Des passagers de la compagnie aérienne française à destination de la Guinée ont été retardés à l’aéroport parisien Charles de Gaulle quatre bonnes heures durant, le 1er novembre. Raisons avancées (ou vécues), changement d’appareil dû à des toilettes bouchées et exécution avortée d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) contre un jeune qui ne souhaitait pas rentrer au « Paradis ».

Samedi 1er novembre : journée pluvieuse à Paris. Malgré tout, les voyageurs s’empressent pour ne pas rater leur vol Air France (AF 0592) à destination de la capitale guinéenne. Ils sont de toutes les entités sociales du bled : des-en-haut-des-en-haut comme la porte-voix du CN-Erre-D, la générale Aminata Diallo ; des vedettes politique (Faux-dé Mohamed Soumah, leader de Génération citoyenne) ou artistique (Sékouba Bambino) ; des miniers, des toubabs et de nombreux citoyens lambda. La Guinée en miniature, quoi !

Le décollage est initialement prévu à 16h par-là, pour atterrir à Cona-cris à 21h GMT. Plus stricte sur la ponctualité de ses clients que sur la sienne, la compagnie recommande d’arriver à l’aéroport à midi et demi : fin dépose bagage deux heures après ; embarquement à 15h ; fermeture porte, 20 minutes avant le départ. Telles étaient les prévisions, la fuite sera tout autre. À 14h pétantes, alors que certains ont déjà enregistré leurs bagages, les premières alertes tombent dans les boîtes e-mail : « Votre vol de Paris (CDG) à Conakry (CKY) est retardé. Vous trouverez ci-dessous les informations actualisées concernant votre vol. Nous vous recommandons de continuer à surveiller l’heure de départ de votre vol, car les compagnies aériennes peuvent parfois revenir à l’horaire initial. »

Flics à bord

Que nenni, le décollage ne se fera que vers 20h. Soit avec quatre heures de retard, dont une bonne heure à bord du coucou et dans la plus grande confusion. Embarquer (vers 18h30), ce n’est pas décoller. Le calvaire ne faisait que commencer. En salle d’attente, c’était au moins calme. En cabine, c’est le tintamarre : les derniers à monter peinent à trouver de compartiment libre où loger leurs bagages à main. Une nounou s’emporte en trouvant une nourrice installée à sa place : « C’est de la merde », enrage-t-elle. « Oui, nous sommes tous dans la merde », consent un steward.

En faisant le mea-culpa, celui-ci venait en effet d’éclairer les passagers sur la raison du retard en quelques maux : « On a dû changer d’appareil à la dernière minute, pour cause de toilettes bouchées. On ne pouvait pas voyager dans des telles conditions. » Cela ne rendra pas l’air immédiatement respirable.

A bord du coucou, on commence à voir plus de flics que d’hôtesses. Interrogations, inquiétudes… L’un des corps habillés, pour se montrer bienveillant, détendre l’atmosphère pesante, aide une vieille à s’installer. « Ce n’est pas votre boulot », lui lance un passager à bout de nerfs. S’ensuit une passe d’armes. Le flic tourne les talons non sans maugréer : « J’aide la vieille et on trouve quand-même motif à s’en prendre à moi. » « D’accord, mais ce n’est pas votre travail. Les hôtesses sont là pour ça », persiste l’autre protagoniste.

Comme il n’y a pas de fumée sans feu, on finit par découvrir la vraie raison de la présence policière : exécuter une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) contre un jeune chétif en dreadlocks. Au prix, s’il le faut, du confort des voyageurs tant cher à notre flic. La personne à expulser s’est en effet mise à crier fort à mesure que le coucou s’apprête à s’envoler.

La parade d’Ami ?

Stratégie payante : tous comme un seul homme, pour ne pas dire une nation, se lèvent et exigent qu’on le descende. Faute de partir à temps, les voyageurs réclament le calme, rappellent qu’il s’agit d’un vol commercial et qu’ils doivent jouir paisiblement des privilèges que confèrent leurs billets payés rubis sur oncle. Souvent à prix d’or. Et que l’État français était suffisamment riche pour affréter un vol spécial pour rapatrier ses indésirables étrangers.

« C’est un jeune très correct, vous verrez, il va revenir. Il laisse une femme enceinte », tente d’apaiser une fliquette en machant son chewing-gum. « Une fois dans son village, ce sera terminé. Mieux vaut le laisser ici. S’il a commis une faute, pourquoi ne pas le juger sur place ? » questionne quelqu’un de tout sauf naïf, qui n’a pas l’air d’ignorer que l’OQTF peut s’accompagner d’une IRTF (Interdiction de retour sur le territoire français).

La Gêné-râle Aminata Diallo, installée en première classe, se transporte au chevet du jeune en détresse placé dans le cul de l’avion. De consolation en conciliabule, les flics rouvrent les compartiments, sortent les bagages du jeune et s’éclipsent avec lui.

L’appareil décolle enfin de Paris…et atterrit à Cona-cris à 1h35, après 5h40 mn de vol direct. A l’aéro-hangar Ahmed Sékou Tyran de Gbessia, certains voyageurs mettront presqu’autant de temps pour récupérer leurs bagages. Ouf !

Œil de Lynx