Le samedi 27 septembre, le général Amara Camara, représentant le Président Mamadi Doumbouya, s’est exprimé à la tribune des Nations Unies lors de la 80ème session de l’organisation internationale. Le discours a globalement été satisfaisant. Amara Camara a abordé plusieurs sujets importants, notamment le projet Simandou, le référendum constitutionnel récemment achevé, la réforme du système éducatif guinéen à travers Simandou Academy, les enjeux environnementaux comme la hausse des températures, des précipitations, ainsi que la reconfiguration géopolitique internationale, face à laquelle l’ONU peine à s’adapter.
Toutefois, certains passages du discours étaient peu pertinents. C’est le cas des nombreuses citations du discours du Président Mamadi Doumbouya prononcé en 2023 à cette même tribune. Une intervention à l’ONU devrait se concentrer sur des enjeux internationaux ou nationaux à forte portée internationale.
De plus, la critique adressée à la démocratie apparaissait maladroite, voire contradictoire, dans le contexte national actuel. La Guinée a organisé un référendum le 21 septembre, prévoit une élection présidentielle en décembre 2025 et, ensuite, des législatives. Ces échéances s’inscrivent dans une logique démocratique. Aussi imparfaite soit-elle, la démocratie reste le système de gouvernance qui donne le pouvoir au peuple et confère une légitimité aux dirigeants.
Trop de silence, un cancer à la communication
Certains propos tenus étaient même inappropriés. Dès l’ouverture, le général Amara Camara déclare : « C’est un honneur pour moi de prendre la parole à cette tribune universelle. » L’usage du terme « universelle » est problématique, tant sur le plan sémantique qu’institutionnel et philosophique. La tribune de l’ONU ne peut être qualifiée d’universelle : elle est réservée à une poignée de représentants des États membres. L’organisation elle-même n’est pas universelle dans sa composition ou son accès. Décrire comme « universelle » une tribune où seuls les chefs d’État et de gouvernement peuvent s’exprimer est inexact. De plus, l’ONU est aujourd’hui sujette à des critiques dans de nombreux pays, y compris en Afrique.
Vers la fin de son intervention, le général affirme : « C’est l’occasion pour moi, au nom du Chef de l’État, de saluer la maturité du peuple de Guinée et saluer également son attachement à l’avenir de son pays. » Ce type de reconnaissance ne trouve pas sa place à la tribune des Nations Unies. Il relève du Président de la transition, et c’est sur le sol guinéen qu’il doit être exprimé.
Le Président Doumbouya aurait dû prendre la parole lui-même après la validation du référendum par la Cour suprême pour exprimer à la population son implication dans le processus de retour à l’ordre constitutionnel. Ce référendum constitue un tournant pour les quatorze prochaines années.
Le Président a tort de se retrancher dans le silence. Il a tort de déléguer systématiquement la parole à d’autres, y compris à l’ONU, où tous les Chefs d’État se rendent pour exprimer leur vision du monde. Même le Président des États-Unis s’y exprime. Le Président Doumbouya aurait pu s’y rendre et promulguer les résultats du référendum, même depuis l’ambassade de Guinée à Washington. Les décisions peuvent être prises partout ; le monde et la technologie ont bien évolué pour s’adapter à de telles situations.
Un excès de silence nuit gravement à la communication. En politique, plus une prise de parole est rare, plus elle est attendue. Et lorsqu’elle se produit, elle peut renforcer l’adhésion, la confiance et l’appropriation. Dans le cas du Président Doumbouya, il ne s’agit plus d’une rareté mais d’un silence injustifié. Ce type de communication alimente les soupçons et les rumeurs autour de la gouvernance.
Apprendre à s’adresser au monde
Certains rendez-vous imposent une prise de parole présidentielle. Les seules adresses à la Nation en fin d’année ne suffisent pas. S’inscrire dans l’histoire, c’est aussi marquer les esprits par des discours. Très souvent, un bon discours reste, alors que le silence s’oublie.
Aujourd’hui, les rôles apparaissent inversés à la Présidence. Le Président se tait, tandis que le Secrétaire général et le Directeur de cabinet sont omniprésents. Or, le Secrétaire général de la Présidence, du fait de la nature stratégique de sa fonction, devrait rester discret. Il est problématique d’avoir cumulé les fonctions de Secrétaire général et de porte-parole de la Présidence. Le Président n’a pas besoin d’un porte-parole, mais d’un service de communication, de presse et de discours bien organisé.
De la même manière, le Directeur de cabinet devrait aussi s’effacer. Leurs interventions devraient être rares. Aujourd’hui, on parle plus d’eux que du Président lui-même.
La prise de parole du général Amara Camara à l’ONU constitue une erreur à la fois diplomatique et communicationnelle. En l’absence du Président, la tradition voudrait que le Premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères intervienne. Les deux étaient disponibles et compétents pour le faire. Il n’y avait donc aucune raison valable de déroger à cette tradition.
Enfin, cette prise de parole manquait de dynamisme. Plusieurs lacunes ont été relevées : absence de rythme, pauvreté stylistique, manque d’éloquence, gestuelle figée, absence d’entrain. Or, s’exprimer à l’ONU revient à s’adresser au monde, et non uniquement aux Guinéens. Il est urgent de mieux préparer ces discours, de travailler les interventions, car elles engagent l’image du pays et sa diplomatie.
Un dernier détail interroge : pourquoi, alors que plusieurs chefs d’État étaient entourés d’agents de sécurité, notamment le Président Bassirou Diomaye Faye du Sénégal, le général Amara Camara n’était-il entouré de personne lors de son intervention ?
Mamadou Kossa Camara
Spécialiste en communication