupine, c’est autre chose : nous, on les voit comme des dieux modernes. Mais eux, nous voient-ils ? Si oui, comment nous voient-ils ? Comme une colonie de fourmis qui se débattent dans une marmite de  ? Comme des figurants dans leur théâtre géant ? Ou pire… comme un troupeau de moutons qu’on promène de promesse en promesse jusqu’à l’abattoir des illusions ? On Chen fout !

Wallahi, cette campagne du référendum ressemble à une pièce jouée par une seule troupe. Dans les rues boueuses, on ne voit que les partisans du pouvoir, habillés de tee-shirts flambants neufs « OUI à la nouvelle constitution », comme si le coton lui-même avait choisi son camp. À fakoudou !

Les adversaires, eux, ont disparu du terrain. On ne sait pas s’ils se sont terrés dans leurs salons ou s’ils militent seulement sur WhatsApp, envoyant des notes vocales comme des balles perdues. Hé Kéla ! On dirait des fantômes : invisibles dans les rues, mais bien bruyants dans les groupes Facebook. Résultat : les meetings ressemblent à un monologue politique, où le peuple sert de décor, les pancartes de figurants et les slogans de bande sonore. Hé Kéla !

Et puis wallahi, on continue à tourner dans ce manège guinéen, en attendant la pluie des milliards, le riz… et même le poulet qui s’envole. À fakoudou ! Mais un jour, je parie que même les flaques d’eau vont se mettre à rire, les marmites à danser et les tasses de café à chanter. Hé Kéla ! Et nous, assis sur nos chaises branlantes, on va applaudir si fort que le vent lui-même sera obligé de changer de direction. À fakoudou !

Sambégou Diallo 

Billet 

Le café et l’eau qui rit

Toujours pas de clarté. Le soleil, ce matin, avait décidé de se cacher, comme pour rire de nous. Dans la rue, l’eau stagnante faisait des miroirs pour les passants malchanceux. Une vieille me fit un signe de la main, comme si elle me disait : « Tiens bon, mais ne t’attends pas à grand-chose. »

Je passai sous un sceau d’eau jeté par un gamin, atterrissant dans le petit café de l’angle où les tasses et les assiettes s’empilaient comme des châteaux en ruines. Pour atteindre la chaise, il fallait danser, plier les jambes, tenir la porte de l’autre bras, et espérer ne pas tomber. Wallahi, on Chen fout !

Les clients, eux, s’agitaient comme des poissons hors de l’eau. Certains buvaient leur café en priant le ciel, d’autres semblaient se demander comment ils étaient arrivés là. Et moi, je restai debout, observant le monde tourner, mais toujours pas en marche.

SD