Mohamed Diallo, fils et adjoint de Diallo Souleymane, Administrateur général du Groupe de presse Lynx-Lance, est décédé mardi 11 mai à l’aube, d’une courte maladie. La veille, il avait quitté le bureau aux environs de 19h, sans le moindre mal apparent et à jeun.
Il est difficile de crier que le destin s’acharne sur nous, lorsqu’on a été élevé dans la foi islamique qui veut qu’on loue Allah quand il nous éprouve. Depuis 2017, le Groupe Lynx-Lance a vu le destin lui reprendre successivement le directeur de publication Assan Abraham Keita, la doyenne secrétaire Mme Bintou Diallo, l’ancien collaborateur Thierno Diallo (Abdoul Gadiri Diallo, à l’état-civil), aujourd’hui, le tout jeune Administrateur général qui faisait figure de successeur naturel de son père. Si la mort du premier, hospitalisé, était moins brutale que celle de la deuxième, mortellement percutée par une moto dans la ville de Mamou alors qu’elle partait fêter l’Aïd-el Kébir dans son Porédaka natal, le décès de Mohamed a été un grand choc pour sa famille et ses connaissances. Une grande surprise, d’autant qu’il a travaillé la veille toute la journée – les fériés les lundis et vendredis étant rarement observés au Lynx. Comme tout le monde, je n’en croyais pas mes oreilles quand le Rédacteur en chef me l’a annoncé très tôt mardi. Encore lui, Mamadou Siré Diallo, le crieur public maison, qui annonce au personnel les bonnes et les mauvaises nouvelles. Une fonction sociale (non rémunérée) qu’il assume bien.
« Après la rupture du jeûne, il a pris un Coca. Il a ressenti des maux d’estomac. On l’a emmené dans une clinique à Gbessia. Les douleurs se sont calmées après qu’on lui a donné des médicaments. Nous sommes revenus à la maison. Vers 4h, elles ont violemment repris. Cette fois-ci, on l’a transporté à l’Hôpital de l’Amitié Sino-guinéenne, où les médecins ont constaté sa mort survenue, probablement, en cours de route », explique le papa du défunt, qui fait mine de rester serein. « Mohamed était avant tout mon ami », confiait Diallo Souleymane à quelques collaborateurs, mardi soir. Il venait d’accompagner son unique garçon à sa dernière demeure, au cimetière de Soloprimo (Koloma, Ratomap). Il n’échange pas beaucoup avec ses trois autres filles vivant au Canada et en France, avoue-t-il, avant d’ajouter : « Désormais, je serai amené à le faire plus souvent ». Mohamed était son confident, son compagnon inséparable depuis qu’il est rentré du Maroc en 2013, « à ma demande », rappelle Diallo Souleymane, après de brillantes études universitaires en informatique et une brève carrière professionnelle. De retour en Guinée, il avait travaillé, de juin 2014 à décembre 2016, à la société de téléphonie MTN, où il occupait le poste d’analyste du service Revenu-assurance. Avant de démissionner et rejoindre définitivement le groupe de presse familial en janvier 2017, pour assister son père dans la gestion, et par la suite, lui succéder. Encore à sa demande.
En avril 2020, les deux avaient contracté le Covid-19, avaient été hospitalisés ensemble au CHU Donka, puis en étaient sortis guéris. On s’inquiétait plutôt pour le papa. Aujourd’hui encore, on peut dire que le destin nous a pris à contrepied, il a déjoué nos pronostics et tous les plans de Diallo Souleymane. Le plus inquiétant avec la mort, c’est qu’elle ne suit ni un ordre croissant ni décroissant : elle peut nous surprendre à la naissance (voire dans le ventre) ou après cent ans. Malgré tout, nous essayons de tout planifier.
Le compagnon de terrain
L’informaticien qui trimait à réussir la migration de nos publications vers le numérique avait lancé le site lelynx.net, fini par s’intégrer et se familiariser avec le métier de son père. Il signait plus ou moins régulièrement des articles, malgré ses autres charges administratives. Il arrivait que Mohamed Diallo enfile la casquette de reporter pour se rendre sur le terrain. Pour couvrir le double scrutin législatif et référendaire du 22 mars 2020, on avait, Carol Valade, ancien correspondant de RFI, lui et moi, mis sur pied une approche: parcourir les bureaux de vote de Conakry à bord de la voiture de Mohamed (notre chauffeur de circonstance) la matinée, se poser en milieu de journée chez moi pour écrire et déjeuner, avant de retourner sur le terrain pour suivre les opérations de dépouillement et de centralisation. A l’unanimité, le trio que nous formions avait décidé de répéter l’expérience pour la présidentielle du 18 octobre qui a suivi. Dernière sortie, le 6 mai : Mohamed était à la première de ce qui sera désormais la traditionnelle conférence de presse, après chaque Conseil des ministres, du porte-parole du gouvernement, Tibou Kamara.
Débats et fous rires
« Petit patron », c’est l’inévitable surnom qu’on avait collé à Mohamed Diallo. J’ignore s’il le savait : ce petit nom était moins officiel, moins conventionnel que ceux qu’attribuait Assan Abraham Keïta à toute personne qui débarquait au Lynx. Confession : dans mon répertoire téléphonique, son numéro était enregistré au nom de « Mohamed Gros ». On l’a vu, il était le binôme de son papa (qu’il tutoyait), surnommé officiellement « Le Gros du Lynx ». Avec tous les honneurs dus à son rang de fondateur du Groupe et en dépit du contraste avec son physique.
Mais Mohamed n’était pas notre patron, même « petit ». On n’avait pas de relations de subordination. Il désertait souvent le bureau qu’il partageait avec son père pour venir débattre et rire dans la Rédaction. Il aimait pouffer de rire dans une rédaction où on est rarement au sérieux. On a le défi d’informer au second degré, en faisant rire, non ?
Je l’ai régulièrement trouvé assis à ma place, qu’il me cédait aussitôt. Parfois, je m’installais ailleurs. Je l’ai toujours pris pour un camarade d’âge, pensant qu’on était nés tous deux en 1986. Si on a juillet en partage, lui est né l’année suivante, à Abidjan où travaillait Diallo Souleymane. Il avait entre quatre et cinq ans quand sa famille est rentrée en Guinée, pour lancer en 1992 le satirique Le Lynx, puis La Lance, quatre ans plus tard.
Bonheur d’être riche, richesse d’être heureux
On avait également des débats divers (politique, société…), parfois houleux et à propos desquels on n’avait pas toujours les mêmes points de vue. Même si on avait fini par nous entendre sur l’un des derniers, portant sur « l’argent » et « le bonheur ». C’était l’épilogue d’un débat parti des réseaux sociaux. Plus pragmatique, il s’étonnait et trouvait insensée l’interrogation d’un internaute sur ce qu’on ferait pour être heureux, si on avait une fortune. Comme pour dire que le pauvre est systématiquement malheureux.
Je m’étais efforcé à le convaincre d’analyser la question avec un peu de recul et de philosophie, lui rappelant qu’on peut, par exemple, tout donner pour recouvrer une santé perdue en courant derrière l’argent. Que pour être heureux, certains ont besoin de respirer l’air frais et le parfum de la nature sauvage de leur village, quand d’autres dépensent leur argent et leur vie pour gagner l’Europe. Et qu’enfin, il y avait (peut-être qu’il y en a toujours) au Fouta des sages, érudits modestes qui se méfiaient de l’argent et du luxe comme de la peste. Je vivais en ce moment vraisemblablement dans le monde de Platon, ou au « Yafoy », « le pays où tout va bien », comme dirait l’humoriste nigérien Mamane. Même si son confrère camerounais, Saïdou Abatcha, répond à ceux qui disent que l’argent ne fait pas le bonheur : « Donnez-moi tout votre argent et vous serez heureux ! »
A deux mois de ses 34 piges, Mohamed Diallo s’en va laissant derrière lui un petit garçon de sept ans, une petite fille de trois ans, une veuve, une mère, un père…bref une famille, des connaissances et des collaborateurs inconsolables. Dors en paix, copain !
Diawo Labboyah Barry