Le courage et le nationalisme de deux agents d’Afriland First Bank RDC dépassent les frontières de la République Démocratique du Congo. En Guinée, Alpha Condé est allé jusqu’à promettre d’enseigner l’instruction civique du primaire à l’université. Peut-être existent-ils des voies plus simples, plus raisonnables, plus efficaces, pour arriver aux mêmes résultats. Sonia Rolley de RFI a interviewé deux lanceurs d’alerte d’Afriland First Bank Congo-Kinshasa, Gradi Koko Lobanga, chef de l’audit interne, et Navy Malela, contrôleur permanent, qui pourraient inspirer plus d’un à Conakry. Bonne lecture !
Sonia Rolley : Quand est-ce que vous repérez qu’il y a des irrégularités, voire plus, qui se déroulent dans votre banque, Afriland First Bank ?
Gradi Koko Lobanga : C’est fin janvier, début février 2018. C’est à cette époque que j’ai personnellement rencontré Dan Gertler au niveau de la banque, je l’ai croisé au deuxième niveau. Je ne l’ai pas tout de suite reconnu. C’est quand je suis rentré dans mon bureau. Mon collègue d’à côté, Navy Malela qui m’appelle pour me demander si j’avais reconnu la personne que j’avais rencontrée. J’ai dit : non. Et c’est là qu’il me dira que c’est Dan Gertler. Et j’étais très étonné, car je venais de rencontrer une personne dans notre banque qui venait d’être sanctionné par les États-Unis. Donc sa présence à la banque n’était pas anodine. Donc tout est parti de là.
Comment vous avez réussi à identifier ce que vous estimez être un réseau de blanchiment d’argent autour de lui ?
Premièrement, le fait que son compte ne soit pas directement mouvementé, c’était un problème alors qu’il venait à la banque. Cela nous a donné des soupçons sur d’éventuelles sociétés-écrans pour contourner les sanctions. C’est ce qu’on a pu découvrir par la suite parce que, à chaque fois qu’il venait, la caissière principale montait pour récupérer les fonds. En analysant les comptes de la caissière principale, on a pu identifier les comptes de Ventora qui étaient directement mouvementés. On a pu établir un lien potentiel entre lui et Ventora. Nos soupçons se sont avérés vrais par la suite.
Vous n’avez pas découvert qu’un seul compte, vous en avez découvert une bonne dizaine…
Justement, au départ, on a d’abord découvert le compte de Ventora et on a vu que le signataire de ce compte, c’était Monsieur Alain Mukonda qu’on avait aussi vu à la banque. Mais aussi, il y avait le compte d’un autre israélien, M. Abihassira Shlomo. On avait une petite liste très réduite à l’époque et nous avons essayé de demander les dossiers d’ouverture de ces comptes pour savoir ce qui a été à la base de l’ouverture des comptes, quels sont les documents qui soutiennent l’ouverture de ces comptes. Curieusement, au niveau des archives, il n’y en avait pas. Et nous avons essayé de remonter la filière et nous sommes allés demander à la gestionnaire du fonds de commerce qui était chargée de l’ouverture des comptes. Elle n’avait pas non plus le dossier, mais elle nous a orientés vers le bureau de la direction générale. Et en tant que responsable de l’audit, c’est moi qui devais demander des comptes à la Direction générale par rapport aux dossiers qui avaient été soupçonnés à l’époque. Ce n’est qu’après que j’ai pu découvrir les autres comptes qui ont été directement associés au réseau.
Mais cela veut dire que la direction générale vous a donné accès à ces comptes ?
Oui, effectivement ! Je suis allé demander le dossier à Patrick Kafindo…
Patrick Kafindo, le directeur général adjoint de la Banque.
Effectivement, Patrick Kafindo était directeur général adjoint, ancien responsable de l’inspection et président du comité de lutte contre le blanchiment qui était en réalité le parrain du réseau de blanchiment. Il a d’abord hésité, parce que j’avais ma petite liste avec moi. Il m’a demandé pourquoi je voulais ces comptes. Il faut souligner ici que par rapport à tout ce qui s’est passé, il y avait des soupçons et des doutes raisonnables au niveau de l’audit interne sur le fait que Dan Gertler avait créé des sociétés-écrans pour contourner les sanctions et malheureusement, on avait pu constater que cela se faisait avec la bénédiction de notre direction générale. Le fait pour Kafindo de me demander pourquoi je voulais avoir les dossiers de l’ouverture des comptes n’était pas de nature à arranger sa situation parce qu’il était notre suspect numéro 1 au niveau de l’audit interne. Parce que nous avions décidé de mener nos enquêtes de manière unilatérale à l’audit. Il me demande pourquoi je voulais le dossier. Je lui ai dit que c’était dans le cadre d’un contrôle de routine des dossiers d’ouverture des comptes. Et là, il m’intimide. Il me dit : petit, que tout ce que tu verras reste dans ta tête ! Je n’avais quasiment plus aucun doute sur son rôle dans ce parrainage d’un réseau de blanchiment.
Dans quelles conditions est-ce que vous avez pu travailler à ce moment-là ?
Il met à ma disposition dans la foulée tous les comptes. Pas seulement ce que je demandais, mais l’ensemble des dossiers qu’il détenait dans son bureau. Et il exige que je puisse travailler sur une table qui est un peu en retrait dans son bureau. C’était un peu révoltant parce que je ne suis pas un simple auditeur, j’étais responsable de l’audit interne. Et m’imposer une procédurede travail, alors qu’il est conscient des procédures qui régissent le métier de l’audit. Il m’a empêché de faire mon travail. En exigeant de travailler chez lui, je n’avais pas les outils nécessaires pour mener à bien ma mission.
Est-ce que vous lui faites quand même rapport de ces informations, est-ce que vous parlez à la direction de la banque, à quelqu’un quand vous découvrez tout cela ?
Déjà, comme il m’avait empêché de bien faire mon travail, j’ai pris tout ce qui existait comme soupçons à l’époque — parce que chacun contrôlait un pan d’activités —, et tout ce qu’on me rapportait par rapport à ce réseau. J’ai mis cela dans un courrier sous forme de rapport. Je lui ai donné et ça l’a clairement mis en colère. Et puis, c’est là qu’il m’a clairement menacé. Il me menace en me disant : petit, tu sais qu’on peut te tirer dessus en sortant de la banque. Donc c’était assez frustrant, assez révoltant. Et pour moi, d’une manière personnelle, c’était la première fois que j’étais menacé depuis que j’avais commencé à travailler à la banque.
Parce que vous aviez été formé quand même à l’audit par Afriland First Bank…
Nous avons été formés par Afriland First Bank non seulement au niveau des opérations bancaires, mais nous avons été au business Excellence Academy où nous avons étudié tous les contours du blanchiment d’argent, Kafindo y compris. Lui, il est allé avant moi. Toutes les méthodes du blanchiment d’argent et comment faire pour lutter contre ces pratiques nous ont été enseignés au niveau du Cameroun. J’ai été choqué que tout ce qui était prôné n’était pas mis en pratique. On nous enseignait une chose et on faisait le contraire. En tout cas, c’était particulièrement choquant pour moi.
Justement, Patrick Kafindo que vous citez explique que vous avez été condamnés au Congo, condamnés pour faux et usage de faux, association de malfaiteurs. Comment réagissez-vous à ce jugement, s’il existe ?
Ce jugement, je l’ai appris par voie médiatique. Certains médias ont publié notre condamnation à mort. Parce que je donne un exemple simple, je ne suis pas dans le procès, mais nous avons tous suivi le procès des 100 jours. Il y a des gens qui auraient détourné des fonds publics, beaucoup de millions de dollars, qui sont condamnés à 20 ans de prison. Et là, nous sommes en face de deux lanceurs d’alerte qui sont en train de dénoncer les faits de blanchiment d’argent, de contournement des sanctions américaines d’une personne pour laquelle les activités sont trop controversées. Ils ont exposé la banque et le système financier congolais de telle manière que le Congo risque d’être isolé. Je ne peux pas comprendre que les personnes qui se mettent à dénoncer ce genre de fait soient condamnées à mort alors que des personnes qui ont détourné des millions de dollars sont condamnées à 20 ans. Je ne sais pas si vous voyez la disproportionnalité de l’action judiciaire et je profite de l’occasion pour faire un appel à la présidence de la République de tout mettre en œuvre pour mener des investigations sur la nature de ce jugement, sur la manière dont il a été obtenu.
Je profite de cette occasion pour lancer un appel particulier à la Banque centrale, à l’inspection générale des finances et à la Cenaref. On ne peut pas sacrifier le système financier de tout un pays pour un seul individu avec quelques complices. Tout ce que Dan Gertler a aujourd’hui, il le doit à la RDC, c’est en RDC qu’il a construit sa fortune. Est-ce que c’est vraiment opportun de passer à côté de cela, de ne pas enquêter là-dessus alors qu’il s’agit d’une seule personne ? Je ne pense pas.
Patrick Kafindo que vous accusez dit que vous avez fait tout cela pour obtenir un visa…
C’est très aberrant. Moi, j’étais déjà venu en Europe. Ce n’était pas compliqué pour moi d’obtenir un visa. Je ne sais pas si pour obtenir un visa à la maison Schengen, il faut aller dénoncer les faits de blanchiment. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. Donc mon visa, je l’avais déjà, c’est le déroulement des faits qui m’a poussé comme j’avais un visa de partir définitivement.
Avec RFI