Sous un matin glacial de juin 2012, l’avion de la Royal Air Maroc a atterri à l’aéroport de Casablanca. Je débarque. L’œil bandé, la tension oculaire boostée au maximum par les 3 heures du vol à plus de 12 000 mètres d’altitude. Après les formalités, je suis sorti, j’ai promené le regard à la recherche de ta silhouette élancée, mais tu n’étais pas là. J’avais mal à l’œil et le froid me faisait du bien. Je m’assis au comptoir d’un restaurant. Pour t’attendre. Mon téléphone sonne, je décroche, c’est toi qui était au bout du fil. «Abou Bakr, je suis dans le train, j’arrive.» Une heure plus-tard, tu apparais, ton beau sourire aux lèvres. «Tu as fait un bon voyage ?». Je t’ai répondu que j’ai mal à l’œil. Tu as pris mon sac et tu m’as donné le ticket d’embarquement du train de Rabat. Tu ne cessais de me chahuter, de raconter de histoires drôles pour me déconcentrer de mes douleurs. Et tu as réussi, parce que je n’avais plus mal. C’était un vendredi, dans le train, tu m’as donné toute les informations sur la clinique française qui devait examiner mon œil gonflé à bloc.
Arrivé à Rabat Agdal ou tu logeais, tu m’as donné une belle chambre. «Bienvenue. C’est cette chambre que mon papa occupe quand il est de passage au Maroc.» J’ai retrouvé une chambre agréable, propre et un poste transistor était dans le lit. Tu m’as dit que c’est ce poste qui sert de compagnie à ton papa quand il séjourne à Rabat. Le temps de me laver, tu avais fini de préparer un copieux repas. Nous avons mangé. L’accueil était chaleureux. Le lendemain, tu m’as amené à la clinique, l’ophtalmologue française a dit qu’il fallait m’opérer de nouveau. J’ai vu la triste mine que tu affichais pour cette nouvelle. Je t’ai dit que je suis prêt. Et la dame m’a opéré. Lorsque je suis sorti du bloc et que la dame t’a dit que l’opération a réussi, tu étais aux anges. Tu m’as serré contre toi. Le visage illuminé par la joie. Tu as aussitôt pris ton téléphone pour appeler ton papa et ta maman. « L’opération a réussi. Abou Bakr est sauvé », avais-tu entonné. Tu m’as ramené à la maison en m’indiquant des repères pour retourner les jours prochains à la clinique pour les pansements. J’ai passé un mois de maladie sous ta garde. Tu mettais mes collyres 3 fois par jour. Tu me préparais à manger deux fois par jour. Et soit dit en passant, tu étais un excellent cordon bleu. Durant un mois et demi, tu quittais le boulot pour venir voir comment je me porte. Et chaque fois, tu me faisais un repas. Lorsque j’ai été déclaré guéri, tu as commandé et fais faire mes lunettes pharmaceutiques. Le soir, tu m’as accompagné dans le train à Casa pour le retour à Conakry. J’ai vu que tu dissimulais mal ta tristesse de me voir te quitter, je t’ai remercié pour les habits que tu avais acheté pour moi et le tour de découverte touristique de Rabat que tu m’avais réservé. Tout cela me revient en souvenir depuis la triste nouvelle de ta disparition. Et ici en Guinée, chaque fois que j’ai mal aux yeux, tu me prodigues de sages conseils. Tu connais bien des notions en ophtalmologie. Et j’en ai profité. «Fais attention, les yeux ne sont pas faits pour regarder trop l’ordinateur. Essaies souvent de te déconnecter de l’ordinateur pour regarder la nature. C’est ce qui est bon.» C’est le dernier conseil que tu m’as donné, il y a un peu moins de deux mois, lorsque je t’avais dit que j’ai mal aux yeux.
Et le dernier jour qu’on s’est vu, en avril chez vous à Soloprimo, tu revenais du baptême de l’enfant de ta sœur Mimi, je crois. Toi et moi avons échangé durant deux heures, en mangeant un repas servi par un de tes oncles. Tu me parlais santé ce jour aussi. Et le vendredi dernier (7 mai), bloqué avec le chèque des salaires à la banque, on avait échangé longtemps au téléphone jusqu’au moment où la situation s’est débloquée. J’étais loin de douter que c’était notre dernière conversation. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi lors de mon séjour pour des raisons de santé dans ton appartement à Rabat Agdal. Merci beaucoup Mohamed. Paix à ton âme, mon ophtalmologue, mon cher frère et ami.
Abou Bakr