Prestation de serment le 15 décembre, pour la troisième fois d’affilée, avant de s’installer dans un fauteuil présidentiel (qu’il n’avait pas quitté), Alpha Condé n’a pas, trois semaines après, composé un nouveau gouvernement. En attendant de savoir s’il va faire son renouveau avec de l’ancien, le Premier ministre et ses ministres semblent angoissés par la longue attente et l’incertitude avec laquelle ils scrutent l’avenir.
Alpha Condé va-t-il « gouverner autrement », avec les mêmes ? Ou bien va-t-il prendre son courage à deux mains pour se débarrasser de ceux qui l’ont aidé à avoir le bilan actuel, avec lequel il souhaite rompre ? Dans ce cas, que fera-t-il de ceux qui ont « mouillé le maillot » pour qu’il se maintienne au pouvoir ?
En attendant le dernier mot de celui qui signe les décrets, c’est l’angoisse dans le gouvernement Kassory : chacun se bat pour garder son fauteuil. Le Nabayagate (scandale de détournement présumé de 200 milliards de francs guinéens au ministère de l’Enseignement technique) avait été perçu comme un règlement de compte. « Prenez mon poste et laissez-moi mon honneur», avait déclaré la ministre mise en cause, Djénab Nabaya Dramé.
Le gouvernement, le Premier ministre en tête, avait tenté de la blanchir à coup de communiqué. Sans toutefois exhiber les preuves de son innocence à la justice ou à l’opinion. Si l’impunité autour de l’affaire demeure, l’on aura en revanche flairé que la solidarité du gouvernement n’est que de façade. Après s’être battu ensemble pour garder le pouvoir, on s’entredéchire pour sa gestion. Et le chef du gouvernement, Ibrahima Kassory Fofana, est loin d’avoir les faveurs de toute la mouvance présidentielle. Ce qui n’est pas nouveau…
La mauvaise pub de K au carré
L’on se rappelle que pour sa nomination en mai 2018, il avait dû sacrifier son parti Guinée pour tous (GPT) qu’il avait alors fondu dans le RPG arc-en-ciel, longtemps combattu. Les militants du parti au pouvoir, notamment les jeunes, tenaient à ce que le Premier ministre soit issu de leur rang, pour une fois depuis l’élection de leur mentor Alpha Condé en 2010.
Et cette fois encore, le livre La détention arbitraire d’Alpha Condé, rétablir la vérité, de l’ancien ministre Ibrahima Kalil Konaté alias K au carré, n’est pas pour arranger les choses. Si Alpha Condé a interdit sa vente, l’œuvre est gratuitement distribuée via les réseaux sociaux. Le chapitre trois sous-titré « Montage du premier scénario » explique le rôle joué par l’actuel Premier ministre dans l’arrestation en 1998 de l’opposant Alpha Condé. « À la fin de la campagne, sachant que tous les leaders de l’opposition avaient demandé fermement à la population de refuser les résultats s’il y avait fraude, le gouvernement avait décidé de les mettre tous en résidence surveillée. En réalité, le Professeur Condé était celui qui était le plus visé et ils avaient décidé de l’arrêter », écrit K au carré. Et de renchérir : «Le ministre de la Sécurité Sékou Gouréissy Condé et son mentor Ibrahima Kassory Fofana étaient les plus acharnés. Kassory Fofana, qui se considérait comme le dauphin, avait fait une OPA (Offre publique d’achat) sur l’État et l’Administration. Il avait tissé une véritable toile d’araignée sur l’appareil d’État. Pour lui, le Professeur Condé restait le seul obstacle à ses ambitions».
Que va offrir, cette fois-ci, Kassory Fofana pour déjouer ces adversités et prolonger son séjour au Palais de la Colombe ? Son bilan en demi-teinte ou sa loyauté contestée à Alpha Condé dont il fut le directeur de campagne lors de la présidentielle du 18 octobre ? Désormais, le fils du Moriah bat campagne pour lui-même.
«Primature : Kassory Fofana plébiscité par 80% des sondés proches de la mouvance (AGSP)». C’est le titre d’un publi-reportage relayé par les principaux sites internet guinéens. Selon différentes sources contactées par notre rédaction, il leur a été transmis par un confrère réputé proche du Premier ministre. Cet article commandité (même titre, même contenu) reprend un rapport intitulé «Les Guinéens et le profil type souhaité du Premier ministre», réalisé entre le 1er et le 6 décembre 2020 auprès de 934 personnes. «Nous avons voulu avoir l’avis des populations sur cette question pour une principale raison : le PM étant en charge du dialogue social, nous avons voulu savoir son profil type souhaité. C’est aussi une façon de s’inscrire dans notre objectif qui est celui de très souvent tâter l’opinion, comme sur la réforme constitutionnelle, la mobilisation du FNDC après le départ de Cellou Dalein Diallo», précise Kabinet Fofana, président de l’Association guinéenne de sciences politiques (AGSP) qui a fait le sondage.
Une présélection «un peu subjective», fruit d’une «veille médiatique pour en dresser une shortlist» de six noms a été faite par l’AGSP : Ousmane Kaba, Ibrahima Kassory Fofana, Tibou Kamara, Fodé Bangoura, Kémoko Touré, Kiridi Bangoura. Les sondés d’obédiences politiques diverses (mouvance : 44,1% ; opposition : 55,9%) ont répondu à la question suivante : De ces personnalités, dites-moi laquelle vous inspire-t-elle le plus de confiance pour briguer le poste de Premier ministre ?
Lobbys, tractations…
Ousmane Kaba a été crédité de plus d’intentions favorables (36,5%), suivi de Kassory Fofana (25,6%). Un sondage « incompris par certains à la Primature », confie une source proche de l’AGSP. Ce qui n’a pas empêché l’entourage du Premier ministre d’en tirer ce qui lui est favorable pour en faire une large communication. Il s’agit de ce passage (en gras) à la page trois du rapport : «Le positionnement politique des sondés dans l’échantillon laisse apparaître une majorité de personnes qui se déclare proche ou être de l’opposition (56% contre 44%). Les personnes issues de l’opposition penchent en très grande majorité pour Dr Ousmane Kaba (73%) et pour M. Tibou Kamara (70%). En revanche, 80% des sondés se déclarant proches ou être de la mouvance présidentielle ont choisi M. Ibrahima Kassory Fofana».
Les communicants du Premier ministre ont même essayé de justifier le score flatteur de leur mentor. « Le bilan de M. Kassory Fofana depuis deux ans et demi à la Primature semble jouer en sa faveur dans l’opinion tant les réformes ont été réalisées au pas de charge. De la création des Agences nationales – Anies, Aguifil, Aficom – aux programmes comme Wuri ou la Mamri, en passant par la lutte contre la corruption, M. Ibrahima Kassory Fofana semble avoir récolté une forme de reconnaissance de l’opinion du travail bien fait », écrivent-ils.
« Ils ont interprété le rapport en mettant en avant Kassory, alors que Ousmane Kaba est plutôt devant lui », remarque un membre de l’équipe de sondage. Le président de l’Association guinéenne de sciences politiques (AGSP), Kabinet Fofana, croit à une guerre des lobbys au sein de la mouvance pour briguer la Primature ou un poste ministériel. Le retard dans la mise en place du nouveau gouvernement « peut être d’une certaine façon lié aux tractations. D’une part Kassory qui joue son maintien et de l’autre, ceux-là qui veulent voir leur homme nommé. Disons que ces manœuvres sont classiques ».
Kabinet Fofana de renchérir : «Plusieurs considérations peuvent inspirer le choix du président de la République. Il pourrait probablement se pencher vers un personnage ayant des compétences et un background à même de travailler à la dynamique économique. Surtout après que toutes les économies du monde soient éprouvées par la maladie du coronavirus».
Le président de l’AGSP n’exclut toutefois pas une possible reconduction de l’actuel Premier ministre. «Les spéculations dans la cité et les manœuvres de toutes sortes de prétendus faiseurs de roi et influenceurs du microcosme n’inspirent pas mes décisions et me laissent indifférent», a averti Alpha Condé dans son discours de vœux de nouvel an, le 31 décembre. L’avenir le dira.
Diawo Labboyah Barry