Cette fois-ci, le président de la République aura embarrassé la quasi-totalité de ses compatriotes. Peut-être même tous ses compatriotes. Le 24 février à l’hôtel Sheraton, devant un parterre d’invités de marque, Alpha Condé a estimé que les Guinéens sont des tortues, donc dépourvus de honte, de dignité, de perspicacité, de bon sens. Il a même explicité sa pensée en précisant ce que tout le monde sait déjà: pour sortir la tête, il faut chauffer  le derrière.

On l’aura noté, l’embarras est général. Alpha Condé nous replonge malgré nous dans un double passé, africain et occidental auquel on ne s’attendait plus. Quand le chef est présent, on a pris l’habitude de se méfier de toute comparaison qui implique le monde animal. Quelqu’un avait dit ceci à Sékou Touré : « Président, entre vous et nous, c’est comme chien et chat».  Immédiate a été la réplique du Responsable Suprême de la Révolution : « Qui est le chien ?» « C’est moi, président. »  « Et le chat ?» « Président, c’est moi.»

Si Alpha a fondé son idée de tortue sur ce genre de lâcheté du Guinéen, il aura laissé une bonne partie du problème sans réponse. Son passé de Sorbonnard doit lui rappeler que « l’indécidable » existe toujours. Quand un Crétois dit que tous les Crétois sont des menteurs, vous ne pouvez pas décider si l’assertion est vraie ou fausse. Tout simplement, puisqu’elle vient d’un Crétois.

Pour les mêmes raisons, les Guinéens restent certainement sur leur faim en matière de tortue, de honte et de courage. Est-ce que comme les Crétois, tous les Guinéens sont des tortues ou des lâches?  Ceux qui ne le sont pas sont-ils fiers d’être des présidents de tortues et de lâches? Si oui, ne peut-on pas induire que la différence entre une tortue et son président ne saurait être qu’une différence de degré, non de nature ? Encore que le proverbe malien considère la tortue comme la plus sage « parce qu’elle se promène avec sa maison.» Même si à présent, le ministre de la Ville n’a pas besoin de préciser ce qu’il pense de l’habitat.

En tout état de cause, les Guinéens se retrouvent dans la triste obligation de dire au Président Condé que l’idée qu’il s’est forgé d’eux ne cadre guère avec la réalité. Ils ont à la fois peur et honte. Celle-ci reste la dernière valeur qu’ils défendront. Ils ont honte d’avoir un président qui a honte. La peur n’y pourra rien. Ils ont honte d’avoir un président qui a peur de leur dire la vérité. Ils ont honte de constater que leur président n’a pas dit la vérité. Ils ont honte de reprocher, de rapprocher  toute notion de malhonnêteté à leur président. La peur n’y peut rien. La honte les en empêchera toujours. C’est par la honte que passent les truands pour infester impunément l’entourage immédiat du président de la république. Ils n’ont peur ni de Bolloré ni de Sarkozy ni de Blair. Ils en sont dégoûtés. Ils n’ont pas peur d’en  parler. Ils en ont honte. Ils ont encore le temps de préférer cette honte à la pourriture. La honte de la tortue, ça pèse quoi déjà ? Malheureusement, il n’est pas donné à tout le monde d’y répondre.

DS