Mamadou Aguibou Sow, plus connu sous le nom de Mo Kulete, est une figure montante de la culture peule. Enseignant, écrivain et ardent promoteur de la langue pular, il s’est imposé comme scénariste à succès, grâce à ses œuvres No Warriwo et Ndondi, deux films très suivis sur la chaîne Pulaagu de Canal+. À travers ses créations, Mo Kulete démontre que le cinéma peul peut être à la fois original, attractif et porteur de valeurs. Dans cet entretien qu’il a accordé à La Lance, il revient sur son parcours, sa passion pour l’écriture et sa vision de la promotion de la langue pular à travers le septième art.
La Lance : Monsieur Mamadou Aguibou Sow, nous vous savons attaché à l’enseignement et à la vulgarisation du pular. En quoi, le cinéma est un moyen pour vous de réussir cette mission ?
Mo Kulete : Je suis Mamadou Aguibou Sow, connu sous le nom de Mo Kulete. Je suis auteur en langue pular, j’enseigne le pular et j’écris en pular. Ces derniers temps, par le concours de plusieurs circonstances, je me suis retrouvé dans le cinéma, pas en tant qu’acteur, mais en essayant d’écrire des scripts de cinéma. Parce que je me suis dit que ceux qui ne peuvent pas lire et qui n’ont pas le temps de s’approcher et apprendre, peuvent apprendre la culture peule à travers le cinéma.
De quoi traitent vos scénarios ?
Mes scénarios sont une commande. Ils ne reflètent pas mes initiatives. Je vais faire un peu l’historique. Un réalisateur Ivoirien, Monsieur Jean Noël Bah, avait besoin d’un scénariste en langue pular. J’ai été recommandé par l’entremise d’Alpha Oumar Taran, le secrétaire général de l’université de Faranah. Jean Noël m’a commandé un premier scénario intitulé : No Warriwo. J’ai fait le synopsis. N’ayant jamais écrit, je lui ai dit que ce n’était pas mon travail. Il m’a coaché. Au fur et mesure, j’écrivais. J’ai envoyé le premier synopsis qui l’a intéressé. Ce sont des faits de société. Ce n’est pas la plume de Mo Kulete à l’image des thèmes que je traite, selon mes choix. Là, c’est une commande. C’est à la carte. Le scénario, c’est une écriture à la carte. Une commande du réalisateur. « Je veux un scénario qui va parler de ceci ou de cela ». Étant imprégné de la culture peule, cela a été facile pour moi de la retransmettre. Parce que je connais un peu ce que pensent les peuls de ce sujet.
Avec No Warriwo, il n’était pas question de parler de l’esclavage ou de révéler l’esclavage au Fouta, mais de parler de classes sociales. C’est pourquoi, on parle de Awulouɓe, Kahaaɓe, fulɓe, plein d’histoires y sont traitées. Mais le plus important, c’était l’histoire d’amour entre ce jeune Sara et cette fille, la fille de l’imam qu’on n’a pas connu auparavant au Fouta, un enfant de ceux qu’on appelle Mahooɓe paya qui épouse la fille de l’imam. Donc, c’était cette histoire d’amour. Autour de cette histoire d’amour, il y avait d’autres scénarios à greffer, ce que nous avons donc fait. Ce sont des problèmes de terre, de bœufs, parce qu’on ne peut pas parler du peul sans parler de l’élevage, de l’agriculture. Mais le deuxième scénario est un autre thème, à la commande du réalisateur.
Après No Warriwo, un film à succès, vous proposez Ndondi, très suivi actuellement. Qu’est-ce qui vous motive à continuer ?
Parlant du scénario, j’ai été motivé par le paiement. Parce que ce n’est pas une motivation personnelle, comme lorsque j’écris mes propres romans où j’ai mes propres motivations. En ce moment, je me dis que je fais du Pulaagu. Mais écrire un scénario, la première motivation, c’est qu’il est payé. Jean Noël Bah a fait un contrat avec moi, il a demandé un synopsis que je lui ai envoyé, on était d’accord sur les thèmes à traiter. J’ai développé ces thèmes sur 60 épisodes. Vous constaterez que chaque film, c’est 60 épisodes et chaque épisode, c’est 15 scènes, soit 900 scènes dans l’ensemble. Je sais que le public en a encore pour plus de 3 mois à regarder, avec des suspenses énormes. Ndondi traite de l’héritage, mais il n’y a pas que l’héritage. Autour de l’héritage, il y a aussi des problèmes de terre, d’immigration. Il y a énormément de sous thèmes, parce qu’une série ne traite pas d’un seul thème. Il y a un thème principal autour duquel sont greffées de petites histoires qui naissent comme des histoires d’amour, de voyage, de migration, de bergers et d’agriculteurs. Mais Ndondi traite essentiellement de l’héritage.
Pourquoi, avez-vous choisi de tourner les films dans les villages alors que la tendance est plutôt citadine ?
Le village, c’est un choix du réalisateur. En faisant le film, il va me dire le film va être tourné dans un endroit péri urbain. Ce qui aide le scénariste à créer ses scènes. Parce qu’on ne peut pas créer la scène de la ville au village, mais le réalisateur dit que c’est au village. No Warriwo, il avait dit que c’est en pleine campagne. On a fait des scènes de ce genre. Pour Ndondi, il a dit que c’est en péri urbain, c’est-à-dire un village mais avec quelques commodités. Vous avez vu, il y a un sous-préfet. On l’a fait dans une sous-préfecture. Mais c’est un choix du réalisateur. Ce sont des informations que l’on donne au scénariste bien avant de commencer, parce qu’en créant ses scènes, il va penser aux coins de rue, aux cases, en tout cas, il doit penser à l’environnement et au milieu où il doit décrire son histoire.

La série Ndondi connaîtra-t-elle d’autres saisons?
Cela dépendra du réalisateur, parce qu’un scénariste attend une commande. Si demain, on me demandait d’écrire la suite, je l’écrirais. C’est le cas de No Warriwo, on en a commencé la suite, donc la deuxième saison. Là, c’est vraiment à la discrétion du réalisateur.
L’autre remarque dans ces deux films, c’est que les acteurs s’expriment en langue pular pratiquement sans emprunts. Quel message voulez-vous lancer ?
Cela dénote de l’exigence du réalisateur. Ce n’est pas le scénariste, parce que le scénario est écrit en français. Il faut bien saluer la compétence des acteurs qui ont su jouer des rôles et les interpréter, en partant de l’idée en français, parce que le réalisateur ne comprend pas bien le pular, mais il a besoin d’un scénario qu’il va lui-même comprendre. Il va l’avoir en français, mais les acteurs vont le jouer en pular. Cela relève de ses exigences. Que ce soit vraiment dans un pular très limpide. Cela fait partie de la conditionnalité quand j’écrivais le scénario. J’ai dit : je le fais, mais je ne voudrais pas faire quelque chose avec un pular demi-saison, avec plein d’emprunts. Il a dit qu’il prend la garantie que les acteurs ne feront que du pular.
Quel appel avez-vous à lancer aux acteurs du cinéma guinéen, notamment peuls ?
Je leur dirais félicitations, parce qu’avec Ndondi, ils ont été à la hauteur. Ceux qui sont en train de jouer dans d’autres films, je leur dirais d’apprendre. D’apprendre et surtout se coller à de grands réalisateurs, pour que tôt ou tard, la Guinée ait ses maisons de production avec de grands acteurs, de grands scénaristes. Pourquoi pas les amener à suivre des ateliers de formation sur la scénarisation. Parce que, ce qui manque réellement au cinéma pular de Guinée, en dehors de ce que la maison Scénarii de Jean Noël propose, c’est l’histoire. En fait, on peut regarder un film sans savoir de quoi il est question. Donc, les scenarios ne sont pas bien faits. Ou bien, parfois ils ne l’écrivent pas, ils vont de coq à l’âne, finalement on se fatigue de regarder. Je pense que Scénarii est en train de révolutionner le cinéma guinéen, bien qu’étant de la Côte D’Ivoire.
Interview réalisée par
Mamadou Adama Diallo