À 81 ans, en publiant ses Mémoires (Qui veut risquer sa vie la sauvera, Robert Laffont, 22 euros), Jean-Pierre Chevènement semble avoir bouclé la boucle d’une vie d’engagement politique, du jeune socialiste au hussard républicain. Député, maire de Belfort, quatre fois ministre, candidat à la présidentielle, sénateur, il n’a pas fait que mettre les mains dans le cambouis de la politique, il a aussi publié des analyses sur son temps témoignant d’une solide culture historique et géopolitique. Ses Mémoires constituent donc une synthèse (500 pages tout de même !) du double volet de son parcours singulier au sein de la gauche, dont il s’efforce de montrer la cohérence… comme tout autobiographe. Sa part de vérité est aussi une contribution à l’histoire de la gauche et du pays.

Chevènement est l’un des derniers responsables politiques à avoir été formé aux épreuves de « l’ancien monde ». Né d’un couple d’instituteurs francs-comtois, il n’a découvert son père qu’à l’âge de six ans, lorsque ce dernier est revenu de captivité en 1945. Élevé dans une famille modeste, « mes parents ont tout investi dans l’avenir de leurs enfants. Ils leur ont tout sacrifié » dans une France qui connaissait « les privations de l’après-guerre, le rationnement, l’étroitesse de la vie quotidienne ».

Au lycée, le jeune Jean-Pierre s’ouvre à la littérature et à la philosophie sous l’influence de professeurs bienveillants. Il s’intéresse aussi à la politique. « En peu de mois, Mendès Francedevint mon idole, écrit-il. J’approuvais tout ce que faisait Pierre Mendès France (…) Je souhaitais qu’un lien fort -de nature plus ou moins fédérale- fût maintenu entre la République algérienne et la République française. Je n’avais que dix-sept ans (…) La démission de Pierre Mendès France du gouvernement Guy Molletet le piteux échec de l’expédition de Suez achevèrent de me convaincre qu’il n’y avait rien à attendre de la IVe République et de son personnel pour sortir la France de l’ornière et lui rendre sa grandeur. Plus que jamais, je comptais sur Mendès. »

Il dut déchanter. Au retour du Général de Gaulle au pouvoir en 1958, « je regrettais que Mendès France n’ait pas choisi de lui apporter son soutien (…) L’idole de ma jeunesse préféra se statufier vivant, au nom des idéaux bafoués de la République. » Boursier, Chevènement découvre Paris en entrant à Sciences-po avant d’être admis à l’ENA. Observant le gaullisme au pouvoir, « peu à peu glissai-je d’un mendésisme que la statue du Commandeur avait elle-même figé en référence intemporelle, à un gaullisme de gauche pratique (…) Je restais de gauche sur le social, tout en approuvant le cours de la politique algérienne menée par le général de Gaulle. »

Mais c’est aussi le sens de l’État, le patriotisme, le partisan d’une « Europe européenne » confédérale qui impressionnent Chevènement dans la personnalité altière du Général qu’il qualifie de « plus grand stratège qu’a eu la France au XXe siècle ». Tout au long de son livre, l’auteur fait de multiples références à de Gaulle, rappelant une influence permanente quelque peu voilée par le temps et la longévité de sa carrière politique au service de la gauche.

AH