Ce Dimanche, 21 septembre 2025, les Guinéens se rendront au scrutin référendaire pour amorcer la fin d’une gouvernance transitoire sous l’égide du CNRD dirigé par Mamadi Doumbouya. Dans un tel contexte, et après une longue transition, on aurait dû s’assurer que le projet de Constitution soumis au vote était le fruit d’un processus réellement inclusif, intégrant toutes les composantes de la Nation. Un pacte commun, au-dessus des clivages politiques, capable d’incarner le vivre-ensemble au-delà des querelles partisanes.
Mais en choisissant l’exclusion des forces politiques et sociales les plus représentatives du pays, et en muselant les voix dissidentes, les dirigeants ont de facto créé les conditions d’un rejet, ouvert ou silencieux, de ce projet par une large partie de la population. Car, comme nous l’a rappelé le célèbre aphorisme de Nelson Mandela : « ce qui est fait pour nous sans nous est fait contre nous ».
Il est donc essentiel de souligner qu’une victoire du « oui » dans les urnes ne signifie pas nécessairement l’adhésion populaire au projet. Une Constitution ne se juge pas au seul score d’un référendum, surtout si une grande partie du peuple en est absente. Elle se juge à l’adhésion réelle et durable qu’elle suscite dans la conscience collective. Notre histoire récente en témoigne : des référendums présentés comme des plébiscites n’étaient souvent que des mascarades imposées par la peur, la contrainte ou la résignation.
Une fois encore, nos élites, trop souvent guidées par l’égotisme et la fidélité au Prince plutôt qu’à la Nation, s’emploient à faire passer ce projet par des moyens peu orthodoxes : intimidation, achat de conscience, propagande, démagogie, réquisition des fonctionnaires, des taxis, des marchés, des vendeuses, des paysans… Tout ceci pour construire une illusion d’adhésion populaire Pourtant, une Constitution imposée par de tels moyens ne peut jouir d’une légitimité durable, car une bonne partie de la population ne s’y reconnaîtra tout simplement pas.
Avec de telles failles dès l’amont, le risque est grand de revivre l’expérience de 2001 ou de 2020 : une Loi fondamentale imposée par la force des armes et l’argent public détourné. Une fois adoptée, elle portera déjà les germes de son rejet. Et sa suspension, comme celles qui l’ont précédée, sera saluée comme un soulagement collectif.
Par ailleurs, il convient de rappeler que dans tout processus d’élaboration d’une Constitution, la forme est aussi importante que le fond. Ne dit-on pas en droit que « la forme commande le fond » ? Les méthodes qui entourent sa rédaction influencent l’adhésion tout autant que son contenu. Une Constitution née du dialogue, de l’inclusion et de la transparence a plus de chances à résister au temps.
À l’inverse, une Constitution forgée dans l’exclusion ne survit jamais. Elle favorisera inévitablement l’instabilité, la contestation et pourrait parfois même conduire à de nouveaux coups d’État, puisqu’elle est dénuée de toute vertu participative.
Certes, le présent projet de Constitution contient quelques avancées majeures, notamment l’officialisation des langues nationales, l’obligation de traduire les documents officiels en langues nationales, ou encore l’introduction des candidatures indépendantes, entre autres. Mais il porte également en lui les germes de son rejet futur. Inspiré de la Constitution française de 1958, il en reprend les travers sans vraiment tenir compte de nos réalités sociopolitiques.
L’alternance, oxygène de la démocratie
Le passage du mandat présidentiel de six à sept ans en est une parfaite illustration. C’est une erreur historique qui va à contre-courant de la tendance mondiale au raccourcissement et à la limitation des mandats. La France et le Sénégal l’ont déjà compris. Aux États-Unis, le président de la première puissance mondiale est élu pour quatre ans, renouvelables une seule fois. Le Nigeria, notre voisin régional, a choisi la même voie. Aujourd’hui, les démocraties modernes privilégient des mandats de quatre ou cinq ans, surtout dans les régimes présidentiels comme celui proposé dans cette nouvelle Constitution. L’alternance est l’oxygène de la démocratie. Un mandat trop long finit toujours par devenir oppressant pour les gouvernés et laxiste pour les gouvernants. Ce n’est pas une opinion, mais un constat de l’histoire, y compris la nôtre.
À cela s’ajoute l’introduction d’un Sénat sans justification convaincante. Dans un pays aux ressources limitées, cette chambre alourdit une architecture institutionnelle déjà pesante. Le Sénat risque d’affaiblir l’Assemblée nationale et de renforcer les pouvoirs du président, puisque ce dernier nommerait un tiers de ses membres. C’est une aberration. La Guinée n’est pas une monarchie. Un président n’a pas vocation à distribuer des sièges au parlement comme privilèges. Comment parler de séparation des pouvoirs si le chef de l’exécutif est investi du pouvoir exorbitant de choisir ceux qui sont censés constituer un contre-pouvoir ?
Si Sénat il devait y avoir, il devrait être élu par le peuple, non nommé, car il devrait représenter les territoires, les collectivités, la sagesse institutionnelle et non les intérêts du Président. Il doit être indépendant et représentatif, non inféodé. Si l’objectif est la compétence et l’expertise, mieux vaut renforcer les institutions que l’Assemblée pourrait consulter telles que le Conseil économique et social, les universités et les instituts de recherche, etc.
Mieux encore, au lieu d’un Sénat, il aurait été plus utile d’instaurer un poste de vice-président de la république élu sur le même ticket que le président, mais issu obligatoirement d’une région et d’une communauté différente de celles du président. Une telle mesure favoriserait la paix et l’équilibre régional, renforcerait la représentativité et ouvrirait la voie à l’accession au pouvoir des minorités. L’exemple ghanéen est éloquent : John Mahama, issu d’une minorité du nord, a pu accéder à la présidence après le décès de John Atta Mills, dont il était le vice-président. Il fut ensuite élu à l’issue du suffrage populaire comme président de la République. Si les Ghanéens n’avaient pas bénéficié de sa présidence accidentelle, John Atta Mills n’aurait certainement pas pu surmonter les clivages ethniques et remporter les élections face à un candidat issu de l’une des ethnies majoritaires du pays. L’instauration d’un poste de Vice-président nous permettrait d’éviter la monopolisation du pouvoir par les deux groupes ethniques majoritaires du pays.
Ambitions personnelles
Rien n’est irréversible, car il n’est pas encore tard. Le dialogue, l’inclusivité et la transparence pourraient enfin mettre un terme à ce cycle d’instabilité et offrir à la Guinée une Constitution représentative, consensuelle et respectée.
Il est donc temps que la Guinée expérimente d’autres modèles constitutionnels. Malgré les échecs répétitifs des modèles de Constitution française en Afrique noire, la Guinée a une nouvelle fois décidé de se remarier avec la Constitution française de 1958. Même s’il est vrai que ces échecs sont plus imputables à nos dirigeants qu’aux textes constituants, nous avions là une opportunité de débattre des mérites de l’unitarisme et du fédéralisme, du système parlementaire ou du régime présidentiel, etc.
Depuis l’indépendance, nous en sommes déjà à la septième Constitution. Rien ne garantit que celle-ci sera la dernière. Toutes celles qui furent taillées sur mesure pour servir un homme ou un clan ont fini dans l’échec. Les constitutions de de 1982, 2001 et 2020 en sont les preuves.
En réalité, le problème de la Guinée ne réside pas seulement dans ses Constitutions successives, mais dans l’absence d’hommes d’État capables de se dépasser et de sacrifier leurs intérêts pour ceux de la Nation. Ce qui manque à la Guinée, ce n’est pas forcément un texte constitutionnel de miracle, mais des dirigeants de la trempe d’un George Washington, qui refusa la tentation d’un pouvoir à vie et alla jusqu’à menacer d’humilier publiquement l’officier qui lui avait soufflé de se proclamer roi. Ou comme Nelson Mandela, qui pouvait briguer un second mandat, mais qui a préféré mettre fin à sa carrière politique afin de servir d’exemple à la future génération.
Voilà la leçon que nous persistons à ignorer : aucune Constitution ne peut sauver un pays lorsque ses dirigeants la livrent à leurs ambitions personnelles. Seule la grandeur des hommes qui l’incarnent peut lui donner vie. Un grand leader mène le peuple à bon port à travers les bourrasques de l’histoire. Le peuple et l’Histoire retiennent plus les acquis de l’idéal d’un leader, plus que les œuvres matérielles.
Abdoulaye J Barry
Conakry, Guinée