Encore une fois, la Grande Muette vient d’investir l’espace politique à Bissau. Elle a interrompu violemment et brutalement le processus électoral, éconduit le Président Umaro Sissoco Embalo du palais présidentiel, incarcéré Domingos Simoes Pereira et contraint Fernando Dias à se cacher. C’est le Président Sissoco qui a annoncé lui-même au monde entier son éviction du pouvoir par les forces de défense et de sécurité et ajouté qu’il était détenu à l’état-major de l’armée, sain et sauf. On a appris un peu plus tard que le putsch a été perpétré par le Général Horta N’Tam, chef d’état-major de l’armée de terre et ancien chef d’état-major particulier du Président Embalo. Pour davantage consolider leur pouvoir, les militaires ont nommé dans les fonctions de Premier ministre, Ilidio Vieira Té, ancien ministre de l’Économie et des Finances du Président renversé.
L’ex-Président Embalo a été exfiltré de Bissau et transporté à bord d’un avion à Dakar où il a joui de toute la bienveillance du Président Bassirou Diomaye Faye. Tout en essuyant cependant de propos peu amènes de la part du Premier ministre Ousmane Sonko. « Ce coup d’État est une combine », s’est indigné ce dernier qui a poursuivi : « Pourquoi mettre en prison quelqu’un (Domingos Simoes Pereira) qui n’était même pas candidat »? En tout état de cause, Dakar n’était pas la destination finale de l’ex-Président bissau-guinéen. En effet Embalo, au terme d’un bref séjour, a rejoint Brazzaville par un jet privé affrété par le gouvernement Congolais.
Ce coup d’État a laissé perplexes et dubitatifs maints observateurs avisés. Son déroulement ne correspond pas au format normatif de ce type d’opération. Il est rarissime que ce soit le président déchu qui informe à l’aide de ces téléphones personnels, à partir de l’état-major de l’armée, ses pairs, les médias et le monde entier, de sa déchéance. Aussi, la facilité d’exfiltration dont il a bénéficié n’étonne-t-elle pas ? Enfin, on relève que le nouvel homme fort du pays, le Général Horta N’tam, est un proche d’Umaro Sissoco Embalo. Tout comme la masse critique des membres du gouvernement et des hauts dirigeants actuels du pays. Le Premier ministre de la transition n’est-il pas le ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement qui vient d’être renversé ?
Ses identités remarquables entre l’ancien et le nouveau régime ne passent pas inaperçues et interpellent les observateurs de la vie politique bissau-guinéenne. Aussi, justifient-elles les nombreuses piques décochées çà et là contre la prise du pouvoir par les forces de défense et de sécurité à Bissau. Des critiques considèrent que la prise du pouvoir par l’armée est une pure combine, une simple cabale montée de toute pièce par l’ancien président pour empêcher son challengeur d’accéder au pouvoir. Il a préféré l’alternance par la baïonnette au bulletin de vote. Mais le stratagème est trop gros pour tromper. Même en Guinée-Bissau coutumière des coups d’État !
Après le coup de force, la CEDEAO a mandaté à Bissau une délégation composée des Présidents Sierra Léonais, Togolais et Sénégalais. Pour des raisons qui n’ont pas été expliquées, il n’y a que le Sierra Léonais qui a effectué le déplacement. Les discussions entre la CEDEAO et la Guinée-Bissau auront probablement lieu dans le cadre du Sommet de l’organisation régionale à Abuja avant la fin d’année.
Il est fort à parier que des divergences au sein de la CEDEAO soient à la base de l’échec des pourparlers de Bissau.
Abraham Kayoko Doré


