Le mois d’octobre, au cours duquel on célèbre notre accession à la pleine souveraineté, est à mettre à profit pour évaluer le niveau de développement du pays. Au titre de cette évaluation, il y a lieu de le souligner que la Guinée constitue un paradoxe sur le plan agricole : malgré des sols fertiles et des ressources en eau abondantes, l’autosuffisance alimentaire reste encore un vœu pieux. Tout y pousse ou presque : riz, tomates, oignons, mil, sorgho, fonio, manioc, igname, patates douces, taro, palmiers à huile, hévéa, caféiers, bananiers, ananas, manguiers… Et pour cause. Arrosé par une multitude de cours d’eau, le pays bénéficie de pluies abondantes six mois par an, et la plupart de ses sols sont propices à l’agriculture. Malgré ces atouts naturels et en dépit des investissements réalisés au cours de ces dernières années, les Guinéens n’assurent toujours pas leur autosuffisance alimentaire, et sont obligés d’importer une bonne partie des denrées alimentaires. Notamment du riz.
Ce déficit provient déjà du manque de terres cultivées. Sur un potentiel de 6,5 millions d’hectares, 1,2 million seulement est mis en valeur. En outre, les superficies des exploitations restent faibles, variant de 0,9 ha en Moyenne-Guinée à 2,4 ha en Haute-Guinée. Les techniques culturales sont par ailleurs encore très traditionnelles, limitant les possibilités d’intensification.
Autant de raisons qui expliquent la faible part du secteur agricole dans l’économie du pays. Alors qu’il occupe environ 88% de la population active rurale ; il représente moins de 10% des exportations et seulement 25% du produit intérieur brut (PIB), soit un taux inférieur à celui enregistré dans d’autres pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, où il atteint 40%.
Bien que fixée comme une priorité depuis longtemps, la politique de sécurité alimentaire n’est guère devenue une réalité sur le terrain, comme en témoignent les importations de riz. En effet, la Guinée est fortement tributaire des importations de denrées alimentaires; il ressort des dernières statistiques disponibles que les aliments représentent 27 pour cent de l’ensemble des importations. Le riz constituait 40 pour cent de l’ensemble des produits alimentaires importés 35 et 5 pour cent de toutes les importations en 2021. Les récentes mesures d’interdiction des exportations de riz et la forte inflation ont pesé sur le pouvoir d’achat des personnes les plus vulnérables. Pour inverser donc cette tendance, il s’agit notamment de renforcer la sécurité alimentaire par la diversification et l’accroissement des cultures vivrières, à accroître les revenus des producteurs grâce à une amélioration de l’accès au marché et à favoriser l’essor d’un secteur privé agricole dynamique par un aménagement de l’environnement législatif et règlementaire, un meilleur accès au crédit et des formations aux techniques agricoles modernes.
Dans ce même ordre d’idées, il ressort du Programme de redressement intérimaire de la transition 2022–2025, que des contraintes structurelles empêchent l’agriculture d’être l’un des leviers de la sécurité alimentaire et de la croissance économique. Aussi, la productivité totale des facteurs est-elle faible en raison d’un rapport inadéquat entre les intrants et les produits agricoles. Les petits exploitants, qui sont le principal pilier du secteur agricole, pâtissent d’un manque d’accès aux services de vulgarisation, aux intrants et aux innovations, d’une baisse de la fertilité des sols, de la faiblesse des rendements et d’une mauvaise gestion de la production (pertes après récolte et transformation). En outre, la dégradation des terres arables et des écosystèmes forestiers met en péril les moyens d’existence des communautés rurales. A ce constat, il faudrait ajouter la faible marge de manœuvre budgétaire qui conduit à la fragmentation de la mise en œuvre des programmes.
Au regard des objectifs du développement durable à atteindre (ODD), les orientations de la première édition des Etats généraux de l’agriculture et de l’élevage tenus à Conakry du 3 au 5 juillet 2024 sont à suivre avec pertinence. Lors de la clôture de cette instance, le Premier ministre, Chef du gouvernement déclarait en substance « l’objectif est que l’agriculture et l’élevage puissent contribuer à hauteur de près de 50% du PIB pour la croissance économique. Cela doit être un objectif réaliste. Parce que, comme disent les experts de la Banque mondiale, la Guinée réalise un taux de croissance économique de 4% ». Si le cap est ainsi fixé, il revient donc aux différents départements ministériels impliqués dans la conception et la mise en œuvre des programmes identifiés d’en assurer l’intendance.
Thierno Saïdou Diakité