Le conflit artificiel qui oppose le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire et son département à la Société UACI – Baldé Motors, représentée par El Hadj Ousmane Fatako Baldé, homme d’affaires, porte sur trois (3) domaines : l’un situé à Kindia centre, les deux autres à Conakry, plus précisément dans les quartiers de Matam et de Coronthie.
Concernant le domaine de Kindia, le 3 juillet 2003, la date est importante pour la suite, un contrat dit « Bail à Construction » a été conclu entre l’Etat et la Société UACI–Baldé Motors portant sur la parcelle no 3, objet du titre foncier no 39, et la parcelle no 4, objet du titre foncier no 00870/2003/TF du lot 33 du plan cadastral de Kindia.
Le 31 décembre 2019 a été signé l’arrêté n°A/2019/7016/MVA/CAB dont l’article 1er dispose, notamment : « Est et demeure annulé pour non-respect des clauses contractuelles (défaut de réalisation du centre commercial dans le délai imparti) – souligné dans l’arrêté ministériel – le bail à construction du 3 juillet 2003… » C’est ici que le conflit artificiel commence.
En effet, l’article 1091 du Code Civil dispose : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties ou pour les causes que la loi autorise. » Quel est le texte qui autorise le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire à annuler le contrat du 3 juillet 2003 qui lie l’État guinéen à la société UACI–Baldé Motors ? Si vous voulez la réponse à cette question, revenez le 31 février prochain.
En tout cas, on constate que parmi les huit textes visés pour justifier l’arrêté, aucun n’autorise le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire à prendre l’arrêté d’annulation susmentionné. On peut être sûr d’une chose : c’est que si un tel texte existait, non seulement il n’aurait pas hésité à le viser, mais il l’aurait brandi comme un trophée. On est donc en pleine illégalité.
Sur un autre plan, il est stipulé à l’article 11, sous le titre : « clause compromissoire » par le rédacteur du présent contrat – qui ne sait pas du tout ce qu’est une clause compromissoire :
« Tout litige né à l’occasion de l’exécution ou de l’interprétation des dispositions- non il s’agit de clauses– du présent contrat fera l’objet d’un arrangement à l’amiable ; dans le cas contraire, il sera définitivement réglé par les juridictions guinéennes compétentes… »
Sur le même sujet de règlement des différends, après que l’article 3 ait fixé les charges et conditions auxquelles le locataire est soumis, l’article 4 stipule : « Faute de déférer aux charges et conditions ci-dessus spécifiées, le bailleur pourra faire prononcer en justice la résiliation du bail après une mise en demeure notifiée au preneur en la forme administrative demeurée sans effet au domicile élu. »
Ici aussi, il apparait clairement que ce n’est pas le cocontractant, fut-il ministre, qui met fin au contrat par une lettre, mais en s’adressant à la justice pour faire prévaloir ses arguments pour mettre fin au contrat. La lettre du ministre de l’Aménagement du Territoire viole donc les obligations contractuelles de l’Etat tout en violant les dispositions pertinentes de la loi rappelée ci-dessus, notamment les dispositions pertinentes du Code Foncier et Domanial.
Le fait pour le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire d’ignorer purement et simplement les stipulations contenues dans l’article 11 du contrat, de se substituer aux juridictions compétentes pour décider que l’UACI – Baldé Motors n’a pas rempli une partie de ses obligations contractuelles et en décidant unilatéralement d’annuler le contrat, qui a violé ses obligations contractuelles ? La réponse est d’une évidence agressive : c’est l’Etat à travers le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire.
Le prétexte pris pour annuler de façon unilatérale et illégale tant à la fois au regard des textes applicables en la matière, que du contrat de bail est le suivant : « Est et demeure annulé pour non-respect des clauses contractuelles (défaut de réalisation du Centre Commercial dans le délai imparti) … »
Concernant cette partie du contrat, sous la rubrique charges et conditions, il est stipulé à l’alinéa 6 de l’article 3 : « 6e : Démarrer les travaux dans un délai maximum d’un (1) an à compter de la date de la signature du présent bail, celui de la mise en valeur définitive étant fixé à trois (3) ans. » Ni l’importance de l’investissement à consacrer à la construction du Centre Commercial ni les caractéristiques du bâtiment qui doit abriter le Centre Commercial ne sont stipulés nulle part dans le contrat.
Aujourd’hui, chacun peut aller constater de visu que le Centre Commercial existe bien puisqu’avant son évacuation par les Forces de Défense et de Sécurité en faisant usage, quelquefois hélas, de gaz lacrymogènes, plus de trois mille (3000) personnes y évoluaient, ce qui représente la population totale de certains villages relativement importants de notre pays.
Monsieur Elhadj Ousmane Fatako Baldé estime qu’il a investi des milliards pour aménager le Centre Commercial de Kindia.
Si monsieur Elhadj Ousmane Fatako Baldé dit aujourd’hui qu’il a terminé de mettre en place le Centre Commercial de Kindia, qui va lui dire et sur quel fondement, qu’il n’a pas encore fini en lui indiquant jusqu’où il doit investir et en vertu de quel texte ou de quelle stipulation ?
On ne peut pas en finir avec le problème posé par le domaine de Kindia baillé à l’UACI – Baldé Motors sans évoquer l’article du contrat de bail consacré à la « cessation de bail. »
L’article 12 du contrat de bail comporte sept (7) points. Après avoir fixé six (6) causes de cessation du bail, la septième cause de cessation est ainsi stipulée : « 7e : Dans le cas de cessation du bail autre que la renonciation du preneur ou par cas de force majeure, le bailleur s’engage à lui payer la valeur des ouvrages édifiés sur le fonds, estimés au jour de la cessation du bail, à dire d’expert. »
La société UACI – Baldé Motors n’a pas renoncé au bail, ça au moins c’est évident. D’autre part, le fait pour UACI – Baldé Motors de ne soi-disant pas respecter une partie de ses engagements contractuels est tout sauf un cas de force majeure, puisque dans le contrat, il y a des stipulations relatives au non-respect des engagements contractuels.
Dans ces conditions, si la force de la loi doit prévaloir sur la loi de la force, une estimation de tous les investissements immobiliers réalisés par UACI-Baldé Motors pour aménager le Centre Commercial de Kindia devrait normalement être remboursée ainsi que les dommages matériels et moraux causés aux locataires du Centre lorsque les Forces de Défense et de Sécurité sont intervenues pour obliger les derniers locataires qui n’avaient pas fini de déménager leurs marchandises en ayant recours parfois à l’usage de gaz lacrymogènes, permettant aux loubards de s’en donner à cœur joie pour piller certains magasins.
Concernant le domaine de Matam à Conakry, tout a commencé par la lettre no 0230/MVAT/CAB/20 du 2 juin 2020 adressée par le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire à El Hadj Ousmane Fatako Baldé, Président du Conseil Administratif de la société UACI – Baldé Motors. Même si c’est un peu long, les quatre (4) premiers alinéas de cette lettre méritent d’être cités en entier car ils valent leur pesant d’or. Les voici : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance qu’au cours de l’examen de votre dossier relatif au domaine sis dans la zone industrielle de Matam, l’occasion m’a été donnée de constater une irrégularité commise lors de la fixation du prix de cession dudit domaine.
En effet, contrairement aux dispositions légales et réglementaires en vigueur à l’époque, notamment, le Code Foncier et Domanial et l’arrêté conjoint A/00/4074/MEF/MUH/ du 11 septembre 2000, vous avez été soumis au paiement d’un montant forfaitaire inférieur à la valeur vénale du terrain. Or, en son article 123, le Code Foncier et Domanial stipule qu’aucune aliénation d’un bien du domaine privé et de l’Etat ne peut se faire à titre gratuit ou à un prix inférieur à sa valeur vénale, sauf motif d’intérêt général et que le non-respect des dispositions légales ci-dessus, entraine la nullité de plein droit de l’aliénation effectuée, quelles que soient les formes juridiques de la cession. Au regard des éléments évoqués ci-dessus, nous vous signifions que l’attribution à vous faite sur le domaine sis dans la zone industrielle de Matam est déclarée nulle et de nul effet. »
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il est nécessaire de rappeler les faits. Par contrat en date du 5 octobre 1992, la Direction Générale de Gestion du Patrimoine Bâti Public dénommé le Bailleur et l’Union Africaine de Commerce et d’Industrie, le Preneur, « donne à l’UACI deux (2) magasins sis à Matam Km 9 … à partir du 1er octobre 1992. » Ni les dimensions, ni la surface du terrain sur lequel les deux magasins sont édifiés ne sont indiquées. L’exécution de ce contrat n’ayant engendré aucun conflit, il n’y a pas lieu de s’y appesantir. Par la suite, le Directeur de la Société UACI, El Hadj Ousmane Fatako Baldé, a demandé que les lieux loués soient vendus à sa Société.
Par lettre no 0542/MUH/CAB/DOCAD/2001 du 23 juillet 2001, suite a été donnée à la demande de rachat. Les alinéas 1 et 3 de cette lettre sont les suivants :
« J’ai l’honneur de vous faire savoir que suite à l’examen de votre demande de rachat en date du 23 août 2000, le terrain formant les parcelles 1, 2, 3 et 4 du lot 20 de Matam (Zone Industrielle), objet du titre foncier no 174 de Conakry II et la (sic) bâtiment réalisé par l’Etat qu’il comporte ont été évalués à 450 000 000 FGN »
« Je vous demande en conséquence de bien vouloir prendre contact avec la Banque Centrale de la République de Guinée pour les formalités d’usage. »
Le 2 avril par chèque EcoBank no 105422BP du 2 avril 2003 au bénéfice du Ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat avec bordereaux de remise de chèque de la Banque Centrale no 2824 du 2 avril 2003, UACI- Baldé Motors a payé 200 000 000 FGN (deux cent millions de francs guinéens).
Par chèque barré EcoBank du 10 juillet 2003 au bénéfice du ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat et ayant fait l’objet du bordereau de remise de chèque no 6165 du 30 Juillet 2003, UACI – Baldé Motors a payé 250 000 000 FGN (deux cent cinquante millions de francs guinéens).
Ainsi donc, les quatre cent cinquante millions de francs guinéens (450 000 000 FGN) estimés comme valeur du domaine acheté à Matam ont été intégralement payés.
A la suite de ces paiements et par Décret no 2003/107/PRG/SGG du 19 décembre 2003 du Président de la République de Guinée, il a été disposé :
« Article 1er : il est attribué à l’Union Africaine de Commerce et d’Industrie (UACI – Baldé Motors), BP 899 Conakry le terrain formant les parcelles 1, 2, 3, et 4 du lot 20 du plan cadastral de Matam (Zone Industrielle), Commune de Matam objet du Titre Foncier 174 de Conakry 2 d’une superficie de 9.895,130 mètres carrés… »
Le Titre Foncier a ensuite été transféré à UACI – Baldé Motors.
C’est dans ces conditions que le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire a informé UACI – Baldé Motors que l’attribution qui lui était faite par le Décret Présidentiel « est déclarée nulle et de nul effet. »
Ce faisant, le ministre a oublié un petit détail d’une importance décisive dans le présent contexte. Avant de déclarer nulle et de nul effet l’attribution faite par décret présidentiel, il aurait dû auparavant écrire à l’UACI – Baldé Motors pour l’informer qu’il a abrogé le décret présidentiel ; parce que tant que le décret est là, le ministre peut écrire ce qu’il veut, juridiquement son arrêté d’annulation n’a rigoureusement aucune valeur. Les citations quels que soient leur nombre et leurs origines et les acrobaties sémantiques n’y peuvent rien changer. L’affirmation du ministre selon laquelle l’attribution faite – même s’il s’est bien gardé de préciser qu’elle l’a été par décret – est déclarée nulle et de nul effet est au mieux un vœu pieux, car juridiquement, le domaine de Matam, objet de sa lettre, est et demeure la propriété de la société UACI – Baldé Motors.
Au surplus, pour mettre fin au contrat qui lie l’Etat à la société UACI – Baldé Motors, le ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire avance un prétexte extraordinaire. Pour lui, le montant de quatre cent cinquante millions de francs guinéens (450 000 000 FGN) calculé en 2001, il y a donc dix-neuf ans par les techniciens du ministère de l’Habitat de l’époque sous la supervision d’un ministre-architecte de son Etat – et non un pharmacien – qui sait donc ce que parler et écrire en matière d’urbanisme veut dire. En d’autres termes, le ministre reproche aux techniciens du ministère de ne pas avoir tenu en 2001 compte – on ne sait par quelle méthode – de la valeur du domaine en 2020. Tout simplement ahurissant. Du n’importe quoi.
Si le ministre se donne la peine de faire actualiser en 2020 les quatre cent cinquante millions de 2001, il doit s’attendre à une somme tellement importante qu’il risque d’attraper une crise cardiaque, ce que je ne lui souhaite pas.
Le cas de Coronthie est beaucoup plus simple. L’immeuble formant les parcelles 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 du lot 1 du dépotoir de Coronthie est immatriculé au Code Foncier au bénéfice de la société Texas Guinée S.A. dont El Hadj Ousmane Fatako Baldé est actionnaire. Cette société a formulé une requête afin que la langue de terre adjacente du domaine faisant l’objet du titre foncier lui soit attribuée. Cette requête a été accueillie favorablement et l’autorisation d’occupation provisoire no 0002/MVAT/CAB/DATU/2018 du 12 octobre 2018 lui a été accordée par le ministère de la Ville et de l’Aménagement du Territoire. Le Ministère ayant changé d’avis en ce qui concerne la bande de terre ayant fait l’objet du permis d’occupation provisoire, a envoyé deux (2) pickup remplis de gendarmes pour récupérer la bande de terre faisant l’objet du permis d’occupation provisoire. C’est à cette occasion que la société Texas Guinée, sans préavis ni mise en demeure quelconque, a été contrainte par l’usage de la force, de libérer sur le champs le domaine dont elle est légitime propriétaire en vertu du titre foncier susmentionné et en vertu de l’article 39 du code foncier et domanial.
On connaît l’expropriation pour cause d’utilité publique, solidement encadrée dans le code foncier et domanial, mais ici il ne s’agit ni plus ni moins que d’une expropriation pour cause d’utilité inconnue réalisée par décision unilatérale du ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire. On verra tout en Guinée. J’ai mal à mon Pays.
Conakry, le 22 Février 2021
Maître Bassirou BARRY
Avocat à la Cour