Les départs de migrants en Guinée vers l’Europe se multiplient. Les routes migratoires aussi. De nouvelles routes sont identifiées, en plus des trois principales bien connues par les sociologues et l’Organisation internationale pour les Migrations, OIM. Mamou, ville carrefour, jusque-là épicentre du fléau en Guinée risque d’être ravi par le Sud-est du pays, précisément la zone frontalière avec la Côte d’Ivoire.
Des routes migratoires
Les routes des départs illégaux de migrants se sont multipliées, selon l’OIM-Mamou. Les voies Mamou-Faranah-Kissidougou-Guéckédou-Macenta-N’Zérékoré-Lola (Pinet ou Zoo) à la frontière ivoiro-guinéenne et Mamou-Dalaba-Pita-Labé-Koundara-Mandat (Sénégal) sont en train de perdre leurs migrants devant la route Mamou-Dabola-Kouroussa-Kankan-Siguiri-(Kourémalé)-Bamako (Mali) ( à 80% aujourd’hui) et celle «nouvelle» de la sous-préfecture de Sinko, dans la préfecture de Kérouané, région de la Haute-Guinée, mais plus frontalière avec la Côte d’Ivoire. «Lorsque nous recevons les migrants, nous faisons le profilage. Au cours duquel nous les amenons à décrire leur trajet, leur parcours. Aujourd’hui, dans les 80% des cas, la route empruntée, c’est Mamou-Dabola-Kouroussa-Kankan-Siguiri (Kourémalé)-Bamako-Gao ainsi de suite.» Souvent, ils embarquent au Km 7 (sortie est de la ville de Mamou vers la Moyenne et Haute Guinée) ou à Dounet (24 km sur l’axe Mamou-Dabola), soit ils ont quitté ici avec 200 000 francs guinéens, soit ils ont abusé la confiance de quelqu’un en emportant une moto par exemple, pour séjourner à Siguiri à faire des activités, faire le taxi-moto et ou revendre la moto, pour «se préparer financièrement. De là, souvent, ils rencontrent des gens à qui ils confient leur argent et qui pourraient le leur transférer au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur parcours, même si beaucoup aussi leur coupent le téléphone ou arrêtent de communiquer avec eux, dès lors qu’ils se sont séparés (…)» Parmi les nouvelles routes migratoires, il y a «le passage par Sinko pour aller en Côte d’Ivoire. C’est une route migratoire qui est aujourd’hui très pratiquée. C’est pourquoi nous rencontrons beaucoup de migrants qui nous disent qu’ils se sont embarqués à partir de la Côte d’Ivoire.
Mamou, l’épicentre du fléau en Guinée
Mamadou Oury Bah, le chargé de Réintégration à l’OIM sous-bureau de Mamou, depuis août 2017, explique : «Pourquoi nous avons ouvert un sous-bureau à Mamou? Comme vous l’entendez toujours, Mamou est l’épicentre de la migration irrégulière en Guinée. Il est vrai qu’en se fondant sur une certaine évaluation, en 2017, Boké avait le record et maintenant, la tendance est en train de changer, parce que ça explose en Forêt.» Tout cela date à partir des dernières années de crise que la Guinée a connue. Si dans les autres préfectures, le phénomène est «nouveau», à Mamou, la «migration est historique», selon M. Bah. Avant le démarrage du projet de la réintégration et de la réinsertion des migrants retournés volontaires, dans sa zone d’intervention (Mamou, Dalaba, Pita, Labé, Faranah, Dabola, entre autres), les migrants qui reviennent sont en «majorité, originaires de Mamou. Même ceux qui rentrent en Guinée et partent s’installer dans d’autres préfectures, en réalité, ils sont de Mamou, dans beaucoup de cas. Un jour, un collègue en séjour en Guinée a dit qu’il est arrivé au Niger par exemple, qu’on demande si Mamou est un pays ou une ville, parce que tout migrant qu’on interroge dit: je viens de Mamou. Vous voyez combien de fois c’est sérieux.» D’un autre côté, «Mamou est une ville-carrefour. Historiquement, quand vous voyez la composition des ethnies à Mamou, il y a des Sénégalais d’origine, des Maliens, il y a aussi beaucoup des Soussous, de Malinkés, des ressortissants de la Guinée-forestière. Mamou cosmopolite est une zone de migration. C’est une zone à dominance peule. Vous savez culturellement, le peul est un nomade, il le revendique même. Tous ces aspects, Mamou une ville carrefour. Même dans les interrogatoires pour l’asile, beaucoup de migrants disent qu’ils viennent de Mamou». De sorte qu’au début des années 2010, il y a eu le naufrage d’une embarcation de fortune dans la Méditerranée, une quarantaine de personnes en sont mortes. «Plus de la moitié était de Mamou », affirme Mamadou Oury Bah. Un médecin, ajoute que la commune urbaine en avait pleuré 13. «Ce fut un aspect particulier pour indiquer d’où viennent les gens qui tentent de braver les dangers du désert, de la mer pour rallier l’Europe».
Difficile gestion des migrants
Bien de migrants retournés volontaires appuyés par l’OIM chercheraient à retourner, comme ceux qui ont été rapatriés aussi. Ce qui risque d’hypothéquer leur intégration ou leur insertion socioprofessionnelle. Mamady Magassouba, le directeur des Micro réalisations, le DMR, à Mamou avoue: «On a dénoncé cette situation, notamment les taxi-motos, puisque quand on leur achète ces motos, ils font le taxi-moto mais tout de suite, dès qu’ils gagnent un revenu, ils sont tentés de revendre cette moto à Siguiri ou à Bamako, pour reprendre la route migratoire. Mais on essaie de minimiser ce risque durant leur encadrement.» Parlant particulièrement des migrants retournés, il soutient que : «Nous veillons à leurs activités, pour qu’ils puissent travailler conformément aux clauses du contrat qui les lient à l’OIM».
Des migrants appuyés par leurs familles cherchent à repartir, parce que selon eux, leur rapatriement signifierait plutôt un «échec» qui pourrait «aboutir à la honte de leurs familles». Donc, se disent-ils, il faut coûte que coûte entrer en Europe. D’autres par contre, ne conseillent plus les jeunes de tenter l’aventure par la «voie illégale». Il est de ceux-là Mamadou Diouma Mara, parti de la Guinée le 15 juin 2016 avant de renoncer au voyage le 28 décembre 2017, pour rentrer volontairement au bercail le 19 janvier 2018, via le Maroc, suite à un appui de l’OIM. Après avoir perdu son papa, son frère qui le «soutenait», il conseille aux jeunes de ne pas s’engager pour la migration irrégulière, lui, qui voulait «construire une belle maison pour sa chère maman», reprend la soudure qu’il apprenait avant de prendre la route migratoire. Il en est de même pour le président de l’antenne locale de l’OGLMI à Mamou (Organisation guinéenne pour la lutte contre la migration irrégulière), Mamadou Saïdou Barry, 26 ans. Il dit avoir passé par 11 pays, pour «tenter de rejoindre la France» depuis 2016, avant de décider de retourner en Guinée, deux ans plus tard. Pourtant, après sa licence, il n’a pas attendu deux semaines pour s’engager dans l’aventure périlleuse, qu’il ne veut pas «évoquer tout le temps, à cause des mauvais souvenirs» qu’il en a gardés. Avec le temps, il «commence à réaliser qu’il peut réussir en Guinée, s’il avait investi l’argent» qui lui a permis d’entamer son aventure. «A mon retour, j’ai trouvé que des camarades, des amis ont réussi à Mamou, sans même aller à Conakry où moi, j’ai fait mes études universitaires».
Il ne veut pas qu’on pense qu’il a «échoué», il a plutôt acquis de l’expérience. Quant à son ami, Boubacar Ly, un autre migrant retourné, son périple lui a permis de comprendre combien de fois la Guinée est belle avec «sa faune et sa flore», après avoir été «longtemps éprouvé dans le désert» qu’il n’avait « vu que dans les films.» Toutefois, d’autres se portent candidats à la migration irrégulière à cause de l’extrême pauvreté. «Ce sont des jeunes qui viennent de familles qui ne trouvent même pas à manger tous les jours, et ils décident de partir.» A ceux qui partent sans prévenir leurs familles, de peur qu’on ne les retienne, un membre de l’OGLMI pense qu’ils devraient renoncer au voyage. Mais il leur reconnaît le droit à la migration régulière, sinon de mûrir plutôt leur projet et d’en mesurer les risques.
Aboubacar Tounkara, le directeur du SERACCO ((Service régional d’appui aux collectivités et de Coordination des interventions des coopératives et ONGs) au gouvernorat de Labé signale que le phénomène de la migration irrégulière n’épargne pas la région de Labé, notamment la préfecture de Lélouma qui serait «une zone de grands départs», où la migration est «comme une tradition. Les jeunes ont trouvé que leurs parents se déplacent pour aller au Sénégal, en Côte dIvoire, en Sierra Leone. Maintenant, eux, ils visent plus loin parce que certains de leurs parents sont parvenus en France. Très malheureusement, c’est une immigration irrégulière, parce que, généralement, ils prennent des routes dangereuses: la Méditerranée et le désert.» Selon lui, «malheureusement, des parents non sensibilisés sur les dangers de la migration irrégulière encouragent les enfants à partir. Ceux qui réussissent à entrer en Europe prennent des photos et postent sur leurs murs Facebook qui influencent les parents et ceux qui sont restés en Guinée. Quand ces derniers voient cela, ils se mettent à dire à leurs enfants que ton frère ou le fils d’un tel a réussi, toi, tu n’es qu’un vaurien. Finalement, ils encouragent le jeune à partir. Des fois, ils vendent tout ce qu’ils ont pour les frais du voyage de leur enfant: leurs bétail, domaine et objets de valeur. Il y en a qui revendent leurs concessions pourvu que leur enfant parte. Malheureusement, ceux parmi eux qui empruntent la voie irrégulière, meurent en route, se noient ou bien ils sont torturés, et c’est une épave qui revient. Si on les rapatrie, il y en a qui tiennent à retourner par n’importe quelle voie.»
M. Tounkara lance un appel à ces parents-là «parce que généralement, les jeunes n’ont pas de moyens, ce sont leurs parents qui leur donnent de l’argent pour entreprendre le voyage. Quand quelqu’un donne 50 millions de francs guinéens à son enfant pour lui dire de partir en Europe, avec cet argent, c’est un fonds de commerce ici, si ceux qui en bénéficient sont sérieux, ils ont la bénédiction de leurs parents, ils peuvent bien réussir en Guinée. C’est mieux que d’aller affronter le désert et la mer ou les bandits de grands chemins qui se font passer pour des passeurs et qui récupèrent tout ce qu’ils ont. Finalement, ils sont maltraités, torturés, s’ils reviennent, ils ne sont plus des fois eux-mêmes, certains sont déréglés.»
Et ce coup d’œil à l’OIM: «Merci à l’OIM pour les efforts qu’elle ne cesse d’apporter aux migrants retournés, mais je leur demande d’alléger les procédures de décaissement de fonds. Quand un migrant retourné doit bénéficier d’un appui de l’OIM en fonction des besoins qu’il a exprimés, il est souvent impatient. Quand son plan est validé et que l’OIM ici à Labé a remonté ses informations, quand ça prend du temps, le jeune se décourage. On a beaucoup de migrants retournés à Tougué, mais comme leur plan de financement tarde à être mis en œuvre, certains disparaissent. D’autres deviennent des taxi-motards, d’autres partent à Conakry, à Labé ici pour faire le moto-taxi, mais on ne parvient plus à les joindre, parce qu’ils sont découragés et donc ils ont changé de numéros de téléphone.»
Selon Mme Déjènè Sangaré, Assistant-projet de l’OIM-Labé, son organisation apporte «plusieurs types d’assistance: individuelle, collective (migrants retournés et potentiels migrants pour les décourager à partir), communautaire, professionnelle, psychosociale, des migrants rentrés volontairement de l’Algérie, Libye, Tunisie, Maroc, Mauritanie, Niger et des fois du Mali. Pour les orienter et les aider à réintégrer en vue de ne plus repartir, pour qu’ils soient autonomes.» Elle précise que la réintégration individuelle peut par exemple, porter sur des mères allaitantes, des personnes âgées de plus de 60 ans, une famille nombreuse dont le père est en Europe, mais la maman et les enfants n’ont pu traverser, ils rentrent en Guinée.
Malgré la persistance du phénomène, surtout ceux des retournés qui veulent repartir, Mme Sangaré estime que «l’état actuel des projets encourage l’OIM-Labé à poursuivre sa mission, ça se passe bien. Les 90% des migrants ont reçu leur intégration», comme ceux qui sont revenus déréglés à cause de la maltraitance subie dans les différents pays de transit ou à cause du traumatisme vécu en prison où durant la traversée, par la mort d’un ami.
Son collègue de Mamou, Mamadou Oury Bah, ne dit pas le contraire, mais précise à ceux qui bénéficient de l’appui de l’OIM, et qui bazardent tout pour repartir, qu’un jour le projet de la réintégration et de la réinsertion mis en place en leur faveur, peut fermer.
De passage, l’Assistant-projet de l’OIM-Koundara n’a pas souhaité nous parler, sans «l’autorisation» de ses chefs à Conakry.
Les autorités administratives et sécuritaires n’ont tout simplement pas signé notre ordre de mission sans même nous laisser arriver au poste frontalier de Bhoundou-Fourdou, à 42 kilomètres de la commune urbaine de Koundara.
Cette enquête a été réalisée grâce à un appui du Bureau régional de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture) à Dakar, dans le cadre de son projet: «Autonomisation des jeunes en Afrique et lutte contre la migration irrégulière à travers les medias et la communication». Projet réalisé dans huit pays: Côte d’Ivoire, Cameroun, Ghana, Guinée, Mali, Niger, Nigeria et Sénégal. Le projet est financé par le Ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (MAECI), via l’Agence italienne pour la Coopération au Développement (AICS).
Mamadou Siré Diallo
Envoyé spécial