Alors que les neuf candidats en lice à l’élection présidentielle du 28 décembre battent campagne, ce n’est pas l’effervescence habituelle dans certaines localités. À Labé, fief historique du principal opposant guinéen écarté de la course, la Petite Cellule Dalein Diallo, l’ambiance est particulièrement morose. Le populo semble avoir d’autres chats à fouetter. (Reportage).
Vendredi 5 décembre, nous sommes en plein centre-ville de Labé. La campagne électorale a démarré depuis plusieurs jours, mais aucun signe de mobilisation apparente : pas de cortèges, pas de vrombissments de motos, pas d’animation dans les carrefours pour ameuter les électeurs. À moins de trois semaines du scrutin pour élire le nouveau président de la Guinée, la ville de Karamoko Alpha affiche l’indifférence.
Pour beaucoup, l’absence du « fils prodige » du coin rend la campagne inintéressante. Certains habitants, visiblement déçus, se murent dans le silence ; d’autres vaquent à leurs occupations. Tandis que ceux qui ont choisi de soutenir Mamadi Doum-bouillant tentent tant bien que mal de convaincre que « Labé a changé de mentalité » et que la région serait prête à voter pour le candidat de GMD (Génération pour la Modernité et le Développement).
« Comme un deuil »
Sur le chantier de l’aérodrome de Labé, un ouvrier confie ne se sentir ni concerné ni impliqué dans cette campagne. Pour lui, l’absence de la Petite Cellule Dalein Diallo de la compétition est «comme un deuil». Impossible, s’imagine-t-il, de mouiller le maillot pour un autre candidat: «Si on fait ça, c’est comme si on avait trahi tout ce pour quoi on s’est battus pendant des années. J’aurais voulu que Cellou soit là, pour qu’on leur montre ce qu’est la force de la mobilisation. Maintenant qu’ils ont tout orchestré pour l’écarter, je ne participe pas à la campagne et je ne voterai même pas.»
Pour cet inconditionnel de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), la campagne peut bien continuer tant qu’elle ne perturbe pas son travail : «Ils sont venus faire du bruit dehors, mais on a fait semblant de ne rien entendre. On a continué nos activités.»
Mamadou Malal Diallo ne dit pas autre chose, quoique résigné et prudent : «Labé est calme. On ne fait pas de campagne et on ne manifeste pas, pour ne pas se faire tuer. Ce qui a maîtrisé Conakry, c’est ce qui a maîtrisé Labé aussi», dit-il en faisant allusion à la présence dissuasive des forces de sécurité. Leurs véhicules, y compris des blindés, sont visibles à l’entrée de la ville à Garambé et dans certains carrefours de la commune urbaine.
Objectif reconquérir Labé
La présence à Labé du ministre de la Jeunesse, Cellou Ta-Baldé, transfuge de l’UFDG aujourd’hui coordonnateur politique régional de GMD, suscite de vives réactions. Nombreux sont ceux qui le qualifient ouvertement de «traître», estimant qu’il a tourné le dos à sa communauté. Venu pour inaugurer les sièges régional et préfectoral du mouvement Génération pour la Modernité et le Développement et battre campagne pour son candidat, il assume son engagement dans une ville qu’il partage avec son ancien leader.
«En tant que fils de Labé, ministre de la République et coordonnateur politique régional pour le candidat de GMD, mon rôle est d’apporter des conseils, des orientations et des appuis pour assurer la réussite de la campagne», a-t-il confié au Lynx.

Mais comme votre canard l’a écrit précédemment, une guéguerre de clans oppose les soutiens du candidat de la mouvance présidentielle dans le buisson de Labé. Cellou Ta-Baldé, un des protagonistes, se donne pour mission de favoriser «l’harmonie et la cohésion entre les différents directoires et mouvements de soutien».
La journée du 5 décembre a par ailleurs été marquée par l’inauguration de deux nouveaux sièges : un siège régional destiné à la coordination stratégique et un siège préfectoral chargé des opérations de terrain. Le directoire préfectoral mènera «une campagne de proximité, mobilisera les rabatteurs et formera les jeunes au processus électoral afin d’opérer un coup K.O. dès le premier tour», espère le ministre de la Jeunesse.
Interrogé sur les tiraillements autour du contrôle des directoires de campagne de GMD à Labé, Cellou Ta-Baldé assure que la crise est en voie d’apaisement: «C’est presque dissipé. Nous avons choisi de rester au niveau stratégique plutôt qu’opérationnel. Notre responsabilité est de concilier les positions, d’impulser l’entente et la cohésion.» Le dispositif mis en place repose désormais sur un directoire préfectoral opérationnel et un directoire régional chargé du management stratégique. Le ministre se positionne, quant à lui, comme conseiller politique, chargé de résoudre les éventuels conflits et de maintenir la cohésion pour garantir la victoire de Mamadi Doum-bouillant.
« Nous étions UFDG, nous sommes GMD »
À Labé, bastion traditionnel de l’UFDG de la Petite Cellule Dalein Diallo, la campagne de Génération pour la Modernité et le Développement fait jaser. «Nous étions UFDG et nous sommes GMD aujourd’hui. Les mutations sont claires : quand nous avons basculé, nous avons basculé avec le contenu. Seul le contenant a changé», répond Cellou Ta-Baldé.
Il en va pour preuve, les résultats du référendum constitutionnel du 21 septembre dernier : «Certains avaient appelé au boycott, mais nous avons mené une campagne active. Avec plus de 80%, le message des populations était clair. Elles sont désormais dans un nouveau paradigme, celui d’accompagner le programme Simandou 2040. Un projet de développement durable incarné par le candidat Mamadi Doumbouya.»
Pour le ministre de la Jeunesse, il n’est pas question d’être simple spectateur : «Je ne suis pas venu pour rester en retrait. Je battrai campagne avec mes propres moyens, pas avec ceux de l’État (sic). Les ministres sont avant tout des hommes politiques, et mon objectif est que mon candidat gagne.»
Cellou Ta-Baldé se dit confiant quant à la participation électorale dans sa région : «Il n’y a aucun doute sur l’engagement de Labé. Le référendum a été la première étape. Aujourd’hui, il s’agit d’élire un président et de mettre en place les institutions. Labé s’inscrit clairement dans la continuité avec le candidat Mamadi Doumbouya.»
Bachir Koula Diallo, responsable local de l’UFDG, se refuse à tout commentaire, rappelant que sa formation politique demeure suspendue par le Mystère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation (MATD).
Dans la ville de Karamoko Alpha mo Labé, Cellou Ta-Baldé n’est pas le seul qui cherche à grignoter l’électorat de l’Union des forces démocratiques de Guinée. Le 2 décembre, Mohamed Nabé, candidat de l’ARP (Alliance pour le Renouveau et la Prospérité), a lui aussi choisi Labé pour lancer sa campagne, espérant convaincre une population qui n’a toujours pas digéré l’absence de son champion.
Abdoulaye Bah
Envoyé spatial


