Suite de notre dossier sur la migration irrégulière. L’ampleur du phénomène a placé la Guinée parmi les premiers demandeurs d’asile en Europe alors qu’en 2015, notre bled ne figurait pas dans le top 10.

Les autorités de Mamou sont-elles laxistes face à la situation migratoire ou complices ? Un transporteur croit que les responsables locaux ne sont nullement complices des passeurs. Selon lui, les chauffeurs cherchent des passagers, quand ils en trouvent, ils les conduisent vers leur destination. Il croit savoir qu’on ne peut «être complice que d’une chose dont on connait le fonctionnement, le mécanisme, mais lorsque l’on ignore comment opèrent les passeurs, quand est-ce qu’un migrant s’engage à voyager, on ne peut rien contre cela… » «Moi, je ne suis pas bien indiqué pour répondre à cette question. En tant qu’employé du Système des Nations Unies, je dois m’abstenir de tout ce qui est prise de position», a déclaré Mamadou Oury Bah du Sous-bureau OIM-Mamou.

Voyons voir les services de sécurité dans le «démantèlement» des réseaux de passeurs clandestins à Mamou. Le Commandant de la compagnie locale de la gendarmerie, colonel Bakary Cas-marrant s’est muré dans le silence. Le 21 novembre, dans son bureau, autour d’un plat de riz, sauce soupe poisson bien garnie, avec deux pandores dont son adjoint: «Vous avez un ordre de mission ?
-Oui, mon colonel.
-Un ordre de mission du Haut-commandement de la gendarmerie ?
-Non, mon commandant, je détiens un de mon employeur.
-Alors, moi, je ne peux pas vous parler sans l’autorisation du Haut commandant de la Gendarmerie nationale, le Général Ibrahima Baldé, vous savez c’est la hiérarchie chez nous…»
Et toc ! Au sortir de la gendarmerie, Allô, la Police ! Dès qu’on décline l’objet de la mission, le Commissaire divisionnaire de la police de Mamou, Sékouba Camara nous a orienté à la DRP (Direction régionale de Police). Le commissaire divisionnaire de Police, El Hadj Lanceï Camara, dirlo régional de la Police de Mamou est disponible, mais pas d’enregistrement. Selon lui, son unité n’est informée des histoires de passeurs et de candidats à la migration que lorsqu’un «parent de migrant réclame de l’argent à un autre, puisque son fils qui lui aurait versé de l’argent a été bloqué» au Mali, en Algérie ou en Libye. «Quand on est saisi, dit-il, on transfère le dossier vers la justice. L’aspect migratoire est secondaire. On ne nous saisit que quand ça va mal entre les parties, sinon nous ne sommes pas au courant. Les passeurs se cachent toujours des services officiels. Ils ont toujours des correspondants qui encaissent l’argent et mettent en route les migrants…» Il ajoute qu’il «y a beaucoup de migrants qui passent par Mamou-Dabola-Kouroussa-Kankan-Siguiri-Kourémalé-Bamako ou qui passent par l’axe Mamou-Labé-Koundara-Sénégal, ainsi de suite. Il y en a aussi qui viennent d’ailleurs, notamment de Conakry, mais qui sont confrontés à des difficultés à Mamou, parce qu’ils ont donné leur argent à un passeur qui n’est pas là ou qui a fermé son téléphone. Lorsqu’ils retrouvent parfois le passeur, ils nous saisissent pour abus de confiance, escroquerie ou détournement de fonds. Le dernier dossier que nous avons, poursuit-il, reçu il y a cinq jours (nous étions le 21 novembre) concerne un candidat à la migration clandestine qui a volé de l’argent à son frère, dans le but de partir en Europe par le désert. Lorsqu’il a été interpellé ici, nous l’avons auditionné, mais après, son frère a souhaité qu’il soit déféré à Conakry. Ce que nous sommes en train de finaliser (…)»

L’omerta

La préfecture, la police, ne disposent pas de statistiques sur les migrants, les passeurs clandestins, c’est une chimère. L’OIM-Mamou se défausse sur la représentation nationale sise à Cona-cris, pour tout chiffre. Témoignage du commissaire El Hadj Lanceï Camara: « Il n’y a pas de statistiques réelles non seulement sur les migrants mais aussi et surtout sur les passeurs clandestins, parce qu’ils contournent les voies officielles. La migration en tant que telle est une affaire auxiliaire chez nous… Ce que nous faisons aussi, c’est de conseiller les jeunes à éviter la migration par la voie illégale. La semaine dernière, nous avons reçu un jeune venu de Dalaba qui demandait une carte d’identité nationale. Selon lui, son papa veut qu’il parte en Mauritanie, pour y faire des études coraniques (l’argument utilisé par beaucoup migrants passant par le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc Ndlr). J’ai compris qu’il veut migrer, parce que les migrants qui passent par Labé-Koundara-Sénégal-Mauritanie-Maroc disent souvent au départ qu’ils vont en Mauritanie pour apprendre le Coran. Je lui ai dit que tu as le droit de bénéficier de la Carte d’identité nationale, mais si tu veux migrer, si tu veux emprunter la voie du désert, tu vas mourir en route ou mourir dans la mer. Ton papa aura perdu un fils, ta maman aussi et tu auras perdu ta vie. Cherche plutôt à y arriver par la voie légale. Le jeune est sorti, il n’est plus revenu. J’espère qu’il a renoncé à son voyage… »

Le silence de Dame Thémis. L’a-version du Pro-crieur

Le Pro-crieur près le tribunal de Première instance de Mamou, lui, dit n’avoir enregistré aucun contentieux, aucun jugement, entre passeurs et migrants ou entre passeurs et parents de migrants, de 2018 à date (9 décembre). Selon El Hadj Sidiki Camara, il a reçu une mission de la délégation de l’Union européenne le 8 décembre dans «le même cadre. Mais, dit-il, les vérifications auxquelles nous avions procédées de 2018 jusqu’à maintenant, indiquent qu’on a enregistré aucun cas.» De poursuivre: «Il n’est pas facile de poursuivre ces genres d’infraction, dans la mesure où les gens se méfient un peu de la justice et des autorités. Dans les conditions normales, pour que moi procureur je puisse engager une poursuite, il faut que ce soit une plainte ou une dénonciation. Sans cela, c’est difficile pour moi d’enclencher une poursuite. Si vous engagez une poursuite, il faut s’appuyer sur les victimes, mais si les victimes ne viennent pas vers nous, et nous, nous ne sommes pas informés exactement comment les choses se passent. Si les services de sécurité nous envoient des dossiers pareils sans procès-verbal, cela devient difficile pour nous.» Justement, le dirlo régional de la Police dit que les quelques rares cas portés à leur niveau sont transférés à la justice… «Maintenant, est-ce qu’il vous a donné les références de ces cas transférés, c’est-à-dire leur date, leurs numéros ?», presse le pro-crieur. Non, a-t-on répondu. Le Sidiki Cas-marrant rétorque qu’il lui est encore difficile de l’affirmer: «Ce sont des cas qui sont rares ici, en quelque sorte.» Des cas rares ? Il y en a donc eu quelques-uns, non ? Il bégaie: «Moi, depuis que je suis là, pratiquement, je n’ai pas enregistré de tels cas, c’est pourquoi je vous en parle. Il faut des recherches un peu plus poussées. Les cas les plus notoires, on n’en a pas connus. L’Union européenne était là, on a fouillé dans le registre, dans le registre du greffe, de 2018 à maintenant, on n’a vu aucun cas qui a fait l’objet de jugement ici. Je ne peux pas être plus clair que ça.» Il s’est appesanti sur les deux dernières années, il n’a pas été trop loquace sur la période de son arrivée en 2016 à 2018. Trouve-t-il ses comptes ou non dans cette période-là ? Allez savoir !

A la préfecture, Mamady Magassouba, le DMR, dirlo des Micro réalisations, et membre du Comité de suivi de proximité des activités de l’OIM de Mamou, il affirme que ce Comité ne s’occupe pas des passeurs, mais des migrants retournés ou des potentiels migrants. Et de raconter que «chaque mois, des migrants sont référés au niveau de la préfecture» que le Comité conseille, appui techniquement dans leurs projets, pour qu’ils «oublient la migration». Il découragerait aussi «les potentiels migrants», à travers leur intégration dans des groupements ou un accompagnement dans ce qu’ils veulent entreprendre comme activités. Au passage, il a affirmé que plusieurs migrants empruntent aussi bien l’axe Mamou-Labé-Koundara-Sénégal que celui qui mène via Haute-Guinée à Bamako ou celui pour la Guinée-Forestière.

AMIRA, langue dans la poche

Le projet AMIRA (Action pour les Migrants le long de la route: Assistance humanitaire) piloté par la Croix-Rouge lutte aussi contre la migration irrégulière à Mamou. Il se dit qu’il «a inscrit beaucoup de migrants retournés au Centre de formation professionnelle de Mamou, pour apprendre un métier qui leur permettra de vivre mieux en Guinée». Une première promotion a déjà achevé sa formation. Mamoudou Séré Diallo du projet AMIRA-Mamou, censé «échanger avec la presse», a promis de prendre «l’autorisation de parler» de Cona-cris. Son téléphone joue les abonnés absents. El Hadj Amadou Kolon Barry, l’Inspecteur régional des affaires religieuses n’a pas décroché à nos multiples appels.

Cette enquête a été réalisée grâce à un appui du Bureau régional de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture) à Dakar, dans le cadre de son projet: «Autonomisation des jeunes en Afrique et lutte contre la migration irrégulière à travers les medias et la communication». Projet réalisé dans huit pays: Côte d’Ivoire, Cameroun, Ghana, Guinée, Mali, Niger, Nigeria et Sénégal. Le projet est financé par le Ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (MAECI), via l’Agence italienne pour la Coopération au Développement (AICS).

Mamadou Siré Diallo
Envoyé spatial