En prélude au lancement, ce mardi 11 novembre, des opérations d’exploitation et d’exportation du fer de Simandou, nous avons interrogé le directeur général de Rio Tinto Guinée. Aboubacar Koulibaly revient sur l’accélération du projet ces dernières années, les enjeux géostratégiques de l’entrée en production de ce mégaprojet et les perspectives de transformation locale du minerai de fer de très haute qualité qui permettra de décarboner l’industrie mondiale de l’acier.

La Lance : Auparavant au point mort, le projet Simandou a été accéléré ces derniers temps. Pourquoi, selon vous ?

Aboubacar Koulibaly : Je pense que c’est la volonté commune de mettre en œuvre le projet qui explique son accélération. Le changement de régimes politiques a permis de le codévelopper. Sur les blocs 3 et 4, Simfer avait ses conventions sur la mine mais aussi le BOT pour développer les infrastructures. Winning, sur les blocs 1 et 4, avait ses conventions aussi sur la mine, les rails et le port. L’avènement des nouvelles autorités a permis de comprendre qu’il faut travailler ensemble sur les infrastructures. Surtout que les coûts d’investissements étaient très élevés pour un seul partenaire. Il fallait tenir compte du budget, des financements disponibles, des efforts et de l’expertise de chacune des parties.

Winning consortium Simandou (WCS) était déjà en avance dans la construction des infrastructures ferroviaire et portuaire, alors que Rio Tinto Simfer semblait timide. Le changement de régime intervenu en septembre 2021 vous a-t-il remis en selle ?   

Non, pas vraiment. Il y a eu des difficultés relationnelles à un moment donné mais Rio Tinto a toujours été très engagé pour développer le projet et a eu confiance en la Guinée. Nous sommes-là depuis 1997. Notre histoire avec le pays autour du Simandou est longue de plusieurs années. Il y a eu beaucoup de soubresauts, mais l’engagement avec les autorités, notre conviction a toujours été qu’il faut développer le projet. C’est important pour l’industrie de l’acier, le minerai de fer dont vous connaissez la qualité. Je ne pense pas que c’est en raison du changement de régime qu’on s’est engagé. Il pourrait y avoir de concours de circonstance, de changement de leadership au sein du groupe, mais il a toujours été très engagé à développer le projet.

Est-ce dire que le véritable changement sous le CNRD a été le codéveloppement ?

Le changement de régime nous a permis de nous mettre ensemble pour aller à un rythme plus accéléré. Si chacun devait développer ses propres infrastructures, cela aurait retardé l’achèvement des travaux. En nous mettant ensemble, on économise en termes de capital d’investissements. Nous mettons les différents efforts ensemble pour achever des infrastructures qui seront ouvertes même à d’autres acteurs industriels et des producteurs locaux. Comme vous le savez, le chemin de fer est multi-usagers : outre le minerai de fer, ce sont d’autres produits qui se connecteront au TransGuinéen.

Est-ce que justement cette utilisation partagée est clarifiée, facile à mettre en œuvre ?

C’est notre engagement avec le gouvernement et l’ensemble des partenaires industriels. La Compagnie du TransGuinéen, qui va opérer le chemin de fer et le port, va faire le planning pour s’assurer que les infrastructures sont utilisées pour transporter du minerai, des passagers et des marchandises. C’est tout l’intérêt du TransGuinéen.

Récemment, le ministre directeur de Cabinet de la présidence expliquait combien de fois les débats étaient intenses, houleux…Comment avez-vous géré ces renégociations ?

Rio a une grande expertise minière, des moyens…C’est l’une des plus grandes sociétés minières au monde. Nos partenaires aussi. On est allés chercher les meilleurs sous-traitants possibles pour s’assurer du respect des délais contractuels. C’était la clé. On est dans un marché ouvert, celui du fer est actuellement au beau fixe.

Pour des raisons commerciales, son accélération est un bon business aussi bien pour les partenaires que la Guinée. Il y a eu un suivi régulier de la part de tout le monde de l’évolution des différents jalons du projet ; de partage d’informations. On a mis en place tout un système de gouvernance qui permet à chaque groupe d’être mieux géré, mais aussi une plateforme autour de la CTG [Compagnie du TransGuinéen] et du Comité stratégique Simandou, présidé par M. Djiba Diakité, où on se retrouve afin d’atteindre nos objectifs. 

Quel rôle ont-ils joué, vos autres partenaires chinois ?

C’est un partenariat qu’on apprécie énormément qui nous a permis de travailler ensemble dans un laps de temps : il y a deux à trois ans, ces infrastructures extraordinaires n’existaient pas. Pour les construire, il a fallu un bon partenariat. On a pu surmonter l’ensemble des défis. Simandou est un exemple de codéveloppement pour mieux exploiter les ressources naturelles. Le chemin de fer de 650 km n’aurait pas pu être réalisé en l’espace de trois ans, sans l’important partenariat entre Rio Tinto et toutes les autres parties prenantes de l’écosystème Simandou.  

Qu’espérez-vous de Simandou ?

Le projet nous aide à décarboniser l’industrie de l’acier, même si on n’est pas encore dans ce domaine. Mais on est premier producteur de minerai de fer au monde. Aujourd’hui, la part de l’acier dans la carbonisation du monde est très élevée. Le minerai de Simandou est d’une très grande qualité, avec peu d’impureté. Ce qui s’aligne avec nos objectifs.

On consolide notre portefolio de production de minerai de fer, on se diversifie avec nos productions en Australie et au Canada. Ce qui nous permet de couvrir l’ensemble de notre clientèle dans le corridor Atlantique ou indien. C’est extrêmement important, en raison des tensions géopolitiques et commerciales. Nous produisons un peu de quantité de minerai de fer au Canada qui peut satisfaire une clientèle limitée. Avec Simandou, en réduisant les frais de fret et de transport, le corridor Atlantique va avoir une production plus accrue.  

Que doit-on retenir au sujet de la transformation locale du minerai de fer en Guinée ? 

Notre obligation conventionnelle est que nous allons produire dans un délai bien encadré une étude de faisabilité d’une usine de pelletisation de 2 millions de tonnes, ou une aciérie de 500 000 tonnes par an. Elle va se réaliser avec le gouvernement, auquel nous avons déjà transmis les termes de référence. Comme je le disais tantôt, nous avons un comité de suivi du projet Simandou qui nous permet de surveiller les différents jalons. Tout le dossier est prêt pour lancer très prochainement l’étude, à l’issue de laquelle on verra bien si c’est viable, sous quel format, avec quelle énergie. Mais nous sommes alignés avec le gouvernement pour rester en conformité avec l’ensemble de nos engagements. 

Quid de la non publication de la dernière version de la convention sur Simandou ?

C’est une obligation légale de publier les conventions minières. La convention de base de Rio Tinto Simfer est en ligne, accessible. Celle de codéveloppement comprend une partie minière et une infrastructurelle. En termes de transparence, nous n’avons aucune difficulté à ce que ces conventions-là soient publiées. C’est le Comité stratégique qui a le dernier mot là-dessus. Notre obligation, c’est d’être transparent sur ce que nous avons négocié en termes de paiement d’impôts à l’État ou à tout autre partie prenante. C’est dans nos comptabilités annuelles, régulièrement communiquées. Nous pensons que notre obligation de transparence est respectée.

On a soulevé ces questions avec le gouvernement, puisqu’elles nous sont souvent posées. Ils nous ont répondu que la convention, pour eux, a été promulguée et publiée au Journal officiel. Maintenant, les détails sur les questions d’infrastructures, de partenariat public-privé, c’est une autre paire de manches à voir avec le gouvernement dont c’est la responsabilité. La convention de codéveloppement, la seule qui a changé, ne concerne que les infrastructures. Celles sur la mine n’ont pas été touchées. 

Interview réalisée par

Diawo Labboyah Barry