La Direction générale des élections vient de fixer le montant de la caution présidentielle à 900 millions de francs guinéens et le plafond des dépenses de campagne à 40 milliards. Une décision qui interroge sur les véritables priorités de notre démocratie.
Par la décision n°D/2025/164/MATD/DGE, le ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (MATD) a défini les contours financiers de l’élection présidentielle du 28 décembre prochain. Si ces dispositions s’inscrivent dans le cadre légal du Code électoral, elles révèlent une conception préoccupante de la gouvernance : celle où la capacité financière prime sur l’intégrité morale.
Une barrière financière de 900 millions
La caution de 900 millions de francs guinéens, à déposer au Trésor public cinquante jours avant le scrutin, représente un montant considérable. Pour mettre ce chiffre en perspective, il équivaut à plusieurs années de salaire pour la grande majorité des Guinéens. Cette somme transforme de facto la candidature présidentielle en un privilège réservé à une élite économique, excluant potentiellement des citoyens compétents mais aux moyens limités.
Certes, l’article 275 du Code électoral prévoit cette disposition, mais la question demeure : est-ce là le meilleur filtre pour sélectionner ceux qui aspirent à diriger notre nation ?
40 milliards : le prix d’une campagne
Le plafonnement des dépenses de campagne à 40 milliards de francs guinéens soulève également des interrogations. Si l’intention de limiter les dérives financières est louable, ce montant astronomique pose plusieurs problèmes. D’abord, il normalise l’idée qu’une campagne électorale nécessite des moyens colossaux. Ensuite, il crée une course à l’argent où la capacité de mobiliser des ressources financières devient plus importante que la pertinence d’un projet de société.
La décision impose certes la constitution d’un fonds électoral et l’établissement d’un compte de campagne auprès d’une banque agréée, garantissant théoriquement la traçabilité. Mais qui vérifiera réellement l’origine de ces sommes ? Qui s’assurera que cet argent ne provient pas de circuits opaques ou de financements étrangers ?
Le grand absent : l’enquête de moralité
C’est peut-être là le point le plus troublant de cette décision : l’obsession pour les chiffres et le silence assourdissant sur la moralité des candidats. Aucune mention d’une enquête d’honorabilité, aucune exigence de casier judiciaire vierge, aucun mécanisme de vérification de l’intégrité des postulants.
Ainsi, un candidat fortuné mais ayant un passé controversé, voire entaché de scandales, peut se présenter sans entrave, pourvu qu’il dispose des 900 millions de caution et puisse lever 40 milliards pour sa campagne. À l’inverse, un citoyen exemplaire, aux compétences avérées et à la probité reconnue, mais ne disposant pas de ces moyens financiers, verra la porte de la candidature se fermer devant lui.
Une vision réductrice de la démocratie
Cette approche réduit la démocratie à sa dimension marchande. Elle suggère que l’aptitude à gouverner se mesure en milliards, que la légitimité s’achète et que l’intégrité est un détail négligeable. Pourtant, l’histoire récente de l’Afrique et du monde regorge d’exemples où des dirigeants fortunés ont pillé les ressources de leur pays, tandis que des leaders modestes ont bâti des nations prospères.
Qu’en est-il des valeurs que nous voulons voir incarnées par notre futur président ? L’honnêteté, le patriotisme, la compétence, la vision stratégique, l’absence de conflits d’intérêts ? Ces critères essentiels brillent par leur absence dans cette décision.
Des questions sans réponses
Plusieurs interrogations demeurent. Comment s’assurer que ces montants faramineux ne proviennent pas de la corruption ou du détournement de fonds publics ? Quel mécanisme existe-t-il pour vérifier que les candidats n’ont pas de dettes envers des puissances étrangères ou des lobbys qui hypothéqueraient leur indépendance une fois élus ?
Le Code électoral prévoit des sanctions en cas de dépassement du plafond, mais quid des sanctions pour les candidats qui auraient menti sur l’origine de leurs fonds ou dissimulé des casiers judiciaires à l’étranger ?
Pour une réforme en profondeur
Il est urgent de repenser les critères de candidature à l’élection présidentielle en Guinée. Sans remettre en cause la nécessité d’une certaine organisation financière des campagnes, il faut impérativement introduire des mécanismes d’évaluation de l’intégrité morale des candidats.
Une enquête de moralité approfondie, menée par des institutions indépendantes, devrait être un préalable à toute candidature. Le casier judiciaire, tant national qu’international, devrait être scruté. Les antécédents en matière de gestion publique ou privée devraient être examinés. Les conflits d’intérêts potentiels devraient être identifiés.
L’argent peut-il tout faire ?
La décision du MATD fixant les conditions financières de la présidentielle 2025 est techniquement conforme au Code électoral, mais elle révèle une vision troublante de notre démocratie. En faisant de l’argent le principal, voire l’unique critère d’accès à la magistrature suprême, elle ouvre la voie à une ploutocratie où les plus riches, pas nécessairement les plus intègres, accèdent au pouvoir.
Le peuple guinéen mérite mieux qu’une élection où seuls les portefeuilles comptent. Il mérite des leaders dont la moralité, la compétence et le patriotisme ont été vérifiés, des hommes et des femmes qui aspirent à servir leur pays plutôt qu’à s’enrichir davantage.
L’argent ne fait pas tout. Il ne devrait surtout pas faire l’élection.
Sambégou Diallo