La Guinée est morte. Sékou Touré l’a tuée. Lansana Conté, Dadis Camara, Sékouba Konaté et Alpha Condé ont préparé son cadavre. Mamadi Doumbouya s’apprête à l’ensevelir. Car, ce qu’il nous propose ce dimanche 28 décembre dans le vacarme des tambours et des trompettes n’est rien d’autre qu’un enterrement, mais alors un enterrement de première classe, au vu des sommes colossales que notre Général autoproclamé engloutit dans la funeste mamaya qui lui sert de campagne. Des milliards de francs guinéens pour une pitrerie électorale qui n’amuse que les badauds !
D’où vient tout cet argent ? C’est la question que se posent nos ménagères noyées sous les factures et qui ne savent plus où donner de la tête pour dénicher du gombo et du riz, pour remplir le biberon du petit. La question est toute trouvée puisque d’évidence, le dénommé Mamadi Doumbouya ne descend ni de la cuisse de Jupiter ni celle de Rockefeller. Ce n’est ni un monarque de droit divin ni un magnat du pétrole. C’est un putschiste, arrivé au pouvoir, les poches à peine plus lourdes que les nôtres. Cette orgie de chansons et de danses, ce festival de courbettes et de dithyrambes, ce n’est rien d’autre que notre bauxite et notre fer, notre diamant et notre or. Tant-pis pour nos élèves et nos professeurs, tant-pis pour nos malades et nos ambulanciers ! Mas ce qui les choque le plus, nos honorables mères de familles, c’est le cynisme avec lequel notre candidat déjà élu pousse les Guinéens à quitter les écoles, les chantiers et les champs pour chanter ses louanges dans des carnavals qui finissent souvent en carambolages ou en bousculades meurtrières. Il aurait pu se faire « élire » avec moins de vacarme. Cela aurait fait du bien à nos oreilles et à nos tirelires.
Cela me serre le ventre de voir que la Guinée retombe en dictature comme le sénile retombe en enfance. Il y a deux raisons à cela : la fumisterie sans égale de nos élites et l’incroyable apathie de notre peuple soigneusement abruti, il est vrai, par la dictature démagogique et sanguinaire de Sékou Touré. Vous me direz que la dictature, elle n’a jamais connu que ça. Oui, mais il y avait eu comme un petit relâchement sous la première transition. Et voilà que les habitudes reviennent au galop. C’est le retour à la normale, c’est-à-dire à la dictature pure et dure, la seule chose que nous savons créer et entretenir. Notre régime quotidien, c’est le pouvoir absolu, celui qui rend absolument fou, pour reprendre le fameux mot de Bertolt Brecht.
Voilà si l’on m’écoutait, ce que j’aurais dit à mes compatriotes: « Restez chez vous ce dimanche 28 décembre. Si vous avez encore le sens de la dignité, si vous aimez votre pays, si vous vous souciez de l’avenir de vos enfants, ne participez pas à cette mascarade ! Voter Mamadi Doumbouya reviendrait à donner des verges pour se faire flageller (on dirait malheureusement, que les Guinéens adorent ça, se faire flageller !) ». Mais je sais que le mal est déjà fait. Demain soir, Mamadi Doumbouya aura tous les pouvoirs en main. Il n’aura plus besoin de cacher son jeu. Il va pouvoir mentir, voler et tuer au grand jour sans risquer de se faire emmerder. Les Guinéens commettent toujours l’erreur suicidaire de confier tous les pouvoirs à un seul homme. Aucun sens du parapet ou du garde-fou, jamais, aucune forme de contre-pouvoir ! Ils l’ont déjà fait au temps de Sékou Touré avec les terribles conséquences que l’on sait. Et voilà qu’ils recommencent.
Permettez-moi de répéter ce que j’ai plusieurs fois dit dans ces colonnes : « Tout homme qui arrive au pouvoir est un fauve en puissance. Un peuple qui oublie de critiquer ses dirigeants est un peuple en péril. Un peuple qui les glorifie est un peuple qui a déjà un gros pied dans la tombe. Le seul bon président est celui dont on limite les pouvoirs ». Or, chez nous, les pouvoirs du président sont comme ceux du bon dieu : terrifiants et incontrôlables. Le résultat est là : Derrière nous, des cadavres ; devant nous, des cadavres et des disparitions.
Le pays cadavéré, ce n’est pas que dans la chanson de Zao. Dans le monde réel, il s’appelle la Guinée.
Tierno Monénembo


