Depuis l’enlèvement d’Habib Marouane Camara le 3 décembre 2024, le silence du gouvernement contraste avec l’intensification des atteintes à la liberté de la presse. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités de faire toute la lumière sur l’enlèvement du journaliste, de faire de sa libération une priorité et de mettre un terme aux intimidations envers la presse critique.

Un an de silence. Le 3 décembre marquera le triste premier anniversaire de l’enlèvement ayant abouti à la disparition forcée du responsable du site d’information Le Révélateur 224Habib Marouane Camara. Ce soir-là, à Lambanyi, un quartier de la capitale Conakry, des hommes armés en uniforme militaire ont cassé le pare-brise de sa voiture, l’en ont extrait de force, l’ont assommé à coups de matraque et l’ont emmené vers une destination inconnue. Ses proches, qui soulignent qu’il souffre d’une maladie nécessitant un traitement médicamenteux quotidien, n’ont aucune nouvelle depuis.
Silence radio du côté des autorités, à l’exception d’une timide déclaration du porte-parole du gouvernement guinéen, Ousmane Gaoual Diallo, le 29 janvier dernier, rejetant toute faute du gouvernement. Depuis, une épée de Damoclès pèse au-dessus de la tête des médias indépendants. Le paysage médiatique s’est réduit et le climat de peur se généralise, favorisant l’autocensure.
« Un an après sa disparition forcée, le silence entourant le sort du journaliste Habib Marouane Camara est assourdissant. Ses conséquences sur l’état de la liberté de la presse et du droit à l’information en Guinée, que nous redoutions, sont désormais manifestes : autocensure, intimidations de la part des autorités contre les journalistes, suspensions de médias critiques, enlèvement du père d’un journaliste exilé… Depuis l’enlèvement du responsable de média, un climat de peur s’est installé dans toute la profession poussant les journalistes à éviter les sujets trop politiques. RSF appelle les autorités à mettre un terme à ces pressions constantes et à tout mettre en œuvre pour que Habib Marouane Camara soit libéré et puisse retrouver ses proches », déclare Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.

“Il y a eu un avant-après Habib Marouane Camara”

Depuis l’enlèvement de Habib Marouane Camara, l’air est irrespirable pour la presse en Guinée. “Pour éviter les ennuis, on se limite à des articles factuels, sans éditoriaux, ni analyse. Tout est édulcoré. C’est de l’autocensure”, confie à RSF un journaliste sous anonymat pour des raisons de sécurité. “Il y a eu un avant-après Habib Marouane Camara. Nos parents nous demandent de faire attention, de changer de métier”, ajoute-t-il. Un autre journaliste, fort de 25 ans d’expérience, décrit une situation inédite : “On exerce la peur au ventre. Avec cet enlèvement, ceux qui avaient des doutes sur la gravité de ce qui se passe n’en ont plus. On doit faire le deuil de la liberté de la presse en Guinée.”

Avant l’enlèvement de Habib Marouane Camara, les autorités guinéennes avaient déjà commencé à réduire drastiquement le paysage médiatique, en interdisant en mai 2024 les médias privés et indépendants Djoma TV, Djoma FM, Espace FM, Espace TV, Sweet FM et FIM FM. La disparition forcée du journaliste a marqué un véritable tournant : “Avant, on continuait à parler sur les réseaux sociaux. Plus maintenant”, confie le même journaliste.

Face à ce climat de répression, plusieurs journalistes ont dû prendre des mesures pour se protéger ou quitter le pays. Mais l’exil n’est pas toujours synonyme de sécurité. Le 29 septembre au matin, le père du journaliste Mamoudou Babila Keita, administrateur du site Inquisiteur.net en exil depuis 2024 en raison d’une tentative d’enlèvement à son encontre, a été enlevé à son domicile à N’Zérékoré, en région forestière, par des individus non identifiés. 

Les autorités enjointes par les Nations unies à élucider le sort du journaliste

Depuis la disparition forcée de Habib Marouane Camara, RSF est intervenue à deux reprises devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) à Banjul, en Gambie, afin qu’elle interpelle le gouvernement guinéen. L’organisation a également saisi la rapporteure spéciale sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique au sein de cette même commission. En juillet, face à l’inaction des autorités guinéennes malgré des interpellations répétées, RSF a saisi le groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Celui-ci a transmis le cas au gouvernement guinéen et a enjoint les autorités à mener des enquêtes appropriées pour élucider le sort du journaliste, déterminer où il se trouve, et assurer la protection de ses droits.
La Guinée est le pays qui enregistre le plus fort recul dans le Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2025. Par rapport à l’année précédente, le pays a perdu 25 places et figure désormais à la 103e place sur 180 pays et territoires.

Reporters sans frontières