Filmée par une Malgache, la vidéo dure un peu plus d’une minute. Sur un terrain qui s’étend à perte de vue, un engin de chantier s’attèle à recouvrir de terre un trou au fond duquel a été déposée la dépouille mortelle d’une Malgache. On y voit plusieurs femmes vêtues du tchador noir, filmant elles-aussi la scène en pleurs. « Arrête, arrête, calme-toi, relève-toi, il y a plein de poussière », dit la femme qui filme à celle effondrée, à côté d’elle.
Nous sommes le 11 mars. Ces travailleuses malgaches viennent d’assister à l’inhumation du corps de leur compatriote. La défunte, originaire de Sambava, dans le nord de Madagascar, est décédée en septembre dernier, d’une mort brutale, alors qu’elle venait de rompre son contrat d’employée de maison. Faute d’argent, sa famille n’a pas réussi à faire rapatrier son corps sur la Grande Île.
Après la diffusion de la vidéo, la réaction au pays a été immédiate. Mais pour l’agence onusienne de l’Organisation internationale du travail (OIT) et Noémie Razafimandimby l’administratrice nationale du projet Reframe visant à améliorer le cadre de recrutement des travailleurs migrants, s’insurger ne suffit plus : « Ça choque la société, mais le problème reste le même : les filles continuent à partir et à chercher par tous les moyens, parfois, à quitter leur village pour rejoindre ces pays-là. Et ça restera la même situation tant que des mesures n’auront pas été prises pour présenter des alternatives à ces femmes qui souhaitent aujourd’hui migrer et espèrent avoir une vie meilleure dans ces pays, tant que les partenaires sociaux et les organisations de la société civile n’auront pas renforcé leurs interventions pour la sensibilisation contre la traite des personnes et contre le recrutement clandestin, et tant que les médias ne contribueront pas à la pérennisation de la réflexion et de l’information objective sur ce phénomène-là. »
Aujourd’hui, le ministère des Affaires étrangères comptabilise au moins 500 ressortissantes en Arabie saoudite. Presque toutes sont des travailleuses domestiques. Toutefois, les statistiques exactes n’existent pas. Depuis 2013, Madagascar a mis en place un décret suspendant la migration de ces travailleurs vers les pays dits « à haut risque » et régulièrement pointés du doigt pour l’exploitation des travailleuses étrangères. Mais grâce à des réseaux clandestins, beaucoup de jeunes femmes, peu informées, arrivent à rejoindre les pays du Golfe pour y être embauchées, rendant ainsi le décompte impossible pour l’État malgache.
À l’heure actuelle, le Liban, le Koweït et l’Arabie saoudite sont les pays desquels émanent le plus de plaintes déposées par de jeunes femmes malgaches pour exploitation, abus et mauvais traitements. Ces mouvements migratoires vers les pays du Golfe ont démarré dans les années 1990. La situation a commencé à dégénérer quand des recruteurs peu scrupuleux ont proliféré sur le territoire malgache, promettant à de jeunes femmes peu éduquées un salaire et une vie plus décente.
L’OIT se bat pour lutter contre la corruption au sein des administrations malgaches qui facilitent de manière illégale le départ de ces jeunes filles et au sein des agences de recrutement qui, malgré leur absence d’agrément, continuent à y envoyer des travailleuses de manière clandestine. L’OIT œuvre également pour mettre en place des mécanismes de plaintes et de réparation efficaces pour les victimes d’abus et de traite humaine.
Avec RFI