Tout parti politique est libre de prendre des décisions qui lui semblent être en accord avec ses intérêts et son agenda. Cependant quand on décide d’appartenir à un ensemble, on doit s’astreindre à respecter et à incarner à la fois la logique, la ligne et la discipline de l’ensemble auquel on appartient. La position initiale qui a consisté à dire que nous n’allons prendre part à aucune élection sans qu’un certain nombre de préalables n’aient été levés a été une position consensuelle, voulue, adoptée et prise au sein du FNDC à travers sa plénière, instance suprême de décision.
Si à l’intérieur des partis politiques membres de l’institution, cette position venait à évoluer, ce qui n’est absolument pas interdit, il me paraît essentiel de ramener le débat au sein du FNDC pour que la position initialement tenue puisse être, au besoin, réexaminée en fonction de l’évolution de la situation ; cela, sur la base d’une évaluation lucide du contexte nouveau. Ça, c’est sur la forme. Surtout que nous sommes au FNDC en compagnie des organisations de société civile dont la vocation n’est pas de compétir, mais qui paient un lourd tribut, victimes quelles sont, de persécution, de bannissement et de représailles de toutes sortes.
Sur le fond. On est d’accord que les positions politiques ne sont pas et ne doivent pas être obligatoirement figées comme dans le marbre.Elles peuvent faire l’objet de relecture et d’ajustement après une évaluation intelligente et lucide du nouveau contexte.En réalité, si la lutte que nous menons au sein du FNDC a pour ultime finalité l’alternance à la tête de l’Etat, nous devons nous poser la question centrale suivante : Quelles sont les possibilités qui s’offrent à nous pour garantir cette alternance ?
La première possibilité, c’est de continuer la lutte sous sa forme actuelle, en espérant qu’elle aboutisse au renoncement de monsieur Alpha Condé pour un troisième mandat.Si la lutte sur cette forme commence à présenter des limites, à cause notamment de la crise sanitaire mondiale et de l’exacerbation des pratiques répressives, elle a l’avantage de refléter une image assez désastreuse du régime en contribuant à l’installer dans un isolement international digne des pires dictatures et semblable à celui que l’on a connu pendant la période de fin de règne de l’ère Conté. Aucun régime ne peut durablement supporter de tels traumatismes.
La deuxième possibilité consiste à accepter de compétir, y compris avec Alpha Condé comme candidat, mais si et seulement si les conditions d’une compétition honnête et sincère sont réunies. Si monsieur Alpha Condé est convaincu, comme il le prétend, qu’il a encore le peuple avec lui et que le dernier mot revient à ce peuple, qu’il accepte qu’on identifie ensemble les garanties sous l’arbitrage de la communauté internationale, pour que celui-ci s’exprime librement, et que sa volonté, une fois exprimée, ne soit pas détournée par des manœuvres ou artifices électoraux frauduleux. C’est toute la question qui a trait à l’intégrité du processus électoral, ou celle de préserver la possibilité pour les candidats et les électeurs de participer à des élections honnêtes.
Sans qu’elle soit exhaustive, voici ma contribution sur les éléments de garanties et les caractéristiques d’un processus électoral conduit avec intégrité.
I – La mise en place, avec l’appui des partenaires, d’un puissant consortium pour observer toutes les étapes clés du processus électoral. Ce consortium doit comprendre, outre les organisations locales de la société civile, reconnues pour leur sérieux et leur indépendance, toutes les Ong et institutions internationales traditionnellement impliquées dans les élections et reconnues pour leurs expériences sur le terrain, leur professionnalisme et leur impartialité ( NDI, PNUD, IFES, UE, OIF, I.CARTER etc….)
Le consortium devra avoir une parfaite couverture géographique nationale (prendre d’assaut tout le pays) avec une présence renforcée et massive dans des localités réputées problématiques. Il devra aussi être outillé de moyens de communication de dernière génération (caméras, appareils android etc…) pour assurer la traçabilité en temps de l’ensemble des opérations électorales, de l’enregistrement des électeurs aux opérations de dépouillement dans les bureaux de vote, en passant par la remontée et le transfert des résultats vers les CACV et des CACV en vue de la totalisation au niveau de la Ceni centrale.
Avec le soutien de nos partenaires, les partis politiques pourraient bénéficier des mêmes appuis pour qu’ils soient en mesure, à leur tour et parallèlement, de faire un monitoring en veillant sur la régularité des opérations de vote.
II – Du fichier électoral. Il faut permettre le retour en Guinée de l’équipe d’experts ayant conduit l’audit du fichier électoral biométrique de la République de Guinée de 2018.Ils viennent pour se prononcer, évaluer et certifier l’état de mise en œuvre des conclusions de leur audit. À rappeler que les acteurs s’étaient engagés à le respecter.
- D’abord sur les doublons. Contrairement à leurs recommandations, le fichier n’a jamais été sérieusement expurgé des doublons. Nous l’avons tous remarqué lors de la dernière opération d’affichage et pendant la distribution des cartes d’électeurs.
- Ensuite sur la question des inscriptions indues, notamment la persistance des mineurs dans le fichier. Il a été prévu la certification et l’homologation du module d’identification des mineurs.
Bien que cette opération ait été inscrite au chronogramme, elle n’a toujours pas été rendue effective, notamment dans sa phase de fixation des seuils d’identification qui reste toujours très élevé (90/100) alors que le score admissible est de (90/1).
- La question liée à l’enregistrement de nos compatriotes vivants à l’étranger. Un fichier électoral consensuel doit être exhaustif, c’est à dire intégrer et être le reflet du corps électoral. Tous les Guinéens doivent être dans le fichier, y compris ceux de l’extérieur.
III – Réduire les incursions intempestives et répétées des administrateurs territoriaux dans le processus électoral. Du fait de leur partialité, ils manipulent et influencent dangereusement, et de manière nocive, la sincérité des opérations électorales. Ils doivent être mis à une certaine distance du processus.
IV- De l’impartialité et du professionnalisme de l’administration électorale. En optant pour le modèle indépendant de gestion des élections, l’objectif était de contribuer à renforcer la confiance entre les acteurs en réduisant l’influence du pouvoir exécutif sur le processus électoral. C’est pourquoi la CENI a pour boussole, les principes cardinaux qui lui sont applicables, à savoir : l’indépendance, l’impartialité, l’intégrité, le professionnalisme, pour ne citer que ceux-ci. Dans le cadre de ces principes cardinaux, la CENI peut prendre des engagements et initiatives suivants :
1 – Géolocalisation des bureaux de vote et des CAERLE pour que les données électorales soient libres d’accès et cartographiables.
2 – Installation dans tous les bureaux de vote d’une caméra pour que les activités puissent être traçables le jour du scrutin.
3 – Numérisation de la production des PV pour qu’ils soient établis in situ avec possibilité pour chaque partie prenante de disposer d’une copie. Si nous avons la certitude de pouvoir réunir ces conditions avant l’élection, alors, OUI, nous pouvons prendre part à la compétition même si Alpha est candidat.
Etienne Soropogui