I. Avant-propos au plaidoyer
À l’approche du référendum constitutionnel prévu le 21 septembre 2025 en République de Guinée, nous soumettons la présente contribution doctrinale à l’attention des autorités nationales, des organes de la Transition et de l’opinion publique.
Elle repose sur une analyse juridique approfondie des dispositions du projet de Constitution relatives à la propriété et à la gestion des ressources naturelles. Ces dispositions ont été publiées au Journal Officiel de la République de Guinée le 30 juin 2025, sous réserve d’éventuelles modifications ultérieures non encore portées à notre connaissance.
Cette contribution s’inscrit dans le cadre de notre recherche doctorale axée sur la reconnaissance et la protection des droits des communautés affectées par l’exploitation des ressources minières en droit guinéen.
Elle se veut un plaidoyer constructif en faveur du renforcement effectif du droit du peuple guinéen sur ses ressources naturelles dans la future Constitution de notre pays.
Après avoir exposé le contexte et les enjeux, il convient désormais d’analyser brièvement les dispositions constitutionnelles comparées.
II. Analyse juridique introductive
La souveraineté sur les ressources naturelles constitue un principe fondamental du droit constitutionnel des États riches en ressources extractives. En Guinée, pays à fort potentiel minier, les textes constitutionnels successifs ont progressivement tenté d’encadrer la gouvernance de ces richesses en affirmant leur appartenance au peuple. La Constitution suspendue de 2020, promulguée par Décret n°012/20/073 RG/SGG du 6 avril 2020, a marqué un progrès remarquable en la matière à travers son article 27, qui :
- reconnaît expressément un droit imprescriptible du peuple sur ses richesses ; qualifie les ressources naturelles de bien commun ;
- prévoit l’obligation pour l’État d’affecter une partie des revenus miniers au développement des collectivités locales ;
- fait du contenu local un principe fondamental, contraignant et garanti.
À l’inverse, le Projet de Constitution de 2025, bien qu’il réaffirme certains principes généraux (gestion équitable, contenu local) en son article 6, omet ou affaiblit des garanties juridiques essentielles.
Le texte proposé ne reconnaît pas explicitement le droit du peuple sur ses ressources, ne qualifie plus les ressources naturelles comme bien commun, et ne prévoit aucun mécanisme de redistribution directe au profit des populations locales.
Cette situation fait craindre une régression constitutionnelle en matière de droit du peuple sur ses ressources naturelles. Elle motive notre appel à la réintégration, voire au renforcement, des garanties concernées dans la version finale de la future Constitution.
Cette analyse introductive nous conduit à étudier précisément les différences entre les textes de 2020 et le projet de 2025.
III. Dispositions constitutionnelles comparées
Article 27 – Constitution suspendue de la République de Guinée (2020)
« Le peuple de Guinée détermine librement et souverainement ses institutions et l’organisation politique, économique et sociale de la Nation.
Il a un droit imprescriptible sur ses richesses. Celles-ci doivent profiter de manière équitable à tous les Guinéens.
Les ressources naturelles constituent un bien commun. Dans les conditions déterminées par la loi, l’État veille à ce qu’une partie des recettes issues de l’exploitation des ressources minières soit affectée au développement des collectivités locales.
L’État et ses démembrements garantissent le développement du secteur privé national, dans les projets publics ou les projets portés par les investisseurs du secteur privé.
Sur l’ensemble du territoire de la République de Guinée, sans aucune restriction, le concept de contenu local est reconnu comme principe fondamental, garanti par l’État et ses démembrements.
Dans les conditions déterminées par la loi ou les règlements, tout projet public ou tout projet porté par les investisseurs du secteur privé devra obligatoirement faire application du concept du contenu local ».
Article 6 – Projet de Constitution de la République de Guinée (2025)
« L’État s’engage à respecter et à faire respecter les principes fondamentaux ci-après :
[…]
i. la gestion rationnelle, transparente et équitable des ressources naturelles pour le bien-être des populations à tous les niveaux ;
j. l’obligation de prise en compte du contenu local dans tous les secteurs de développement… »
Forts de ce constat, nous pouvons maintenant mesurer les conséquences juridiques et politiques de ces choix.
IV. Tableau comparatif synthétique
| Critères d’analyse | Constitution suspendue de 2020 (art. 27) | Projet de Constitution 2025 (art. 6) | Évaluation juridique |
| Droit du peuple sur ses richesses | Droit imprescriptible expressément reconnu | Non mentionné explicitement | Recul majeur |
| Statut des ressources naturelles | Bien commun | Terme non utilisé | Concept supprimé |
| Redistribution des revenus miniers | Affectation obligatoire au développement local | Aucune mention explicite | Vide juridique |
| Contenu local | Principe fondamental garanti et obligatoire | Prise en compte requise (formulation souple) | Affaiblissement normatif |
| Langage juridique | Normatif, prescriptif, structuré | Déclaratif, général, sans force contraignante | Déclin de la force juridique opposable |
Enfin, cette évaluation synthétique nous amène à tirer une conclusion et à proposer des recommandations précises en faveur du droit du peuple guinéen sur ses richesses naturelles.
V. Conclusion et recommandations
Le projet de Constitution de 2025, en l’état, affaiblit plusieurs garanties juridiques relatives aux ressources naturelles déjà reconnues dans la Constitution suspendue de 2020. Ces garanties, qui bénéficiaient aux collectivités locales et au peuple souverain, pourraient être compromises si le projet n’est pas renforcé. Il est crucial que le texte fondamental qui régira la vie de la Nation :
- réaffirme clairement le droit imprescriptible du peuple guinéen sur ses ressources naturelles ; consacre de nouveau les ressources naturelles comme bien commun ;
- institutionnalise la redistribution équitable des revenus miniers en faveur des collectivités locales et des communautés affectées ;
- renforce l’obligation juridique du contenu local par des formulations impératives.
Ce plaidoyer ne constitue pas une simple opinion, mais une contribution réfléchie au processus d’édification constitutionnelle. Il vise à promouvoir une Guinée plus juste, équitable et souveraine, où les ressources du sol et du sous-sol servent effectivement le développement du pays.
Nous invitons le Conseil National de la Transition (CNT), les autorités de la Transition ainsi que l’ensemble des forces vives de la Nation à intégrer pleinement ces garanties dans le texte final de la future Constitution. Il s’agit de consacrer un cadre juridique protecteur, équitable et solidaire pour la gestion des ressources naturelles, dans l’intérêt du peuple de Guinée.
Kpana Emmanuel BAMBA
Doctorant en droit privé et sciences criminelles
Université Toulouse Capitole (France)


